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periferias 4 | école publique: puissainces et défis

photo: Felipe Moulin | illustration: Juliana Barbosa

Le système scolaire et la subalternité en Inde

Shruti Ambast

| Inde |

décembre 2019

traduit par Déborah Spatz

Contexte 

Parmi les espaces institutionnels où les communautés périphériques ou subalternes représentent la majorité en Inde, les écoles publiques sont importantes. Cependant, cela n’a pas toujours été le cas. Les écoles publiques ont subi un considérable changement de caractère durant les trois dernières décennies. Jusque dans les années 1980, les écoles publiques étaient réservées aux classes moyennes et supérieures, accueillant les enfants des bureaucrates, des politiciens et d’autres groupes d’élite. À partir du début des années 1990, l’Inde a été frappée par une grande impulsion vers l’universalisation de l’éducation élémentaire. Il s’agissait d’abord du Programme d’Éducation Primaire de District (DPEP), financé par la Banque Mondiale, puis par le Sarva Shiksha Abhiyan (SSA) du Gouvernement Indien. La promulgation de la Loi sur le Droit de l’Éducation (loi RTE), en 2009, a introduit des dispositions statutaires pour garantir l’éducation gratuite et obligatoire pour tous les enfants âgés de 6 à 14 ans, ainsi qu’un ensemble de garanties concomitantes liées à l’accès et à la qualité de l’éducation. Grâce à ces mesures, l’inscription brute dans les niveaux de l’école primaire est devenue pratiquement universelle. En 2005, l’Enquête Indienne sur Développement Humain a montré que la scolarisation de tous les groupes sociaux en Inde était de plus de 90%. 

Simultanément, des groupes d’élite ont commencé à se retirer des écoles publiques, pour aller vers des écoles privées, perçues comme offrant de meilleurs résultats scolaires. En parallèle aux écoles privées destinées à l’élite, une nouvelle classe d’écoles privées abordables ou « budgétaires » a aussi commencé à proliférer. Ces écoles se sont vendues efficacement, l’enseignement de l’anglais y tenant une bonne place. L’idée que quiconque qui puisse envoyer ses enfants dans une école privée le ferait est devenu un refrain courant. Par conséquent, les écoles privées s’adressent désormais surtout à ceux qui ne peuvent pas se payer une alternative – les pauvres ainsi que les groupes socialement défavorisés. 

Dans cette situation, il est pertinent d’examiner le statut de l’enseignement public en Inde avec un regard sur les facteurs systémiques qui influencent la composition de leurs élèves. Cela pose la question de savoir à qui le système scolaire public est destiné, avec quels objectifs et comment il mobilise et distribue les ressources pour atteindre ces objectifs. 

Tendances récentes dans l’éducation scolaire publique 

Même si l’éducation s’est améliorée, le travail des enfants reste un défi. En 2014, Human Rights Watch a signalé que 13 millions d’enfants, en Inde, travaillaient et n’allaient pas à l’école, et la majorité d’entre eux appartenaient aux communautés Dalit, Adivasi et minoritaires. En plus de cela, les inscriptions dans les écoles publiques n’ont pas montré une tendance positive, ces dernières années. Selon les estimations récentes, 40% des écoles publiques indiennes fonctionnent avec moins de 50% des élèves, alors que 10% en comptent moins de 20. En réponse, de nombreux États procèdent à des regroupements ou à des fusions d’école en grand nombre. Mais ces actes sont souvent effectués sans précautions, sans aucune considération quant à des facteurs comme la distance physique entre les écoles et les résidences des enfants. À Bengaluru, où de nombreuses écoles fonctionnent comme des « écoles à scolarisation zéro », les efforts du gouvernement pour attirer les enfants avec des incitations telles que des repas gratuits et des vélos n’ont pas fonctionné

Ces tendances reflètent la perception répandue que les écoles publiques ne fournissent pas une éducation de qualité. Ce type de perceptions est apparemment renforcé par plusieurs éléments de preuve. Les écoles publiques se sont faites connaître pour leurs infrastructures médiocres ainsi que par l’absence ou la sous-qualification des professeurs, malgré les dispositions de la loi RTE qui les protège. La législation, bien que bien-intentionnée, a été fondée sur le manque de conception et de mise en œuvre. Un examen récent d’ensembles de données représentatifs au niveau national révèle que le nombre d’élèves a augmenté après la loi RTE. Les résultats ont cependant diminué, tant dans les écoles publiques que privées, et le déclin est légèrement plus grand les écoles publiques. Il n’y a eu aucun effet visible sur l’infrastructure, ni sur le ratio élèves-enseignants, bien que le niveau de formation des professeurs ait augmenté. 

