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periferias 4 | école publique: puissainces et défis

photo: Chimamanda Adichie, Djamila Ribeiro, Lélia Gonzales e Sueli Carneiro | illustration: Juliana Barbosa

Pourquoi lire des femmes philosophes ?

Fábio Borges do Rosário
Marcelo José Derzi Moraes
Rafael Haddock-Lobo

| Brésil |

décembre 2019

traduit par Déborah Spatz

Résumé

 Le texte ici présent a pour objectif de répondre à la question apparemment simple qui est « Pourquoi est-il nécessaire que les hommes philosophes lisent des femmes  philosophes? » Une telle simplicité est, initialement, problématisée par le fait que la question ne suppose pas seulement que le lieu de la philosophie ne concerne encore que le sexe masculin, niant ainsi un grand nombre de femmes philosophes qui ne sont pas prises en compte dans l’Histoire de la philosophie ; plus encore que ça, qu’une telle relation dissymétrique suppose une relation de pouvoir et de soumission des individus du sexe féminin qui n’apparaît pas seulement dans le domaine social, mais aussi dans l’épistémologique. Sans prétendre donner une réponse définie à la question, les trois philosophes qui signent le texte prétendent donner la parole à quelques unes de ces penseuse, dans le but de reprendre leur écriture et leur pensé comme des exemples d’importance de l’apprentissage avec la philosophie faite par des femmes. 

Mots-clés : Femmes ; Philosophies ; Déconstruction

Pourquoi est-ce nécessaire lire des femmes philosophes ?1

Dédié à Carla Rodrigues, Dirce Solis, Fabiana Helena do Rosário, Ivoni Richter Reimer, Jocelina Borges, Jocília Borges (in memorian), Josiane Borges, Karine Moraes, Magda Guadalupe, Maria Barcelos de « Exu Tranca Ruas » (in memorian), Marga Engelbrecht (in memorian) et Sebastiana Borges.

La question qui intitule ce texte apporte, derrière son interrogation, certaines autres et nombreuses questions, ainsi que des exclamations qu’il semble être nécessaires que nous nous attardions un peu à propos d’elles, avant de commencer, à proprement parler, à entrer dans nos spéculations. Tout d’abord, il faut se rappeler qu’on parle d’une question de fait : les femmes philosophes existent bien, elles ont d’ailleurs toujours existé. Même si le substantif de celui qui se dédie à la tâche philosophie est toujours épinglé au masculin, une telle violence grammaticale marque les siècles de répression, d’escamotage et de mal honnêteté par rapport à ces nombreuses femmes philosophes qui ont existé tout au long de l’Histoire de la Philosophie, comme le montre les études actuelles et importantes de Ruth Hagengruber (malgré qu’ils soient restreints au champ occidental de l’Histoire de la Philosophie), créatrice du Centre Européen des Études de Femmes Philosophes et Scientifiques de l’Université de Paderborn2Pour plus d’informations à propos du Centre et sur les recherches de la Professeure Hagengruber, cliquez sur le lien https://historyofwomenphilosophers.org/ruth-hagengruber/ . La première interrogation est donc : pourquoi pensons-nous encore la philosophie comme une tâche philosophique masculine ? Beaucoup d’auteurs ont déjà dénoncé, tout au long du XXe siècle – et même bien avant, si nous pensons aux dures critiques de Olympe de Gouges3 La même année que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Olympe de Gouges a écrit la Déclaration des Droits de la Femme et de la citoyenne. Ensuite, comme une critique de l’œuvre de Rousseau, Olympe a écrit son Contrat Social, proposant l’égalité entre les conjoints dans le mariage. À cause de ses écrits féministes et de l’importante critique politique, elle a été guillotinée en 1793. à l’humanisme français – la dissimulation du masculin (et, par extension, de l’hétérosexuel, du cisgenre, mais aussi de l’occidental, du blanc, des classes dominantes, etc.) derrière la prétendue neutralité de l’Universel. Ainsi, notre première préoccupation est de marquer fortement l’interrogation présente dans le texte, dès son titre, afin de nous souvenir que cette question est, encore aujourd’hui, une question.  

