Essais photographiques

periferias 4 | école publique: puissainces et défis

Bachillerato popular Alberto Chejolán

Villa 31 - Buenos Aires

| Argentine |

traduit par Déborah Spatz

Nous sommes les membres du Bachillerato Alberto Chejolán, une école pour jeunes et adultes qui fonctionnent depuis 2002 dans la Villa 31, un quartier populaire de la ville de Buenos Aires, qui lutte depuis plus de 80 ans pour son droit à vivre dans cette ville. Notre école fait partie de l’organisation territoriale « Eulogia Rios », qui porte ce nom en hommage à une femme, diplômée, camarade, autochtone, combattante à vie. Eulogia a résisté aux bulldozers de la dictature dans le quartier qui portent aujourd’hui ses couleurs – celles de la wiphala – partout où il est nécessaire d’être présent. 

Les Bachilleratos sont des écoles publiques et populaires d’enseignement secondaire pour les jeunes et les adultes, organisées, gérées par des organisations sociales, leurs travailleur.se.s et la communauté éducative. Ce sont des écoles populaires parce qu’elles reprennent la tradition latino-américaine de l’éducation populaire, enracinée dans l’expérience de Freire et qui parie sur une éducation libératrice, féministe, anticapitaliste et décoloniale. Les lycées populaires sont des établissements publics parce qu’ils reconnaissent l’importance de leur reconnaissance en tant qu’écoles ouvertes sur la communautés, gratuites, laïques et qui ont pour objectif de transformer le système éducatif public, principalement en tenant compte des difficultés rencontrées par les travailleur.se.s des secteurs populaires pour avoir accès à l’éducation. De plus, les bachilleratos populaires sont des écoles qui parient sur la territorialisation et la création d’une identité et d’un espace organisé pour toute la communauté. De part cette forme de construire, la trajectoire de ces établissements est traversée, de la même manière que dans beaucoup d’écoles du système éducatif, par les revendications et les luttes pour la reconnaissance de leur existence, pour le travail de celles et ceux qui y jouent un rôle d’éducateur.trice.s, pour le droit des étudiants et pour les conditions des constructions.

Le Bachillerato Alberto Chejolán est né en fin d’année 2001, après une analyse faite par les référents territoriaux de la ville à propos de l’alarmante situation éducative des jeunes et des adultes. Il en ressortait que pour plus des deux tiers de cette population, le droit à l’éducation n’était pas garanti. Dans ce contexte et avec l’expérience d’avoir construit un autre lycée dans la même organisation, nous avons commencé l’édification de cette nouvelle école qui fonctionne dans un bâtiment public abandonné et qui a grandi avec ses murs et ses projets. Après 4 ans de luttes, nous avons obtenu la reconnaissance de l’école en tant qu’établissement public, mais nous luttons toujours pour les conditions de construction, pour la reconnaissance du travail, des droits des étudiants comme les titres de transports, l’alimentation, etc. Six promotions d’élèves ont déjà obtenu leur diplôme et leur projet éducatif se consolide, alors que des nouvelles expériences d’organisation naissent à partir de leurs cours, ils dépassent le cours du quotidiens et le renforcent : un espaces pour les enfants qui fréquentent les cours avec leurs mères, des activités productives, la participation au processus d’urbanisation, la formation d’accompagnateurs contre la violence sexistes et récemment, la mise en place d’un réfectoire pour palier à la grave situation d’urgence alimentaire qui touche le pays, de manière générale et plus particulièrement le quartier. 

Au « bachi » nous recevons des femmes de tous les âges, des migrantes, des autochtones, des porteñas [habitantes de Buenos Aires]. Nous sommes des travailleuses, nous organisons et nous entretenons nos maisons, nous garantissons aussi la protection de notre environnement. Nous sommes ceux qui, pendant la semaine, après le temps consacrer à la survie, partageons des heures à enseigner et à apprendre dans une école publique et populaire. Notre parcours a été celui d’une école qui nous incluait/excluait individuellement – comme des citoyen.ne.s-. Notre défi est de construire l’école à partir de l’éducation populaire – outil et horizon pour organiser, enseigner, apprendre – parce que le public n’est universel seulement lorsqu’il est populaire. L’école est le lieu d’où nous élaborons collectivement des projets de vie. Les projets de vie laissés de côté, ceux que nous faisons depuis l’école publique pour construire une autre expérience de vie – le temps de la vie. 

Le Bacchilerato exerce ses activités grâce à des commissions de travail qui réalisent des tâches déterminées pour son fonctionnement. L’une d’entre elles est la commission de genres, composées de professeures, d’étudiantes et de femmes déjà diplômées. Des femmes qui proviennent de différents lieux mais qui se rejoignent dans un lieu de rencontre. La commission est née avec pour objectif initial de détecter et d’accompagner les situations de violence sexistes, d’organiser des ateliers de formation avec l’équipe et d’appeler à tisser des réseaux dans le quartier et en dehors de celui-ci. À partir de cela, nous construisons un espace dans lequel nous pourrons nous unir, nous écouter et rire, un défi politique en ces temps si difficiles. L’un des espaces que nous avons pu construire est la « mateada », parce que le mate fait partie du langage que nous partageons, c’est lui qui établit des ponts entre nous… La mateada est née dans l’école mais nous y désarmons nos rôles d’enseignantes, d’étudiantes et de diplômées pour que les histoires de violences et d’impuissances aient la possibilité, de créer de nouvelles histoires et expériences de vie, avec d’autres partenaires.

Chaque dernier samedi du mois, nous savons qu’un après-midi de complicités, de réflexions partagées et de larmes qui libèrent après un long moment, nous attend. Ce samedi-là, nous ne retournons jamais chez nous comme avant parce que quelques chose nous secoue internement, comme un tourbillon. 

Parfois, les mateadas prennent la forme d’une discussions sur un sujet ponctuel, parfois le bachi se transforme en notre atelier – nous utilisons nos mains pour créer des motifs et des images qui reflètent nos identités – et parfois nous lui donnons la forme que nous voulons à ce moment-là. 

La mateada est un cadeau pour soi-même, mais aussi pour nous-mêmes. C’est pour récupérer le temps partagée en groupe que le patriarcat a voulu nous prendre, mais nos rires, ensemble, montrent qu’il ne l’a pas pu. C’est féministe parce que nous croyons que c’est la clé pour construire, à partir du collectif, l’autonomie, la décision et la définition de nos propres vies.



 

Comission de genre du Bachillerato Alberto Chejolán – Organización territorial Eulogia Ríos | |

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