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La Garganta Poderosa

La Gorge Puissainte

| Argentine |

traduit par Déborah Spatz

Nous sommes un mouvement latino-américain révolutionnaire, né des entrailles des Villas [bidonvilles] de Buenos Aires, en Argentine, il y a plus de 15 ans et qui articule aujourd’hui 120 assemblés territoriales dans 12 pays d’Amérique Latine.

Pourquoi la Poderosa? À cause l’importance que le mot « pouvoir » a pour tous et toutes les membres de l’organisation, bien qu’il soit accusé d’avoir une connotation négative pour son utilisation au profit d’intérêts individuels, de forme autoritaire et violente par ceux qui font de la politique d’une simple administration d’intérêts pour concentrer la richesse et l’arrogance, le « pouvoir » réel pour ceux dont la principale urgence est le fait de manger, de rencontrer, de discuter ainsi que le geste collectif qui transforme nos vies et celles de toute la communauté. Ce pouvoir populaire que nous revendiquons vient d’en bas, sans grandes transactions monétaires au centre, ni contributions financières, nous construisons jour après jour dans chaque quartier où nous organisons, à chaque minute partagée avec nous voisines et nos voisin(e)s, à chaque discussion et à chaque assemblée. Ce véritable pouvoir ne dépend pas de millions de dollars, ni de publicité aux heures commerciales de la télévision, c’est pour ça que nous avons peur chaque fois que nous montrons nos têtes, parce qu’ils ne peuvent pas comprendre et encore moins permettre qu’une expression de liberté et de dignité naisse de l’immense potentiel créatif de l’humanité.

Cependant, ce pouvoir que représente la santé ne vient pas seulement de notre nom, il y a également la devise avec laquelle Ernesto Guevara et Alberto Granados sont partis en Amérique latine afin de connaitre les réalités distinctes des peuples. C’est grâce à cet apprentissage internationaliste et à la migration qui constitue notre réalité que nous avons décidé de traverser les veines du continent pour nous confronter aux nécessités au-delà des frontières de notre pays.

Education populaire

La Poderosa a commencé à la Villa Zavaleta, située dans la ville de Buenos Aires, durant les matchs de football populaire avec un groupe de jeunes qui ont décidé de se rassembler pour défendre les droits auprès du quartier et pour tout le quartier. Un football avec ses propres règles, adapté aux nécessités des pratiquants. Dès l’origine, l’identité était très fortement latino-américaine parce qu’avant et après les matchs de football mixtes, il y avait des jeunes d’origines diverses, nés dans d’autres pays, enfants d’immigrants. Dans les Villas d’Argentine, différentes cultures, voisin(e)s venus chercher de meilleures conditions de vie, vivent ensemble. Ces liens familiaux, d’amitié entre ceux qui ont quitté leur pays, ceux qui l’ont fui et ceux qui ont reçu ceux qui ont fui sont la clé pour que La Poderosa puisse prendre de la force dans toute l’Amérique Latine. Après plusieurs années de parcours, ce sont aujourd’hui les enfants qui ont commencé avec le football populaire, qui entraînent les nouvelles générations qui les rejoignent. Et c’est là que se trouve la transformation et l’empouvoirement que nous essayons de construire, ce pouvoir ce que nous comprenons se construit de bas en haut, toujours les pieds dans la boue. 

Doucement sont apparues des coopératives de travail, de textiles, de menuiserie, de forgeron, de construction, de gastronomie, de design, entre autres. Les Maisons des Femmes et desDissidences ont également vu le jour. Nos activités, tournées vers les enfants et les jeunes ont pour objectif de les faire perdre la peur de parler, de penser et de participer, ainsi que d’inciter et de soutenir leur scolarité, en les accompagnant par le soutien scolaire, des ateliers récréatifs, culturels et sportifs qui fonctionnent comme des espaces de confinement très importants pour eux, leurs familles et leur environnement. La seule propriété du public et du quartier est le Football Populaire qui progresse vers le développement communautaire, avec des muscles qui s’ajoutent via le football, l’art, les garçons et les filles, la lutte. Et ainsi, ce petit groupe de compagnons qui s’est lancé dans une utopie n’a cessé de croire sur tout le continent.

Face à l’absence constante de l’État et contre la faim, dans tous les quartiers, nous disposons de restaurants et de cantines dans lesquels beaucoup de familles se nourrissent. Ce n’est pas né d’une certaine couleur partisane de la politique traditionnelle, ni d’aucun sponsor qui mise sur les quartiers, comme la télévision pour vendre des produits. Il a été créé par des voisin(e)s engagés à satisfaire les nécessités les plus essentielles et devant les injustices que nous ne supportons plus.