Ainsi, le groupe de personnes qui se consacrent à la tâche philosophique étant composé de personnes nées des deux genres, il faut rappeler que, parmi les deux sexes marqués biologiquement, il y a un groupe qui, juste à cause de cette charge génétique, acquiert certains privilèges dans notre société. Dans ce sens, en plus de dénoncer l’universalité et sa neutralité, il est important de marquer que la dissimulation des questions de sexe et de genre est plus qu’épistémologique, c’est principalement une question politique, puisqu’elle cache le privilège du pouvoir et d’un groupe d’individus sur un autre groupe juste par l’appartenance à un sexe biologique. Cependant, nous pensons que c’est encore plus nécessaire. Si le groupe des individus nés et déterminés biologiquement comme « femmes » semble être un facteur absurde de déprivilèges dans le domaine de la philosophie4Une réflexion importante à propos de la situation actuelle dans la réalité académique philosophique brésilienne est présentée dans l’article que Carla Rodrigues a rédigé pour la Colonne ANPOF (http://anpof.org/portal/index.php/en/comunidade/coluna-anpof/1033-a-filosofia-brasileira-nao-e-feita-so-por-homens ). Il est important de mentionner, comme le fait Carla Rodrigues, la cartographie réalisé par Carolina Araújo au sujet de la situation des femmes dans les programmes de post-graduation en philosophie brésiliens (http://anpof.org/portal/images/Documentos/ARAUJOCarolina_Artigo_2016.pdf )., nous pensons que d’autres marqueurs, comme ceux socioéconomiques, etnico-raciaux et culturels aggravent encore plus ce panorama par rapport à la question du sexe et du genre. C’est pour cela que la question « Pourquoi est-il nécessaire que les hommes philosophes lisent des femmes  philosophes? », malgré le fait qu’elle soit fondamentale, peut paraître un peu vague. Néanmoins, cette vacance indique la multiplicité d’autres questions qui, par opposition, nous arrive avec le simple fait de poser la question. Plus encore : la question apporte avec elle un certain impératif dirigé vers les hommes philosophes, indiquant qu’il est nécessaire de lire les femmes philosophes. Et ce dit « devoir » doit être pensé, en tant que penseurs de la construction que nous sommes, sous la logique de l’altérité, puisqu’il ne s’agit pas seulement d’une coercition morale, de l’ordre de la loi ou du droit, mais en réalité d’un appel éthique qui réclame un changement dans les axes de pensé, de l’un à l’autre. 

Une dernière observation préliminaire concerne l’impossibilité de réponse à la question que nous posons. La question « Pourquoi est-ce nécessaire que les hommes philosophes lisent des femmes philosophes ? », parce qu’on est ici face à une vraie question, on ne peut jamais y répondre d’une façon définitive puisque faire face à son caractère aporétique n’est pas seulement la respecter en termes épistémologiques, mais également penser que, en termes politiques, il y aura toujours un choc de pouvoir et que la question devra toujours être reposée, en essayant de respecter sa force, son contexte et sa singularité. Et c’est dans ce sens que nous, trois philosophes hommes, avons décidé de répondre à la question de l’unique manière que nous pensons être possible : en respectant l’impossibilité, chacun d’entre nous tentera de répondre à la question à sa manière, grâce à l’exercice de la lecture d’une ou plusieurs philosophes, en tentant de penser comment, chacune, à sa manière, nous aide à remettre la question qui nous guide ici, faisant résonner ainsi, non seulement l’impératif de l’urgence mais aussi celui de l’aporie et du respect de la singularité. 

