essais

periferias 9 | Justice et droits dans la migration Sud-Sud

Explorations créatives de l’Accès à la Justice

Avec de la musique et la chanson, le mouvement et la danse, le textile et les costumes en tant que langage, on réfléchit à la manière dont nous testons et communiquons de nouvelles perspectives artistiques sur le contexte migratoire

Gameli Tordzro

| Ghana |

octobre 2023

traduit par Déborah de Oliveira Spatz

Une scène représentant la réconciliation dans la retransmission en direct de R&D, sur la scène Noyam. Photo de Gameli Tordzro

En mai 2022, nous sommes arrivés à Dodowa, au Ghana, pour travailler sur le module de travail sur les arts, la résistance créative et le bien-être du MIDEQ (WP11), ainsi que sur le module de travail à propos de l’accès à la justice (WP8), qui avait pour titre Justice : une danse de la migration. Avec l’Institut de Danse Africaine Noyam (Noyam), nous avons animé une semaine de recherche et de développement pilote du projet pour tester nos méthodes et nos processus. Les méthodes artistiques, ainsi que les processus sont, par leur nature-même, basés sur l’interaction couche après couche, des réflexions et une exploration collaborative. Cela a créé de nouvelles perspectives, des idées, une compréhension pour créer des morceaux de musique engageants, des mouvements et du textile. Nous avons co-créé la musique, du textile et des danses initiaux, comme une performance scénique qui a été diffusée en direct pour engager les deux publiques dans le théâtre Noyam, à Dodowa et au-delà.

 

L’importance du langage

Chaque élément de la performance a été considéré comme étant un langage pour communiquer de nouvelles perspectives artistiques sur les données de recherche du MIDEQ. La production a offert l’opportunité d’apporter dans la narrative un nouveau langage de la musique, du mouvement, de la fabrique, du textile, des couleurs. Nous utilisons le dangbe, l’akan, l’ewe, le ga, ainsi que d’autres langues de personnes impliquées dans la pièce de théâtre, y compris l’anglais. La performance est donc née à travers une discussion exploratoire immersive, une expérimentation et une réflexion, ainsi qu’interprétation sur les concepts de « justice », d’ « accès » et d’ « accès à la justice », ainsi que des implications d’inégalité et de développement de la migration Sud-Sud pour les connaissances indigènes et les perspectives de langages des artistes participants à Dodowa. 

Nous sommes passés par des groupes de discussions pour définir le sens de l’accès et de la justice dans le contexte des cultures traditionnelles à travers une fouille linguistique critique du sens et des valeurs investies dans les terminologies des deux mots. Par exemple, en effectuant des fouilles sur le mot justice en dangbe, « dami », nous avons découvert que les deux concepts qui forment le mot « da » — se tenir debout ou être, et « mi » - pointer vers « debout » pour un autre. Ainsi, ils mènent vers le concept de « midalor » ou médiateur. Nous avons également remarqué les significations phonologiques et correspondantes communes des deux mots « mida » et médiate [servir de médiateur]. Ceci est conforme aux multiples terminologies européennes modernes excavées (que nous avons découvertes dans une autre recherche connexe), que nous sommes étymologiquement reliés et enracinés aux Ewe, Ga, Akan et Dangbe (y compris des mots comme knowledge [savoir], danger, phénomène, ego et beaucoup d’autres). 

Ce processus de fouille linguistique du sens et ce qu’il révèle, permet une nouvelle compréhension de notre participation artistique et universitaire dans la façon dont elle traite le langage, la connaissance et la compréhension. Il donne aux artistes créatifs qui participent, l’opportunité de devenir des contributeurs au développement d’une nouvelle compréhension autour des questions de l’accès à la justice, ainsi qu’aux processus de traitement des inégalités et du développement dans des contextes de migrations Sud-Sud. Cela a également mené à un nouveau titre pour la pièce,  Dami, Mini Kuraa Ji Dami ? Que signifie Justice ? Qu’est la justice dans ce monde ?

Le directeur de Noyam, Nie Tete Yartei dans une discussion en plein air illustrant les aspects du mouvement et de l’interprétation dans la danse 

La pièce co-conçue : la phase de recherche et de développement

La performance commence par deux nouvelles chansons qui ont été créées durant ce processus, commençant par « Justice must Surely Prevail » [la Justice doit évidemment prévaloir] et se terminant par « We Need Justice » [Il nous faut la justice] en dangbe et en anglais. Durant le spectacle, des danseurs, qui représentent différentes cultures voyagent dans une partie du monde différente. Ils emportent beaucoup d’objets importants de leurs origines, leurs expériences et de leur vision du monde. La calebasse, un objet central du spectacle, est revêtue de tissu blanc. Elle représente « une fontaine infinie » de justice placée devant tout monde durant le voyage.

Avec en toile de fond des draps mettant en scène un endroit quelconque dans le monde, les danseurs construisent un établissement temporaire en utilisant des objets et des articles avec lesquels ils migrent sous la forme et la représentation métaphorique d’une boîte. Ceci est un contraste avec la calebasse sphérique, ou Ego, comme on l’appelle en langue ewe, qui représente notre monde partagé et nos valeurs de justice. La boîte devient pour eux la maison, home, (Ahome dans le dialecte Anexɔ d’Ewe parlé au Togo ou au Bénin), ce qui symbolise également les diverses idées préconçues, les mentalités et les constructions sociétales de justice, ainsi que les limitations implicites à l’accès universel. À ce point de transit, plusieurs scénarios qui explorent les idées de genres, d’éducation, de religion, de travail, d’économies, de culture, d’abus de pouvoir, de souffrance, de médiation et d’approches réconciliatrices de justice sont exécutés. Ils proviennent de mouvement entre, autour et au sein de la boîte, ainsi que de la calebasse Ego blanche. Ego symbolise la justice universelle incontestée et son libre accès. Chaque fin de scénario se termine à Ego, et un verre bu à partir de la calebasse représente l’unique point où atteindre la justice. Les danseurs s’éloignent de la calebasse lorsque la justice n’est pas vécue, obtenue ou considérée comme rendue.