Le rapport Annuel sur le Statut de l’Éducation (rapport ASER), qui présente les données représentatives nationales sur les capacités de lecture et d’arithmétique des enfants inscrits dans les écoles élémentaires (classes I-VIII), a constamment montré un inquiétant déficit d’apprentissage au cours de la dernière décennie. Alors que les importants déficits sont également remarqués chez les enfants des écoles privées, ceux des élèves des écoles publiques sont pires. Par exemple, en 2018, seulement 40% des élèves de la VIIIe classe des écoles publiques parvenaient à faire des divisions, contre 54,2% des élèves des écoles privées. 

Ces différences peuvent être attribuées aux moyens de sélections, les élèves des écoles ont moins d’antécédents socio-économiques propices à la réussite scolaire. L’éducation parentale a un effet significatif sur l’apprentissage : il a été constaté que les enfants dont les parents avaient conclu leurs examens avaient de plus grande probabilité de réussite en lecture, en écriture et en arithmétique (Borooah, 2012). De la même manière, les enfants appartenant  à des foyers pauvres avaient moins de chances de bien s’en sortir dans ces trois compétences. La fuite des groupes d’élite vers les écoles privées a également érodé la responsabilité dans les écoles publiques. Les représentants du gouvernement et les dirigeants politiques n’ayant ainsi plus d’enjeu personnel dans leur performance. Même les enseignants des écoles publiques, ainsi que les administrateurs préfèrent éduquer leurs enfants dans des écoles privées, montrant leur manque de confiance dans le système. Les parents des enfants qui y étudient viennent probablement des classes sans instruction et ouvrières, et n’ont que rarement le temps, les ressources et le savoir pour s’engager avec l’école et exiger une éducation de qualité. 

Pendant ce temps, les différences de classes et de castes entre les professeurs et les élèves créent souvent un environnement hostile, générant l’apathie, l’exclusion et même de la violence. L’attitude des professeurs face aux élèves est souvent faite de préjugés. Un rapport de 2017 du Mouvement National Dalit pour la Justice et du Centre pour l’Équité Sociale et l’Inclusion, a montré que les enfants sont confrontés à de sévères discriminations à l’école, par exemple parce qu’ils sont obligés de s’asseoir séparément, entre autres formes d’abus et d’humiliation. En 2016, un professeur, dans une école publique de Nagloi, à Dehli, aurait été tué par ses élèves. Un degré de violence parmi des adolescents dans une école publique qui semble s’être normalisé. Cela peut s’expliquer par la frustration des élèves face aux mauvaises conditions et aux mauvais résultats scolaires, qui se manifestent sous forme de rage. 

Le discours autour de la « qualité » de l’éducation a été critiqué par beaucoup, comme étant étroit, mettant l’accent sur les résultats aux tests, par opposition à l’égalité globale d’opportunité en matière d’éducation (Mehendale, 2014). Certains autres aspects de la qualité, comme l’autonomie de l’élève et du professeur, le renforcement de la capacité pour l’égalité et l’atteinte d’objectifs sociaux de l’éducation, ne figurent pas de façon proéminente dans le discours général. Une autre dimension de la notion de qualité est la comparabilité, dans laquelle on peut affirmer que les écoles publiques ne doivent pas être jugées avec les mêmes paramètres que les écoles privées, puisque les objectifs de l’enseignement public sont différents. Si les écoles publiques sont considérées comme des instruments de changements sociaux, les mesures de qualité ne peuvent pas être restreintes aux infrastructures, à la responsabilisation des professeurs et aux résultats des restes individuels. L’unité de qualité est également en cause – qu’il s’agisse d’une école ou du système éducatif dans son ensemble qui doit être évalué pour juger de la qualité (Sarangapani, 2010). La nécessité de redéfinir la qualité est soulignée dans les cas de négligence, d’apathie et d’exclusion décrits ci-dessus. 