Gayatri Chakravorty Spivak e Nah Dove

II

La nécessité de cet essai se fait par la reconnaissance que, dans la philosophie et dans les sciences humaines, la parole et l’écrit de l’homme sont prédominants et cette prédominance implique la manutention d’un phallocentrisme qui exclut la femme du champ de la pensée. Dans ce sens, beaucoup plus que d’être nécessaire, que de reconnaître, d’apprendre et de lire les femmes philosophes, il s’agit de rendre justice à celles qui, pendant des milliers d’années, ont été exclues du champ philosophique. Une question importante à mettre en avant à propos de notre texte, plus que la considération de l’importance et de la nécessité que les femmes philosophes soient effectivement lues, consiste à en finir et décentraliser l’oppression et la violence des pensées et des pratiques phalliques et sexistes qui excluent d’autres types de savoirs, parmi eux, les savoirs et les pratiques féminines. Il ne suffit pas de lier et de connaître ces philosophes, mais il faut défaire et décentraliser notre machisme. Cependant, ce travail n’a aucunement la prétention d’approfondir conceptuellement, ni de développer la pensée de ces philosophies, il veut par contre mettre en évidence ces philosophies, pour que plus d’hommes, mais aussi plus de femmes, puissent comprendre l’importance, la sophistication et la puissances de ces philosophies qui déstabilisent les pensées les plus classiques et (presque toujours) conservatrices, qui, avec leurs styles différents, leurs abordages des plus diverses, méritent d’être mises avec les autres, et dans certains cas comme étant totalement autres, pour leurs caractères transgressifs, révolutionnaires et inventifs. Nous ne prétendons pas parler de toutes les philosophes existantes et actives, certaines d’entre elles étant, historiquement, oubliées. Nous en mettrons en avant certaines mais nous n’oublions pas de reconnaître à quel point nous pouvons apprendre grâce à tant d’autres, beaucoup d’entre elles étant classiques dans la philosophie et détentrice d’une importance incontestable, qui ont promu une véritable blessure narcissique dans la prédominance patriarcale de la philosophie, telle que : Simone de Beauvoir, Hannah Arendt, Rosa Luxemburgo, Nancy Fraser, Lélia Gonzáles, Angela Davis, Marilena Chauí, Judith Butler, Dirce Solis, Beatriz Nascimento, Grada Kilomba, Helena Theodoro, Nísia Floresta, Olgaria Matos, Luísa Mahin, parmi tant d’autres.

Dans ce cheminement, la lecture et l’écoute de Djamila Ribeiro énumère des questions et des pistes à suivre dans cette trajectoire vers des presque réponses pour que nous pensions la relation entre le racisme et le sexisme. Avant toute chose, nous accueillons l’exigence que toutes les personnes qui se dédient à la philosophie doivent analyser les situations et les conditions d’oppressions, telles que le racisme, le systèmes, les violences de genre, etc., qu’elles soient noirs ou blancs, transgenre ou cisgenre, femme ou homme, non-binaire ou binaire, etc., sans aucune prétention de neutralité d’occupation de la place de parole. Avant toute choses, soyons conscients que chaque parole part d’un lieu ainsi que d’une condition et d’une situation. 

Reconnaître sa propre place de parole et que chaque singularité humaine a une place de parole, c’est le pas initial pour la compréhension des différences et inégalités qui marquent chaque personne, également en ce qui concerne l’écoute de l’appel des changements structurels et dans l’engagement de la lutte pour une société qui accueille toutes les personnes dans leurs différances. Prétendre revendiquer des changements structurels dans la société résonne comme une sollicitation de l’universalité – et c’est de là que nous sommes partis : la philosophie. Changer, solliciter, ébranler la philosophie a lieu quand on s’abandonne à la neutralité philosophie, puisque l’avocate impersonnelle du philosophe escamote la place privilégiée de l’homme-cis-blanc-occidental. Nous partons de la déconstruction, nous défendons la critique du concept de l’homme tel qu’il est défini par les philosophes occidentaux, afin de comprendre l’inversion et le déplacement de la place de chacun des couples binaires biologiquement marqués. Dans ce sens, nous pensons que, pour l’émancipation des femmes noires, la non reconnaissance de leur différence n’est pas suffisante, par rapport aux femmes blanches et aux hommes noirs. Nous recevons l’histoire de Djamila Ribeiro et nous pensons que par identification (non pas comme construction d’une identité), celle-ci puisse parler de l’histoire de beaucoup de femmes noires, avec l’objectif de marquer l’importance de penser dans quelle mesure son combat se rapproche et s’éloigne de l’histoire de femmes blanches et de démarquer que la catégorie « femmes » n’est pas suffisante pour comprendre leurs revendications. 

La trajectoire de Djamila, dont la famille était tellement fière, n’a pas empêché la petite fille de ressentir les effets du racisme qui marque la société brésilienne de manière structurelle et quotidienne. Elle remarquait que les professeures ne s’attendait pas à ce qu’elle sache les réponses aux questions qu’elles faisaient à la classe. Elle avait honte d’être citée seulement quand le cours parlait du passé esclavagiste et que quelqu’un parlait d’elle comme étant une petite-fille d’esclavisés. Elle entendait les garçons dire qu’ils ne voulaient pas former une paire avec elle parce qu’elle est « la petite noire », elle entendait des blagues sur ses cheveux et sur la couleur de sa peau. Toute la situation produisait une sensation d’inadéquation, la perception qu’elle n’appartenait pas à la société brésilienne. Et par rapport à l’appartenance à la société brésilienne, Djamila dit, dans «Estrangeira no próprio país » [ Étrangère dans son propre pays], que beaucoup de brésiliennes à la peau blanche, mais avec seulement un des deux parents blancs, parviennent à transiter dans le pays sans être reconnues comme noires ; cependant, en voyageant en Europe, elles verront dans leur blanchitude – leur héritage noire – et remarquerons, peut-être, à quel point les personnes à la peau matte ou noire remarquent quotidiennement qu’elles sont étrangères dans leur propre pays. 