Nous ne nous réjouissons pas de ne plus avoir de cantines, car cela signifie que les choses se compliquent chaque jour, mais en attendant, nous devons nous nourrir. Pour cela, des groupes de voisin(e)s ont pris la responsabilité de cette tâche qui bénéficie en moyenne 200 familles de chaque quartier.

Contrôle populaire des forces de sécurité

Un exemple de la lutte contre les abus quotidiens des forces de sécurité est la petite place « Kévin » située dans le cœur de la Villa Zavaleta. Durant la journée, c’est un lieu de jeu pour les enfants. Le soir, la zone est libérée par les forces de sécurité là où les gangas se réunissaient pour régler leurs comptes. Cette action des Forces a pris la vie de Kévin, un enfant de 9 ans, victime d’une de ces « balles perdues » qui trouvent toujours l’un de nos petits en chemin. Dans ce cas, cette balle était l’un des 105 tirs d’armes de guerre enregistré ce jour-là, [un échange de tir] qui a duré plus de quatre heures, après 9 appels au numéro d’urgence 911, sans recevoir aucune réponse à « on n’entend pas de détonations, la zone est contrôlée. »

Kévin serait encore en vie. Désespérés par l’abus de ceux qui devraient s’occuper de nous, nous avons décidé de créer le Contrôle Populaire des Forces de Sécurité. Un dispositif pensé, créé et développé par les voisin(e)s membres de l’assemblée. La fonction de ce dispositif est de garantir que chaque procédure réalisée par les Forces de Sécurité est conforme à la loi, pour garantir, rien de mois, que les droits des personnes qui y vivent, soit respectés. Au fil du temps et en voyant que ces situationsous les territoires, nous avons décidé que chaque assemblée de la Poderosa disposerait de ce dispositif pour la protection de nos enfants et de nos voisin(e)s. Début 2018, la totalité des assemblées d’Argentine ont procédé à un recensement des cas de répression de l’État. En un mois, plus de mille cas qui ne sont pas transmis aux postes de polices ou au ministère public, comme s’il ne se passait donc rien. Le dispositif est efficace au sein des quartiers parce que le contrôlevrait, en théorie, nous surveiller, garantir la diminution de la violence de la part de l’État pour qu’il n’y ait plus jamais d’enfant tué par une balle que nous payons tous avec nos impôts, pour qu’il n’y ait plus de perquisitions ou d’opérations illégales et pour que tout qui se passe dans le quartier ne reste pas seulement dans le quartier, permettant l’impunité de toutes les pratiques menaçante, les tortures ainsi que la violence, tant physique que verbale, exercée quotidiennement par les force de sécurité.

Parmi la communauté organisée, le cri cohérent et constant de toutes les assemblées pour la défense des droits des enfants, des adolescents et des jeunes, le 3 octobre 2017, La Poderosa est arrivée à l’ONU, à Genève, en Suisse, pour décrire devant le Commité des Droits des Enfants l’escalade de violence et les cas de témoins torturés aux mains de l’État. Cette dénonciation que nous avons réalisée à l’ONU a mené l’État Argentin à répondre à ce que nous avons dénoncé.

Le front de l’égalité des genres

La violence du système de santé nous déshumanise car nous sommes des femmes pauvres, d’autant plus si nous sommes des migrantes ou que nous appartenons à la communauté LGBTQI. Le système de justice sourd et aveugle fait revivre aux femmes victimes de violence sexiste, ou alors il ne parvient même pas aux zones pauvres. Mais la violence institutionnelle et économique, ajoutée à la violence symbolique, produit de la stigmatisation des moyens de communication de masse envers les femmes de quartiers pauvres parce qu’elles sont des femmes pauvres, renforcée par la discrimination culturelle qui nous condamne à la l’exclusion perpétuelle.

En ouvrant les yeux sur cette réalité, nous avons commencé à nous demander comment améliorer la qualité de vie de nos voisin(e)s. La réponse, après quelques heures de pleurs, de rires et de courage, a été la création d’un Front de l’Égalité des Genres qui se charge de donner des réponses, en exigeant que l’État soit présent avec des politiques publiques efficaces. Ainsi, le Front de l’Égalité des Genres a matérialisé la construction de plusieurs Maisons des Femmes et des Dissidentes, un espace physique qui regroupe toutes les activités que le Front menaient de manière autogérée depuis sa création. Cette espace pour les femmes et par les femmes se compose de 6 piliers : le travail, l’éducation populaire, le divertissement, la santé, la violence de genre et la diversité.