La couleur, le textile, le costume, la scénographie et les accessoires jouent un rôle important avec le mouvement et la musique dans la communication des idées, l’ambiance dans la narrative et l’histoire de la pièce. La pièce culmine avec la communauté, pour déconstruire la boîte métaphorique et l’utiliser pour transporter les morts vers un nouveau futur guidé par le monde des valeurs se trouvant dans la calebasse. De manière significative, le concept consiste à réévaluer nos perspectives, nos connaissances, notre culture, notre vision du monde, ainsi que les politiques qui en émergent. Nous ne devons pas rester confiner dans une boîte sinon, on se retrouve coincés et incapables de nous développer.

La documentation vidéographique fait partie intégrante de notre méthode et de notre processus artistique. Nous avons enregistré le processus et produit des courts-métrages documentaires du processus — « Justice, une danse de la migration »1https://vimeo.com/746034280. Nous avons également produit un jingle diffusé pour annoncer la présentation de Dami au théâtre Noyam à Dodowa.

Chaque session de discussion a exploré les valeurs conceptuelles investies dans les mots, ainsi que dans les langues dans lesquels la justice et l’accès sont exprimés, exécutés, représentés et compris d’une langue à l’autre. Notre tâche a été d’explorer et de décrire les interprétations, la compréhension et l’expérience de justice, d’accès, d’inégalité et de développement. Nous les avons réalisées à travers de méticuleux processus de création d’interprétation musicale, à travers le mouvement du corps dans la danse, et dans les tissus, les couleurs, le textile et les designs. Enfin, nous avons filmé les activités, ainsi que la performance pour des récits à l’écran des méthodes et des processus de recherche artistique.

La formation en confection textile a été intégrée dans le processus de conception des costumes et des décors
Naa Densua Tordzro dans une discussion de groupe en plein air avec des artistes participants de Noyam. Photo de Gameli Tordzro
Ruth Osabutey, l'une des chanteuses participantes, a décidé de s'essayer à la Kora pour la première fois.
Charlotte Opoku et Mary Sabla sous la formation d'opération de caméra du cinéaste Dodowa Vincent Krah.

Le processus est la clé

Comme indiqué ci-dessus, nous avons discuté avec tous les participants des concepts clé autour de justice, de l’accès à la justice, de l’inégalité et de développement dans les différents langages présents dans le groupe durant l’élaboration de la pièce.

En nous appuyant sur diverses valeurs indigènes et culturelles du tissu, de la couleur, des sons, de la musique, des objets, des corps, du mouvement, de la mémoire et de la voix, nous avons travaillé en petits groupes et réunis ensuite les segments par l’expérimentation, la structuration dramaturgique, les dispositifs de narration et la répétition.

Un élément important de ce processus était le développement de compétences et de capacité de tous les participants. Les participants ont été encouragés à explorer de nouvelles activités telles que la musique, le tie-dye, les mouvements et la danse, la couture et la confection de costumes, ainsi que la scénographie et la construction. Nous avons construit une formation spéciale en enregistrement et production pour cinq jeunes femmes, dans ce qui deviendrait plus tard notre « Studio dans les bois ». Nous avons également fait face et relevé certains défis liés à la gestion des entreprises et des industries créatives, aux compétences et aux pratiques entrepreneuriales nécessaire au maintien du précieux héritage que de tels projets laissent dans une communauté comme celle de Dodowa. Ainsi, nous avons débuté un entraînement informel en administration du théâtre, ainsi qu’un transfert de compétences au directeur artistique de Noyam pour assurer que des projets comme celui-ci continuent sur le long terme.

Gameli Tordzro s'adressant au public présent et en ligne sur les processus créatifs de l'engagement R&D.

Connaissances

Les chercheurs du MIDEQ dans divers modules de travail, ainsi que dans divers domaines sont en mesure de travailler avec les chercheurs du WP11 afin de « traduire » les résultats de leurs recherches en résultats créatifs accessibles à un public plus large que ce ne serait général le cas pour les résultats universitaires. Les aspirations sont que les universitaires, les partenaires communautaires dans la recherche, ainsi que les responsables de l’implantation des politiques et du développement communautaire soient en mesure d’observer ce travail comme étant des approches d’interprétation supplémentaires/alternatives à la recherche universitaire et à l’engagement communautaire. Un tel engagement profite de l’opportunité de déplacer notre échange de connaissances de recherches au-delà du monde académique dans le domaine de la communauté à travers de multiples langages.

En règle générale, on attendrait d’une telle recherche qu’elle soit faite en anglais et publiée dans un texte en anglais et peut-être traduite dans d’autres langues dominantes. En mettant en avant les arts créatifs en tant que langage dans lequel plusieurs langages sont en interaction et élargissent la portée de la conceptualisation, et à travers l’exploration de multiples conceptualisations culturelles dans le contexte de la migration du Sud Global et Sud-Sud, nous espérons étendre la compréhension et la portée de notre recherche.


 

Gameli Tordzro | GHANA |

Multi-artiste ghanéen, chercheur, consultant et professeur à l'Université de Glasgow. Gameli est artiste résident à l'UNESCO RILA et chercheur associé au MIDEQ. Ses recherches portent sur les arts créatifs, la traduction culturelle, la langue et l'éducation, avec un accent sur la musique afro-diasporique, la production audiovisuelle et la narration.

@meligkt

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