Contexte Socioéconomique et résultats d’apprentissage 

Il y a de nombreuses évidences qui montrent que les résultats d’apprentissage sont fortement liés au contexte socioéconomique de l’élève. Cela a de nombreuses conséquences sur les processus et sur les pédagogies employées dans les écoles publiques. Une analyse des données du IHDS montre que les résultats en lecture, en écriture et en calcul des enfants âgés de 8 à 11 ans variaient de manière significative selon les groupes sociaux (Borooah, 2012). Les résultats étaient plus élevés pour les Brahmanes, les « hautes castes », les Sikhs/Jaïns, ainsi que les chrétiens, et plus bas pour les Dalits, les autres classes inférieures (OBC), les Adivasis et les musulmans. D’un autre côté, il n’y avait que de très petites différences de résultats entre les garçons et les filles. Une explication possible de la variation, est que les enfants appartenant à des groupes plus avantagés étaient plus susceptibles de fréquenter des écoles privées. Ces enfants sont également plus susceptibles d’être élevés en anglais et de payer plus de frais de scolarité. Les écoles publiques ont été jugées comme étant limitée de plusieurs façons. Par exemple, 71% des écoles publiques n’avaient pas de pupitres et de tables pour les élèves, et affichaient aussi les taux de fréquentation les plus bas. Une plus grande inégalité a, principalement, été constatée entre les résultats aux tests d’enfants de groupes sociaux défavorisés. Cela indique que les besoins d’apprentissage des différents groupes doivent être identifiés et incorporés dans les échanges en salle de classe. 

Lorsqu’il s’agit des facteurs qui influencent les résultats aux tests, il a été constaté que l’éducation des parents ainsi que la position économique du foyer avaient une influence significative, comme mentionné ci-dessus. En plus de cela, l’effet du manque de richesse, mesuré en termes de patrimoine du foyer, s’est avéré inférieur à l’effet de la pauvreté, ou du manque de moyen. Étudier l’anglais, l’hindi ou une autre langue officielle est également vue comme un avantage, par rapport au fait d’étudier en ourdou ou dans une autre langue. Les autres facteurs considérés comme étant positifs mais n’ayant qu’un petit effet sur l’apprentissage sont les devoirs, les cours particuliers et la fréquentation régulière. Les enfants des zones urbaines obtiendraient également de meilleurs résultats que ceux des zones rurales. Même après le contrôle d’autres facteurs qui affectent le niveau d’instruction, les enfants dalits obtenaient de moins bons résultats que les brahmines, indiquant une différence structurelle répandue parmi les groupes sociaux. Ces différences structurelles ont été quantifiées à travers les écarts entre les enfants brahmines et les dalits, respectivement 24%, 36% et 28% en lecture, calcul et en écriture. 

Discrimination et exclusion sociale 

Les enfants subalternes font régulièrement face aux discriminations, à l’exclusion, au harcèlement et à la violence, dans les écoles. Une enquête communautaire menée dans 16 écoles publiques du district de Lucknow, dans l’Utar Pradesh, a montré qu’un nombre impressionnant de 62,50% des élèves avaient été victime de discriminations basées sur la caste, la religion ou le genre (Malik, 2015). Elle a également révélé que les dispositions de la Loi RTE n’étaient pas suivies dans la majorité des écoles. 89% des écoles n’avaient pas de Comité de Gestion Scolaire (SMC) en place. 44% des écoles n’avaient pas de toilettes séparées pour les filles, 60% ne respectaient pas le ratio Élève-Professeur stipulé, et 28% n’avaient pas de cour de récréation. L’Uttar Pradesh a une population élevée de Dalits, d’OBC et de Musulmans. Le pauvre état d’implantation reflète ainsi les conditions médiocres dans lesquels les enfants marginalisés étudient. Ceci suggère que non seulement les élèves marginalisés font face à la discrimination au sein de leurs écoles, mais que les institutions auxquels ils appartiennent sont également systématiquement exclus des opportunités pour une éducation de qualité. Une disparité entre les États est aussi en jeu ici, des États comme Uttar Pradesh se situant toujours au bas de l’échelle du développement. 