Et comme l’auteure en fait l’alerte dans « Homens brancos podem protagonizar a luta feminista e antirracista » [Les hommes blancs peuvent faire partie de la lutte féministe et antiraciste], elle mène l’urgence d’un nouveau paradigme qui doit être observer par les hommes blancs [à qui s’adresse le texte] et aussi aux femmes et aux hommes noirs [lecteurs] qui comprennent l’urgence et l’importance de l’unité de toutes les personnes dans la lutte contre les inégalités. S’allier aux femmes noires, ce n’est pas les transformer en objet de recherche ou de contenus de discours ou se mettre comme porte-voix de leurs revendications. L’alliance que les femmes noires défendent, c’est la construction de nouvelles possibilités de trajectoires, principalement que les hommes blancs, les femmes blanches et les hommes noirs partageant et contribuent à la construction des espaces et des lieux dans lesquels les femmes noires tiennent le premier rôle. Qu’ils reconnaissent que les femmes noires possèdent un répertoire riche et puissant qui doit être partagé avec toutes les personnes voulant l’entendre.

Et dans ce cheminement d’accueil et d’écoute, comme le dit Djamila dans « Feminismo negro para um novo marco regulatório » [Le féminisme noir pour un nouveau marqueur de régulation], seule la rupture du silencement imposé aux femmes noires permettra de faire sombrer la subordination qui leur ai imposées – autre de celui de la femme blanche, de celui de l’homme noir, autre de l’autre de l’homme blanc ou, en d’autres termes, le totalement autre. Et l’accueil d’un tel avertissement revient aux hommes noirs qui combattent le racisme, aux femmes blanches qui combattent le sexisme, aux hommes blancs qui combattent le classisme, afin qu’ils entendent les voix de ces femmes qui sont à la tête de l’intersectionnalité de ces luttes. L’unité de lutte pour un nouveau marqueur de régulation a lieu quand les sujets se déplacent et que les revendications de celles qui souffrent le plus des oppressions, celles qui savent que l’autonomie collective ne se produira que lorsque tous et toutes seront accueillis dans leurs différence, dans sa différance, est mise à l’ordre du jour. 

La philosophe noire Gislene dos Santos, dans son livre classique A invenção de ser negro [L’invention d’être noir] nous présente à quel point, dans la Modernité Européenne, l’invention du noir est apparue comme le reflex d’un être qui a besoin d’être plus originaire, et ainsi, pur, pour servir de modèle universel, à savoir, l’homme blanc européen. Gislene détruit le mythe du genre et de la race universel. Ce mouvement qui peut être retrouvé chez beaucoup d’auteures qui permettent de penser tant au patriarcat dans la philosophie, qu’au colonialisme dans la pensée. Par conséquent, ce qu’elle et beaucoup d’autres auteures rend possible est une véritable transformation d’un certain type de pensée droite, érigée, qui ne sait pas travailler et apprendre avec un autre type de pensée, qui voit par la différence, par la déviation, des marges, transversael à ce qui est prédominant dans une structure classique de pensée hiérarchisée. 

Dans son essai Les subalternes peuvent-elles parlent ? La philosophe indienne Gayatri Chakravorty Spivak interroge sur le lieu du subalterne, en présentant à quel point, dans l’histoire de l’occident, un type de pensée prédominant a subalterné certains groupes sociaux et ethniques, et parmi ces groupes, principalement, la femme, associant la violence de la subalternisation à la violence épistémique produite par la pensée occidentale. Ce que Spivak appelle la violence épistémique c’est ce qui pour la philosophe Sueli Carneiro est un épistemicide. Spivak, Sueli et d’autres révèlent toute une logique de subalternisation, l’une comme vérité  historiquement établie mais qui, en réalité, et l’un des plus grands mythes déjà établis comme vérité par l’homme blanc européen occidental, dans sa mythologie blanche.