La Garganta Poderosa

Le 1er janvier 2011, la Revue Coopérative, la branche littéraire de l’organisation, est sortie dans la rue pour la première fois. La naissance de cette revue est la conséquence de plus de 7 ans d’organisation et plus de 500 ans de silence.

Historiquement, les quartiers pauvres du monde ne parleront jamais  aux voisin(e)s directement, mais les interlocuteurs qui s’arrêtaient, dans le meilleur des cas, sur le trottoir d’en face, étaient chargés de transmettre ce que nous pensions et ne faisions pas, à ceux qui vivent là, sans jamais nous consulter. Cette formule, loin de favoriser les changements dans nos quartiers et pour que les diverses problématiques trouvent des solutions, nous a poussé à vivre sous le manteau des préjugés installés à partir des moyens de communication de masse.

Ces récits qui omettent toujours les valeurs comme la solidarité et la culture de la rencontre, qui font qu’après tant d’oublie nous continuons à survivre, se retrouvent non seulement dans une image étonnée qu’une grande partie de la société se crée sur la réalité que nous vivons, mais ils permettent une multitudes de politiques publiques implantées par l’État qui ne répondent pas à nos nécessités, mais qui, au contraire, les aggravent, ou qui servent simplement de patchs provisoires.

Lassées de cette situation, les assemblées ont décidé également de prendre en main la communication pour montrer que nos quartiers ne manquaient pas de voix mais que ce qui leur manquait, c’était des moyens de les faire entendre ! Et ce n’a été clairement pas facile ! Nous avons décidé de faire un moyen de communication pour les quartiers pauvres, sans directives officielles, sans publicité, pour que chaque mot représente ce que nous pensons et ce que nous ressentons, sans aucun type d’engagement qui nous conditionne.

Quatre mois avant le « non Lancement » de la revue, chaque assemblée de la Poderosa a élu des communicateurs et a commencé à leur payer une formation grâce aux fonds générés par ces mêmes assemblées. De cette manière, la coopérative a garanti d’avoir un groupes de voisin(e)s en cours d’apprentissage et avec les meilleurs outils techniques pour produire le premier numéro.

Le premier à faire la couverture a été Juan Román Riquelme, ancien joueur de l’équipe de Boca Juniors et de l’équipe nationale Argentine de football, qui sur la quatrième de couverture demande le silence, en montrant qu’à partir de ce moment, les habitant(e)s des Villas allaient commencer à parler pour eux-mêmes. Un type comme lui, simple, qui n’avait pas l’habitude de donner des interviews a accepté d’être le cri de couverture de ces médias des Villas, avec le magazine chez les distributeurs de journaux de toute l’Argentine. Nous avons dépassé les 18 000 ventes. Loin de nous détendre, nous sommes nous sommes engagés dans le deuxième numéro mais cette fois, avec un pari encore plus grand : à partir de ce moment, nous avons ouvert la coopérative de vente et de distribution de la Garganta dans tout le pays. De cette manière, nous générons un revenu économique en plus d’augmenter le nombre de ventes. D’autre part, nous garantissons l’impression du numéro suivant, les  salaires des communicateurs de chaque assemblée avec ces revenus et continuent à collecter des fonds avec lesquels nous imprimons en plus grande quantité les magazines achetés par l’assemblée au prix coutant. Ce qui génère un nouveau revenu qui permet, aujourd’hui, de réaliser le rêve de nombreux enfants de connaître la mer en été, de faire des camps entre les différentes provinces, d’acheter les matériaux et les outils nécessaires pour les espaces d’éducation populaire, d’avoir de l’argent pour améliorer, grâce à des journées de travail volontaire, les espaces publics de chaque quartier.

La Garganta Poderosa est née de la proposition d’exposer les paradigmes de la moral imposée par les dogmatiques et les professeurs, des théories dorées qui éclairent les conditions socialement déterminées, sans socialiser les conditions socialement déterminées, qui déterminent les conditionnements sociaux, pour interroger les essayistes solennels des écosystèmes des Villas qui enquêtent sur nous comme de rupestres phénomènes biologiques. Pour attirer leur attention et celle de toute la société, qui en général ne connaît rien de nos quartiers, parce qu’il n’y a rien qui peut être montré à la télévision, dans les journaux ou à la radio, qui dominent les fréquences des moyens de communication de masse, qui parlent toujours de loin, encore plus, de devant, mais jamais les pieds dans nos quartiers et encore moins en donnant un micro, un dictaphone ou un crayon, à l’un de nos voisin(e)s qui, depuis plus de 5 décennies prouvent et confirment toutes ces recettes prémâchées sur des bureaux extérieurs à nous territoires, d’où sont implantées les politiques qui n’ont pas fonctionné et qui ne fonctionneront pas parce qu’elles oublies ceux qui devraient être les principaux acteurs, la communauté à laquelle celles-ci sont destinées. 