Des conclusions similaires révélés par une étude de 2011-12, concertant 120 écoles publiques dans six états, résumées ci-dessous (Ramachandran et Naorem, 2013). Certaines disparités ont été constatées parmi différents groupes défavorisés. Les enfants dalits étaient plus susceptibles d’être victimes de discrimination que les enfants adivasi, sauf en ce qui concerne certains groupes d’adivasis, identifiés comme étant plus vulnérables (les communautés de Bhil et Sahariya aux Rajasthan). L’une des explications plausibles de ce phénomène est que les familles dalits sont plus susceptibles d’être des minorités dans un lieu donné, alors que les famille adivasi ont tendance à vivre seules dans des communautés exclusives. Le contexte social plus large, incluant les schémas résidentiels, affecte ainsi les niveaux de discrimination au sein des écoles. Un autre exemple de ce phénomène est le fait que la politique régionale exerce également une importante influence sur les pratiques d’exclusion. Les États dans lesquels il y a eu une plus grande mobilisation sociale des Dalits et des OBS, comme le Bihar et l’Andhra Pradesh, comptent moins de cas de discrimination fondée sur la caste que ceux où une telle mobilisation n’a pas eu lieu, comme au Rajasthan. 

Un autre lieu important d’exclusion est le langage. La discrimination fondée sur le langage peut être provoquée par une différence entre la langue maternelle de l’élève et la langue du professeur ou la langue officielle de l’État. L’étude a montré que les enfants des tribus des districts côtiers de Odisha étaient confrontés à des difficultés d’apprentissage, car l’Odiya était utilisé dans les livres et dans les échanges en classe. Dans cette situation, la langue devient également un marqueur de caste, pouvant mené à plus de discriminations. Les enfants des cueilleurs de thé hindi à Assam ont été confrontés à des problèmes d’utilisation de la langue assame dans les écoles. Des enfants qui parlaient des dialectes locaux dans le Rajasthan ont eu des difficultés avec l’hindi standardisé utilisé dans les écoles. 

L’étude a identifié que le repas de midi servi dans les écoles publiques comme étant le point d’exclusion le plus important. Les préjugés liés aux castex affectent ceux qui prennent réellement le repas de midi et ceux qui le cuisinent, ainsi que la disposition des sièges. Les enfants des familles plus aisées ne consomment pas le repas de midi, dans les six États. La composition sociale des enfants qui mangent et de ceux qui ne mangent pas le repas de midi varie d’un État à l’autre. Dans certains cas, des enfants de communautés tribales extrêmement pauvres d’Andhra Prashe ne mangeaient pas la nourriture préparée par une personne d’une caste inférieure ou supérieure. Les enfants des castes supérieures d’Assam rentraient à la maison durant le repas de midi, les enfants des différentes communautés de castes, au Rajasthan, ne mangeaient pas de repas de midi et les enfants de la communauté Meena, au Rajasthan, ne mangeaient que si le cuisinier était issu de leur communauté. 

Principalement, les perceptions des professeurs concernant les enfants des communautés Dalit et d’Adivasi étaient négatives et éloignées de la réalité. Beaucoup de professeurs ont estimé que les enfants de ces communautés n’avaient pas de bons résultats à l’école, malgré le fait que beaucoup de ces élèves avaient de bons résultats scolaires. Dans tous les États, les professeurs se sont seulement concentrés sur les enfants « brillants » assis au premier rang. Les enfants des communautés subalternes ont enregistré une fréquentation très faible, qui peut être liée à une variété de causes comme une mauvaise santé, l’absence parentale à cause du travail journaliser, la responsabilité des tâches ménagères, entre autres. Par conséquent, ils étaient incapables de suivre le rythme d’apprentissage et les professeurs ne les aidaient pas à rattraper leur retard. Cela suggère que la discrimination n’a pas toujours besoin d’être évidente : la présence régulière affecte la perception des professeurs quant aux élèves dits « brillants » et à ceux dits « mauvaise, et les élèves « brillants » se voient confiés des responsabilités prestigieuses et les professeurs font plus attention à eux. Certaines perceptions sont également liées aux rôles de genre, les professeurs considèrent que les filles ne sont pas intéressées par le sport, qu’elles devraient apprendre les tâches ménagères. 