La philosophe bell hooks5Pseudonyme de l’auteure et activiste Gloria Jean Watkins qui, suivant les impératif de l’émajusculation (comme l’indique Derrida), exige que son nom, bell hooks, soit écrit sans les lettres masculines et les majuscules. Pour en savoir plus, accédez le lien https://blogs.stlawu.edu/evefall15/2015/11/17/bell-hooks-and-derrida/ . procède, dans ses textes, au déplacement, cependant, elle préfère le nommer « transgression ». Dans son livre Apprendre à transgresser, la philosophe afro-américaine se présente comme une véritable maîtresse en nous concédant une superbe leçon de transgression. Inquiète de la lutte antiraciste, sexiste et de tous les types d’oppression envers les minorités, bell hooks, dans une pensée enthousiaste et puissante, conduit le lecteur dans ce mouvement de transgression de ce qui est donné comme étant prédominant. Dans ce sens, bell hooks travaille radicalement avec le déplacement des hiérarchies, qui commencerait, principalement, dans la salle de classe. Inquiète des pratiques libertaires bell hooks pense comme un horizon une vide libre et heureuse et, pour cela, l’auteure ne mesure pas les efforts pour tendre les pratiques et les discours qui ont comme fin l’oppression. 

Estamira

III

Écrire la « conclusion » d’un texte qui, par définition, ne devrait pas être conclu. Dans ce sens, nous ne pouvons, ainsi, que commencer (à terminer) en nous présentant à travers les questions qui, aujourd’hui, sont les plus urgentes dans le contexte de la pensée philosophique – et montrant à quel point nous avons appris, avec ces femmes philosophes, à tenter de telles interrogations (parce que nous ne nous sentons que capables de tenter de poser ces questions, sans savoir si un jour nous en aurons la compétence – ou la prétention, ce que nous ne voudrions pas avoir – d’être capables d’y répondre). Ainsi, ce sont des petites observations, et peut-être la même, avec lesquelles nous concluons ce texte entrelacé : la première parle de ce que nous pourrions ici appeler la « sexualité » ou de notre surprise par rapport à la prétendue « assexualité » de la philosophie ; la seconde, concerne ce que nous pourrions appeler la « colonialité » ou de notre surprise avec le caractère prétendu être « sans couleur » de la philosophie, et ce sont sur elles que, pour finir cet essai, nous nous arrêterons.

En 2014, l’Argentine bouillonnait au milieu du débat à propos du mariage des personnes de même sexe. Ce qui a été marquant à l’époque, devant un [absolu] silence de la communauté philosophique brésilienne, c’est l’engagement des collègues argentins, de toutes les lesbiennes assumées, pour défendre d’un point de vue philosophique, le mariage gay. Au Brésil, une grande amie et grande philosophe nous offre un livre d’une autre philosophe qui marquerait profondément notre prise de décision en tant qu’intellectuels et nous aiderait à commencer de telles réflexions sur l’engagement entre la métaphysique et l’hétéronormativité (ou cislogisme, comme nous préférons l’appeler). Les deux noms de ces grandes femmes auxquelles nous faisons référence ici sont la philosophe brésilienne Carla Rodrigues et la philosophe, à l’époque, catalane Beatriz Preciado. 

Carla Rodrigues est peut-être la philosophe avec laquelle nous apprenons le plus et peut-être la personne de qui nous avons lu le plus de texte, marquant, en plus d’une amitié sans égal, un affectif échange intellectuel. Tout ce que nous savons, encore aujourd’hui, sur les questions de genres, nous l’apprenons directement ou indirectement avec Carla. Et comme tout cadeau digne de ce nom, en d’autres termes, quand on ne connaît pas la dimension du cadeau que l’on offre, l’entrée en scène de Manifesto Contrasexxual de Preciado, marquerait non seulement notre trajectoire intellectuelle, mais aussi notre vie. Preciado, ainsi que Beatriz, écrit de la place de la lesbienne qui entreprend une tentative radicale d’ébranler l’axe de l’hétéronormativité qui, de différentes manières, a des répercutions sur tous les corps – hommes et femmes ; hétéro, bi et homosexuelles : cis ou transgenre, transsexuels et travestis. Beatriz Preciado nous convoque à penser, d’une seul coup (de gode), la nécessité d’un retour à la maternité des corps et en même temps d’une critique radicale à l’idée de la nature. 

