Repenser l’éducation : les défis de l’éducation palestinienne sous l’occupation
Rasha Alshakhshir
| Palestine |
décembre 2019
traduit par Déborah Spatz
Résumé
L’éducation palestinienne fait face à de nombreux combats et contraintes à cause de l’occupation israélienne. Ainsi, de nombreux professeurs et apprenants ont été touchés par un ou plusieurs inconvénients et vulnérabilité d’un contexte complexe. Ceci créé une situation dans laquelle beaucoup ne pourraient pas avoir accès aux services éducatifs. Cependant, l’éducation est l’un des éléments clés sur lesquels les palestiniens comptent pour atteindre leur liberté et s’émanciper de leurs combats. Par conséquent plusieurs groupes locaux ont reconnu l’importance de la participation des enseignants ainsi que des apprenants dans le processus éducationnel, pour une éducation qui donne du pouvoir à leurs voix, émancipe leur mentalité et leur permet d’exercer leur droit.
Mots clés : Éducation sous occupation ; vulnérabilité ; éducation émancipatrice ; repenser l’objectif de l’éducation.
Une éducation sous l’occupation
Depuis 1984, les professeurs et les étudiants palestiniens ont fait face à de nombreux défis liés à l’occupation israélienne, qu’ils soient politiques, économiques ou culturels. Les violations des droits de l’Homme se sont poursuivies en parallèle, créant une réalité dans laquelle les Palestiniens sont confrontés à une fragmentation de leur pays ainsi qu’à un statut politique et économique qui maintient de nombreux palestiniens sous le seuil de pauvreté. Beaucoup d’élèves abandonnent l’école pour travailler ou pour se marier tôt, et ceci est particulièrement vrai pour les filles dans l’enseignement secondaire. Les familles craignent pour leur sécurité à cause des attaques des colons, des check-points et des difficultés de transport. Ces facteurs ont empêché les Palestiniens d’exercer pleinement leurs droits.
Les Palestiniens sont exposés à différents niveaux de difficultés et de limitations pour accéder à leurs droits, principalement en ce qui concerne leur droit à l’éducation. En d’autres termes, les professeurs et les élèves palestiniens ont été affectés par les inconvénients et les vulnérabilités liés à la localisation, à l’exposition à la violence, à des facteurs économiques, institutionnels et politiques et à des normes socioculturelles (UNDAF, 2017). Ces facteurs sont étroitement liés à l’éducation et, souvent, ne permettent pas aux élèves d’avoir accès à l’école, un effet qui va de paire avec la marginalisation et le manque d’inclusion des élèves, principalement pour élèves qui ont des troubles de l’apprentissage.
Vulnérabilité à la lumière de l’occupation
Le discours autour du terme de « vulnérabilité » est récemment devenu très important dans les conversations autour des droits de l’Hommes et de la bioéthique, par rapport aux espaces de pouvoir, désignant les partis comme étant vulnérables par rapport aux catégories et aux suppositions. Cependant, le contexte palestinien sous l’occupation a permis d’exagérer la vulnérabilité des professeurs et des élèves palestiniens. Selon le document d’ « analyse commune du pays » des Nations Unies, tous les Palestiniens sont relativement vulnérables à cause de l’occupation, même si certains sont systématiquement plus défavorisés et vulnérables que d’autres. L’UNESCO a identifié 20 groupes présentant les principales formes de vulnérabilité : « les adolescentes, les femmes exposées à la violence sexiste (VBG), les familles en situation d’insécurité alimentaire dirigées par des femmes, les enfants confrontés à des obstacles d’accès à l’école, les enfants en situation de travail forcé, les enfants soumis à la violence, les enfants non-scolarisés, les jeunes, les personnes âgées, les communautés de la Zone C, les Bédouins et les communautés de bergers vivant dans la zone C, les habitants de Gaza n’ayant pas accès à l’eau et aux installations sanitaires, les habitants de Hebron H2, les habitants de la zone de couture, les personnes handicapées, celles ayant besoin d’une recommandation médicale urgente, les réfugiés vivant dans une pauvreté abjecte, ceux résidants dans des camps, les petits agriculteurs, les éleveurs non-bédouins, les pêcheurs ainsi que les travailleurs pauvres » (UNESCO, 2016, p. 43).