Il est important de noter, finalement, que pratiquement aucune école n’a d’élève handicapé inscrit, cela suggère que ces élèves sont systématiquement exclus de l’accès à l’école. Le manque d’infrastructures adaptées aux personnes handicapées et les attitudes négatives des professeurs semblent être des problèmes corolaires. 

Certaines pratiques positives ont également été remarquées. Dans deux écoles, il a été constaté que les professeurs faisaient des efforts pour que tous les élèves participent aux activités scolaires, indépendamment de leur contexte socioéconomique. Dans certains cas, on a remarqué qu’un directeur motivé réussit à rendre une école plus inclusive et égalitaire. Une école dans l’État d’Andhra Pradesh n’avait aucune discrimination dans l’organisation des sièges et les professeurs faisaient attention à tous les élèves, de la même manière. Dans 30% des écoles de Odisha, le repas de midi était géré par des groupes d’entraide de femmes, qui assuraient l’hygiène et la qualité, ce qui menait vers une plus grande participation des enfants aux repas de midi. Enfin, certaines écoles avec un comité de gestion plus actifs, ainsi que des bonnes infrastructures ont montré des échanges en salle de classe meilleurs et plus inclusifs. Il semble donc que partout où des changements positifs sont visibles, ils sont provoqués par des initiatives individuelles ou locales, alors que le système mené par l’État dans son ensemble ne parvient pas à créer des résultats équitables.

Modèles de transformation 

Avec la large reconnaissance de la pauvre condition des écoles publiques, le Centre et les États ont été obligés de prendre des mesures de transformation. Quelques initiatives sont discutées ici pour illustrer les différentes approches pour améliorer l’accès à une éducation de qualité et les défis spécifiques présentés par la composition sociales des écoles publiques. 

Certaines initiatives du gouvernement du Bihar semblent avoir amélioré l’inclusion dans les écoles publiques de l’État (Ramachandran et Naorem, 2013). Dans le cadre du programme Tola Sewar, un volontaire locale a accompagné les enfants à l’école et a interagi avec eux. Le volontaire est également intervenu pour protéger les enfants contres les pratiques discriminatoires. Un autre programme dans le Bihar, appelé Hunar œuvre pour l’empouvoirement des filles musulmanes. Les filles du programme ont bénéficié de confiance et de perspective par rapport à l’éducation. 

Le programme Nali Kali ou « joyeux apprentissage » du Karnataka, lancé en 1995 dans le district de Mysore et étendu depuis à tous les districts de l’État, a attiré une attention considérable par les éducateurs et les politiciens. Ce programme a été lancé à une période où l’accent était de plus en plus mis sur l’apprentissage centré sur les enfants, dans le discours politique, et où l’approche prédominante de l’apprentissage basé sur le manuel scolaire était examiné à la loupe. Le programme cherche à reformuler la relation hiérarchique entre les professeurs et les élèves, en incorporant des chansons, des jeux, des jouets et le fait des raconter des contes dans les salles de classes traditionnelles. Il avait pour cible les enfants âgés de 6 à 9 ans, dans les écoles publiques rurales. Des professeurs sélectionnés dans les écoles étaient entraînés aux méthodes d’enseignement de ces activités. Avec l’aide de ces méthodes, les élèves sont passés d’une compétence à l’autre, maitrisant chacune d’entre elle et atteignant peut-être même un niveau d’auto-apprentissage. 