La Garganta Poderosa
La poderosa latino-américaine

 Ce n’était pas une brillante idée d’un groupe d’Argentin(e)s illuminés, ni une grande idée exportée, encore moins, une recette applicable en n’importe quelle circonstance. La dignité ne connaît pas de frontière et nous rencontrer est une conditions nécessaire tant pour résoudre l’urgence pour mettre en place un projet de société d’où les quartiers, les communautés rurales et les peuples autochtones soient les protagonistes pour que, une fois pour toute, le destin soit encore leurs mains. De la Terre de Feu au Rio Grande, nous n’avions pas d’autre solution : le travail de base et l’organisation.

En plus de l’Argentine, où l’organisation est la plus développée, le Chili, la Bolivie, le Pérou, l’Uruguay, le Brésil, le Paraguay, l’Équateur, la Colombie, le Venezuela, le Mexique et Cuba ont des assemblées Poderosas, avec des références territoriales qui pensent au développement de chaque quartier et qui, progressivement, mettent en cœur le programme de développement de l’organisation, grâce à : de nouvelles assemblées dans différents quartiers, villes, provinces des états ; la production de contenu pour que la Garganta de chaque pays s’enracine comme une voix légitime dans chaque réalité avec la capacité d’interpeller les discours dominants ; et la construction de liens de solidarité avec d’autres organisations.

Depuis 2017, nous organisons des rencontres annuelles qui permettent l’échange d’expériences entre les voisin(e)s des quartiers les plus pauvres du continents, qui ne se rencontreraient jamais autrement. Grâce au travail collectif, nous avons permis à des centaines de voisin(e)s de pouvoir voyager, de savoir qu’il existe d’autres quartiers dans lesquels on souffre des mêmes problématiques. Le manque d’argent nous fait seulement écouter nous écouter les uns les autres dans un journal jaunâtre qui parle toujours de nous de la pire des manières, nous sommes les moches, les mauvais, les fainéants, et les terroristes. Le cercle médiatique imposé sur nos réalités constitue une grande difficulté pour que, même sans pouvoir voyager et nous voir face à face, nous sachions que nous existons, que nous ne sommes pas seuls et que les rêves mais aussi les manières avec lesquelles nous nous organisons pour les atteindre nous rassemblent, comme des frères.

Année après année, avec des centaines de voisin(e)s de quartiers, des périphéries, des occupations, des favélas, des Villas, des villages, des colonies et des communautés indigènes, nous consolidons une plateforme politique de base qui a commencé à être un moteur où deux personnes qui voyageaient utilisant les chemins ouverts que nous avons ouverts en Amérique et aujourd’hui, c’est un collectif plein d’espoir et d’unité.

En juillet dernier, cette rencontre a eu lieu à Porto Alegre, à cause de la grave situation politique dans laquelle se trouvait le Brésil depuis l’impeachment de Dilma Roussef et de la répercussion imminent annoncée à propos de Lula Da Silva, le principal dirigeant politique du camp populaire et le seul capable de mettre un frein à la droite par la voie électorale. La Poderosa Latino-américaine a compris que toutes les assemblées, de tous les pays, devraient faire le maximum d’efforts pour apporter le soutien et la solidarité internationaliste, tant à l’ensemble du peuple brésilien, qu’à ses organisations sociales. À 9 heures du matin du 27 juillet, avec une caravane latino-américaine de 30 mini-bus venant de 12 pays du continent, nous nous sommes retrouvés à Porto Alegre, au deuxième Forum latino-américain de la Puissance, appelé « Sommet de Base ».

LA PODEROSA BRÉSIL

Voisins et voisines de différentes villes sont en train de construire ce rêve puissant à Foz d’Iguaçu, Porto Alegre, São Paulo, au Ceará et à Salvador de Bahia, la chaleur de l’éducation populaire, le travail volontaire et coopératif. Pour nous contactez, écrivez-nous à apoderosa.brasil@gmail.com.

La Garganta Poderosa

Originel en Espagnol


 

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