Les défis à venir pour l’éducation émancipatrice
Ainsi, pour les Palestiniens, l’éducation est l’élément fondamental pour l’émancipation par l’éducation et pour la libération des traces coloniales, de l’atteinte de l’autodétermination et de la souveraineté. L’éducation joue un rôle important dans la production et dans la reproduction des modes coloniaux, de la pensée et des aspirations postcoloniales, puisque les écoles peuvent offrir un espace idéologique pour la réflexion à propos des philosophies et des programmes dominants (Said, 1994). La portée de ce discours a aussi affecté d’autres espaces d’éducation, telles que les politiques, les programmes et les pédagogies.
Dans les discours palestinien, Edward Said a critiqué l’étiquette de « postcolonial » et a, au lieu de ça, parlé des formes actuelles de discours et de pratiques coloniales en termes d’effets sur les personnes vulnérables et marginalisées, en expliquant l’importance du pouvoir colonial sur les problèmes d’identité, de représentation et d’échanges culturels, contribuant, enfin, à une meilleure compréhension du « pouvoir du savoir » lié aux problèmes d’éducation. (Rizvi et Lingard, 2006).
Puisque les impératifs économiques et la mondialisation ont affecté les politiques et les pratiques éducatives dans les pays du Sud, les Palestiniens se sont retrouvés, en tant que citoyens, forcés à combler les lacunes et le manque dans le secteur économique, en appliquant des changements dans la conception du système éducatif pour s’adapter au marché et pour contribuer à construire la capacité de l’État. L’aperçu de la situation complexe montre un vide dans les politiques et les pratiques qui affectent les professeurs et les élèves, principalement en ce qui concerne les barrières comme la stigmatisation et la discrimination.
Repenser l’éducation… Changer les mentalités
Cette action a eu un effet sur le l’bojectif et sur la raison de l’éducation, l’éducation est sûr, comme l’a souligné hooks (2003) « l’empouvoirement, la libération, la transcendance », apprendre à s’engager pleinement dans le présent, et à se comprendre dans le monde dans lequel on vit (p. 43), plutôt que de recevoir des informations et de se préparer pour le travail. Elle décrit également les conséquences des pratiques dans les établissements qui affaiblissent le processus d’éducation démocratique, décourageant les élèves d’être des apprenants actifs, perdant la joie d’apprendre, et rendant l’éducation répressive et oppressive, en élargissant les classes et la divisons de genres.
La pratique pédagogique dans les écoles palestiniennes est historiquement centrée sur le professeur. La lecture est la principale méthode d’enseignement utilisée et les élèves doivent mémoriser le matériel pédagogique. Les salles de classe sont organisées en rang, et les mouvements ainsi que la liberté de conversation sont contrôlés et minimisés. Les élèves vus comme « excellents » reçoivent plus d’attention, alors que les autres sont négligés. Cela réduit la capacité d’accès à répondre aux besoin individuels de chaque apprenant, ainsi que le droit de parvenir à l’égalité des chance. (Al-Ramahi et Davies 2002).
Malheureusement, ce système d’éducation et cette conception ont été mis en place après le mandat britannique en Palestine, dans le cadre de la politique coloniale dans les pays colonisés. Ces systèmes étaient maintenus malgré la présence de méthodes d’éducation innovatrices et libératrices, telles que celle de Khalil Sakakini, connu pour son modèle d’éducation orienté ver la découverte de la nature de la Palestine à pieds, en faisant marcher les élèves à travers les villages et les collines, cela faisant partie du programme d’études. Ce programme était basé sur la culture et la nature arabe et palestinienne, incluant des processus d’apprentissage qui englobent des expériences de vie et des connaissances (Sukarieh, 2019).
La pédagogie existante échoue à soutenir la pensée critique et la prise de conscience de leur situation et de leurs aspirations par les élèves. Par conséquent, développer une compréhension de l’objectif de l’éducation devrait se faire au de-là des portes de l’école, en développant des philosophies, des approches et des pédagogies qui devraient être utilisées comme une éducation effectivement émancipatrice, en changeant les mentalités et en ouvrant les esprits à de nouvelles perceptions de la liberté.
Mais nous ne pouvons pas non plus négliger le pouvoir des activités du programme caché et de l’éducation informelle que les professeurs palestiniens pourraient utiliser pour créer un espace pour le dialogue et pour l’engagement démocratique, en élevant les consciences et en explorant différentes compréhensions face aux limitations des enseignants. L’importance de l’éducation émancipatrice pour les Palestiniens est de plaider pour la compréhension et de défier les forces sociales et politiques qui ont le pouvoir.