Il y a des évidences qui suggèrent que le programme a eu un effet positif sur les résultats d’apprentissage des étudiants des écoles cibles (Raj et al, 2015). Il a été constaté que les performances des élèves (basés sur les résultats des testes à Kannada et en mathématiques) s’amélioraient avec la durée d’implantation de Nali Kali dans l’école. Cela montre que les professeurs maîtrisent les techniques du programme au fil du temps et ont la capacité de fournir de meilleurs résultats. Les résultats se sont également améliorés avec l’augmentation de la proportion de professeurs formés à Nali Kali dans une école. Cependant, le programme s’est heurté à des barrières en terme de développement à plus grandes échelle, comme la charge de travail des professeurs et les défi de l’implantation de salles de classe avec plus de 30 élèves. 

Plus récemment, la politique d’éducation du gouvernement de Delhi a attiré l’attention au niveau national et international. Le Parti Aam Aadmi (AAP), depuis son arrivée au pouvoir de l’État en 2015, a mis en place de nombreux changements pour améliorer les conditions des écoles publiques. Cela inclut une augmentation importante de la proportion du budget destiné à l’éducation, la construction de 8000 nouvelles salles de classe et la modernisation des infrastructures dans des écoles sélectionnées, une divulgation améliorée et la qualification des professeurs, ainsi que la revitalisation comité de gestion. Ces mesures ont donné des résultats visibles. En 2018, le pourcentage de réussite aux examens de la 12e classe dans l’ensemble de l’Inde, dans les écoles publiques, était de 90,68%, comparé à 88,35% dans les institutions privés (Hindustan Times, 2019). 

En juillet 2019, le gouvernement de Delhi a lancé un « programme du bonheur » pour les élèves de la maternelle à la 8e année, incluant des exercices mentaux, de la méditation et des valeurs morales, dans le but de permettre aux enfants d’être de « bons être humains » et surmonter leurs émotions négatives. D’après le gouvernement, le programme a été un succès et a rendu les élèves plus positifs, plus stable émotionnellement, plus aidant envers leurs paires et a même réduit le nombre d’absences.  

Pourtant, la performance des écoles de Delhi a stagné sur certains indicateurs. Une enquête réalisée par une organisation à but non lucratif, en 2018, a révélé que 23% des enfants âgés de 11 à 15 ans à Delhi avaient abandonné leurs études. Plus récemment, il a été observé que 77% des enseignants recrutés de manière ponctuelle dans les écoles publiques de Delhi n’avaient pas le minimum de qualifications requises pour un recrutement permanent, indiquant que la qualité de l’enseignement reste suspecte. En plus de ça, presque un tiers du corps enseignant était composé d’enseignants contractuels et invités, et un grand nombre de postes était vacant. 

Un des programmes du gouvernement de l’AAP qui a suscité les critiques des experts est Chunauti 2018, dans lequel les étudiants sont classés dans l’un des trois groupes en fonction de leurs habilités d’apprentissage et on enseigne à chaque groupe séparément utilisant des livres personnalisés. Les experts soutiennent qu’une telle ségrégation pourrait avoir des conséquences sur l’estime de soi des étudiants, tout en limitant la diversité sociale dans les salles de classe. En plus de ça, le groupe d’élèves au plus faible niveau d’apprentissage est composé par les élèves des communautés musulmanes, SC et ST. La ségrégation pourrait finir par les éloigner encore plus du grand public. 

Le futur de l’éducation publique 

Le succès et les limites des initiatives évoquées ci-dessus révèlent que, si plusieurs interventions avec une efficacité prouvée peuvent être mises en place, il est nécessaire de mieux programmer et de mieux répartir les ressources, ainsi que de réformer de manière complémentaire les facteurs systémiques, tels que la qualité de la formation des professeurs, le ratio enseignants-élèves et les infrastructures des écoles. En plus de ça, une attention spéciale est nécessaire lors de la conception des programmes pour la première génération d’apprenant des communautés subalternes. Des reformes pédagogiques peuvent ne pas être effectives sans prendre en compte les ressources sociales et les modes dominants de transfert de connaissances. Il a été théorisé qu’une éducation centrée sur l’enfant ne menait pas forcément au développement de l’éducation car le processus est médiatisé par les pratiques pédagogiques et sociales existantes (Sriprakash, 2011). Il est important de souligner que pour que l’école soit réellement égalitaire, les enseignants ainsi que la direction doivent être sensibilisés à une remise en question critique de l’ordre social de la société indienne, incluant les relations de classes, de castes, de genres et régionales. 