Beatriz nous apprend la transitorité des corps et les limites altérés de n’importe quelle identité et comment la pensée doit s’alimenter de ces questions posées à nos corps. Et ce n’est pas par hasard si, des années plus tard, Preciado entreprendrait sa plus grande expérience philosophie : Texto Junkie, dans lequel le, à présent, auteur en transition Paul B. Preciado écrit ses impressions philosophiques à partir de son auto-administration, sans prescription médicale, de testostérone. Preciado, ainsi, nous offre la plus grande œuvre empiriste des derniers siècles. Une chose importante à souligner (puisque le lecteur pourrait, ainsi, objecter la raison pour laquelle nous parlons, ici, d’un auteur qui, aujourd’hui, est un homme trans) est Paul B. Preciado, dans sa radicale critique aux identités, étant le premier philosophe trans, il défend que, malgré sa performance corporelle masculine, il aimerait qu’on se réfère à son œuvre comme étant celle d’une « femme philosophe», pour marquer la différence sexuelle et montrer qu’être désignée comme « femme philosophe » est principalement un travail politique. 

Et c’est avec la philosophe Estamira que nous clôturons ce texte, la laissant parler – elle, une femme, pauvre, noire, patiente psychiatrique, qui montre à quel point nous, les gommes, blancs ou noirs, cis ou trans, hétéro ou homosexuels, nous avons encore à en apprendre (et beaucoup) avec ces corps que nous possédons, apparemment, seulement comme un marqueur de différenciation, le sexe biologique, mais qui nous présentent une expérience philosophique inscrite avec l’article féminin, qui, peut être alors, peut ouvrir la philosophie à tant d’autres différence à tel point qu’elle, un jour, peut devenir un champ de connaissance ouvert à des singularités, pluriel et effectivement démocratique. C’est celui-là notre désir et le travail que nous assumons, ceux avec lesquels nous signons ce texte et avec lequel que nous nous asseyons, ensemble, et nous écoutons la voix d’Estamira, qui nous dit : 

« Ma mission, en plus d’être moi, Estamira, est de révéler la vérité, seulement la vérité. Qu’elle soit mensonge, qu’elle capture le mensonge et le jette à la figure, ou alors qu’elle apprendre à montrer qu’ils ne savent pas, les innocents… Moi, Estamira, je suis la vision de chacun. Personne ne peut venir sans moi. Personne ne peut vivre sans Estamira. Et je me sens fierté et tristesse, pour cela. »


 

ADICHIE, Chimamanda Ngozi. Para educar crianças feministas: um manifesto. São Paulo: Companhia das Letras, 2017.

_______. Sejamos todos feministas. Tradução: Christina Baum. São Paulo: Companhia das Letras, 2014.

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CARNEIRO, Sueli. A construção do outro como não-ser como fundamento do ser. Tese de doutorado apresentada ao Programa de Pós-graduação em Educação da Universidade de São Paulo, 2005.

DOVE, Nah. Mulherisma africana: uma teoria afrocentrica. Tradução de Wellington Agudá. Jornal de Estudos Negros, vol. 28, nº 5, maio de 1998.

GONZALES, Lelia. “Racismo e sexismo na cultura brasileira.” In: SILVA, Luiz Antônio Machado et alii. Movimentos sociais urbanos, minorias étnicas e outros estudos. Brasília, ANPOCS, 1983.

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PRADO, Marcos. Estamira: fragmentos de um mundo em abismo. São Paulo: n -1. 2013.

PRECIADO, Beatriz. Manifesto contrassexual. Tradução de Maria Paula Gurgel Ribeiro. São Paulo: n-1 edições, 2014.

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_______. Quem tem medo do feminismo negro? São Paulo: Companhia das Letras, 2018.

SANTOS, Gislene. A invenção do ser negro. São Paulo: Pallas, 2005.

SPIVAK, Gayatri Chakravorty. Pode o subalterno falar? Tradução de Sandra Regina Goulart Almeida, Marcos Pereira Feitosa e André Pereira Feitosa. Belo Horizonte: UFMG, 2010.

Fábio Borges do Rosário | Brésil |

Chercheur à l’Institut Maria et João Aleixo (IMJA). Professeur à la Seeduc, titulaire d’un Master en Philosophie et Enseignement par le Cefet-RJ.

professorfilosofiafabio@gmail.com

Marcelo José Derzi Moraes | Brésil |

Professeur à l’Université de l’État de Rio de Janeiro. Professeur à la Seeduc-RJ. Docteur en Philosophie par l’Université de l’État de Rio de Janeiro.

Rafael Haddock-Lobo | Brésil |

 Professeur à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Docteur en Philosophie par la PUC-RJ.

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