Adhérer au changement
Récemment, de nombreux mouvements citoyens ont reconnu la nécessité d’adopter des pratiques émancipatrices en réponse à la répression israélienne et aux restrictions imposées à l’éducation durant la première Intifada, anticipant et renforçant la prise de conscience politique dans le but de mobiliser les actions en faveur d’une société plus juste socialement. Ces initiatives sont tournées vers des modèles et de approches d’émancipation en matière d’apprentissage et d’enseignement, et encourage les professeurs à développer des interventions plus participatives et un engagement avec leurs communautés, en établissant de nouvelles compréhensions de la citoyenneté et en permettant aux élèves d’atteindre le potentiel espéré.
Les initiatives d’émancipation dans l’éducation palestinienne ont été répertoriées par Ramahi (2015) dans neuf organisations et initiatives individuelles : Tamer Institute for Community Education, Salamn Halabi Forum, Teacher Creativity Forum, Afkar for Educational and Cultural Development, Campus in Camps, Ziad Khaddash, American School in Palestine, Filastiniyate et Ashtar Theatre.
Ces initiatives et programmes proposent diverses méthodes et approches. La gamme d’initiatives concerne la nature, en passant par des programmes qui défendent l’éducation communautaire, des forums, des débats, des projets sociaux, la participation à des journaux de jeunes et une formation théâtrale pour les groupes marginalisés qui ne peuvent pas avoir accès aux services. L’initiative propose également un programme qui permet aux professeurs de transformer les conditions d’enseignement de leur école, en associant la théorie avec l’action à travers la pratique. Les interventions communautaires assurent aussi l’équitable participation des femmes palestiniennes, ainsi que des jeunes pour promouvoir la conscience de genres, l’empouvoirement et le protagonisme.
Bien que le système éducatif palestinien souffrent de diverses lacune dans les programmes, les politiques et les pratiques, ces programmes ont le potentiel de créer des atmosphères pour la valorisation de la participation des élèves et de développer leur pensée critique – principalement quand ils sont étendus à l’éducation formelle, atteignant et influençant la majorité des professeurs et des élèves à travers la Palestine. Cela pourrait indiquer, dans le contexte palestinien, le développement d’orientations en termes de politique et d’innovation dans les pratiques pédagogiques.
Originel en Anglais
Al-Ramahi and Davies (2002) 'Changing primary education in Palestine: Pulling in several directions at once', International Studies in Sociology of Education, 12(1), pp. 59-76.
bell hooks. (2003) Teaching Community, Pedagogy of Hope. Routledge, London.
Ramahi, H. (2015) Education in Palestine: Current Challenges and Emancipatory Alternative: Rosa Luxemburg Stiftung. Available at: http://www.rosaluxemburg.ps/wp-content/uploads/2015/11/RLS-Study-29.11.15-final.pdf.
Rizvi and Lingard (2006) 'Edward Said and the Cultural Politics of Education, Discourse', Studies in the Cultural Politics of Education, 27(3), pp. 293-308.
Said, E. W. (1994) Culture and imperialism. London: Vintage.
Sukarieh, M. (2019) 'Decolonizing education, a view from Palestine: an interview with Munir Fasheh', International Studies in Sociology of Education, 28(2), pp. 186-199.
UNDAF (2017) United Nations Development Assistance Framework State of Palestine 2018-2022
Available at: https://www.undp.org/content/dam/papp/docs/Publications/UNDP-papp-research-undaf_2018-2022.pdf.
UNESCO (2016) Common Country Analysis 2016 :“Leave no One Behind: A perspective on Vulnerability and Structural Disadvantage in Palestine”. Available at: https://unsco.unmissions.org/sites/default/files/cca_report_en.pdf.
Pictures:
Pictures (1 & 3) Obtained from online source: https://www.tamerinst.org/en/content/reports/46.
Picture (2) Obtained from online source: https://www.mintpressnews.com/israel-forces-destroy-palestine-school-day-before-classes-begin/231275/.
Rasha Alshakhshir | Naplouse, Palestine |
J’ai travaillé en tant que professeure, appliquant la méthode Montessori chez les pionniers, dans les écoles Montessori, à Naplouse, puis j’ai travaillé à la tête du département Montessori à l’Institut de l’Enfant Palestinien, en plus d’être chargée de cours à l’Université Nationale An Najah. Actuellement, je suis étudiante doctorante à l’Université de Dundee, à l’école d’Éducation et de Travail Social
r.alshakhshir@dundee.ac.uk