Les projets récemment annoncés dans l’État d’Andhra Pradesh ont créé un certain espoir dans cette direction. L’un de ces programmes consiste à convertir toutes les écoles du gouvernement en écoles primaires en anglais, toujours avec le télougou (langue officielle) comme matière obligatoire. Un deuxième projet, Amma Vodi ou  « Genoux de maman », accordera une subvention en espèce pour les dépenses liées à l’éducation, à toutes les mères de familles pauvres ayant des enfants scolarisés. Cette approche a été saluée comme une de celles qui peut changer les structures sous-jacentes de l’éducation publique, avec des importantes implications pour le marché, également.  Les activistes de l’éducation reconnaissent souvent que l’anglais peut donner du pouvoir aux enfants des communautés subalternes et leur permettre de surmonter leurs contextes socioéconomiques, de se connecter à la connaissance globale et de renforcer les processus démocratiques de la société. 

En plus des programmes financés par l’État, plusieurs groupes et coalitions dans le pays s’organisent pour parvenir à des résultats égalitaires dans l’éducation. Le Mouvement National pour la Justices et ses alliés dans tous les états se sont organisés contre la discrimination fondée sur la caste dans les écoles. Une autre initiative importante est le Forum pour le Droit à l’éducation, une coalition nationale de 10 000 organisations, qui inclut des éducateurs très importants. Le Forum a été créé après l’adoption de la loi RTE en 2009, afin de plaider pour son adéquaté implantation et pour exiger une éducation équitable et de qualité pour tous. Le succès de ces initiatives peut aider à débloquer et à manifester le potentiel inhérent de l’éducation publique face à une société plus démocratique et égalitaire.


 

Malik (2015). RTE and Marginal Communities: A Perspective from the Field. Economic and Political Weekly, Vol l No. 5

Manikanta and Lal (2017). Exclusion in Schools: A Study on Practice of Discrimination and Violence. National Dalit Movement for Justice (NDMJ): New Delhi. 

Mehendale (2014). The Question of “Quality” in Education: Does the RTE Act Provide an Answer? Journal of International Cooperation in Education, Vol.16 No.2 (2014) pp.87-103. 

Raj et al (2015). Joyful learning? The effects of a school intervention on learning outcomes in Karnataka. International Journal of Educational Development, 40: 183-195, DOI: http://dx.doi.org/10.1016/j.ijedudev.2014.09.003

Ramachandran and Naorem (2013). What It Means To Be a Dalit or Tribal Child in Our Schools: A Synthesis of a Six-State Qualitative Study. Economic and Political Weekly, Vol XLVIII No. 44 43

Sarangapani, P. (2010). Notes on Quality in Education. (Unpublished paper) presented at Workshop on Quality in Education on December 17-18. Mumbai: Tata Institute of Social Sciences.

Sriprakash A. (2012). Child-Centred Pedagogies and the Promise of Democratic Schooling. In: Pedagogies for Development. Education in the Asia-Pacific Region: Issues, Concerns and Prospects, vol 16. Springer, Dordrecht

Vani K. Borooah (2012). Social Identity and Educational Attainment: The Role of Caste and Religion in Explaining Differences between Children in India. The Journal of Development Studies. 48:7, 887-903, DOI: 10.1080/00220388.2011.621945

 

Shruti Ambast | Inde |

Chercheuse en politique en travaillant avec des questions de finances publiques dans les secteurs sociaux au Center for Budget and Governance Accountability, New Delhi. Elle a auparavant mené des recherches sur l'éducation, droits humaines, genre et travail sur divers think tanks. Shruti a étudié l'économie au Hindu College de l'Université de Delhi et a terminé sa maîtrise en économie à l'Université Jawaharlal Nehru

shrutiambast@gmail.com

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