Musee Migrant – MuMi
Pour le Buen Vivir et le Buen Migrar : mémoire et résistance créative
Deyanira Clériga Morales
Pável Valenzuela Arámburo
Aldo Jorge Ledón Pereyra
| Mexique |
juillet 2019
traduit par Déborah Spatz
En la lucha es donde la gente se encuentra, Dans la lutte, c’est là que les gens se rencontrent, c’est dans la lutte qu’on se rencontre, parce que malgré nos distances physiques, de langues, les différences culturelles, il y a toujours nos racines historiques qui nous permettent de rencontrer des gens qui construisent au milieu d’un monde hostile.
Ce texte a été créé par des membres de l’organisation Voces Mesoamericanas [Voix Méso-américaines] et de l’Université Autonome de Chiapas, qui font partie du projet Global Grace et qui travaillent en partenariat avec le Musée Migrant - Mumi. Ce musée itinérant du sud du Mexique est un pari de lutte et de résistance des peuples indigènes migrants des hauts plateaux de Chiapas, de leur droit à la mobilité et à l’action politique: c’est un espace où les frontières sont disputées, croisées et habitées! Dans lesquelles la mémoire vivante est construite: de notre voix, le Musée Migrant – Mumi et le cinéma participatif créent des processus créatifs avec les jeunes, cherchant l’expérience de l’émancipation humaines dans les migrations. Finalement le Musée Migrant arrive à Bela Maré, à Rio de Janeiro, au Brésil. Qu’est-ce que la rencontre de Bela Maré et du MuMi signifie pour nous?
Chiapas – De la lutte pour les peuples indigènes à la migration
La région de Chiapas est situé dans la région sud-est du Mexique et partage, avec le Guatemala, un total de 654 km linéaires de frontières naturelles (rivières, montagnes, jungle). La population est de 5,5 millions de personnes, dont une grande parties de peuples autochtones mayas : jacalteco, mame, tojolabal, cachiquel, motozintleco, lacandón, Chuj, tseltal, tsotsil, choly zoque, les quatre derniers étant les plus prédominants. On estime à 1 141 000 le nombre de personnes parlant une langue indigène dans cette région. C’est l’état le plus pauvre du pays, avec 76,2 % de sa population vivant en situation de pauvreté, soit 3 962 000. Entre 2012 et 2014, le Chiapas a enregistré une augmentation de la population pauvre d’un de 1.5 points et 7,5 % de la population se trouve dans cette situation dans tout le pays. La pauvreté persistante a fortement augmenté ces 10 dernières années.
À ces situations de précarité et de non-exercice des droits, s’ajoutent la grande diversité et les richesses naturelles de l’état de Chiapas qui l’ont transformé historiquement en un territoire de disputes : d’eau, de bois, de minéraux énergétique et précieux, de terres de culture, entre autre, et ont attiré la convoitise des entreprises nationales et internationales qui grâce à des stratégies, ayant pour objectif supposé la création de ressources et le développement de cette région, ont permis la destruction de la nature et la violence contre les personnes habitant sur ces territoires. Le conflit armé interne du Guatemala, le soulèvement armé Zapatiste, les attaques terroristes du 11 septembre, les accords globaux pour la sécurité continentales et la grave crise des déplacements forcés dans la région, actuellement, sont devenus des justifications pour consolider les modèles de sécurité nationale et d’armement de notre pays, en mettant l’accent sur les zones de frontières, le Chiapas étant ainsi toujours puni.
Cependant, les peuples indigènes, pauvres, maltraités, violés, assassinés, ceux qui se trouvent toujours en position d’infériorité, sont ceux qui nous montrent la valeur et le sens des mots justice, lutte, rébellion, autonomie, respect, dignité, droits… ce sont des hommes et des femmes de toutes les couleurs de peau qui brisent l’obscurité avec des lumières d’espoir, au cri de « plus jamais un monde sans nous ! »
Ce fut ainsi dans les années 1994, lorsque le monde globalisé a célébré l’Accord de Libre Échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, comme une des grandes solutions pour sortir le Mexique de la pauvreté de ses consommateurs. Le peuple savait que c’était le début d’une mort annoncée, dans laquelle, encore une fois, ceux d’en bas paieraient les dégâts ; les Chiapas, encore une fois, à la lumière du monde, ont crié : « Assez ! »
En 1994, également, les peuples indigènes, épuisés par la violence historique et par l’exploitation, ont décidé de prendre les armes contre le gouvernement capitaliste et néolibéral, luttant pour l’autonomie, le respect et l’inclusion. Des femmes et des hommes armés nous ont donné un exemple global de l’importance de la lutte et du combat interminable pour un monde juste, dans lequel tous les regards et les pensées sont respectés et pris en compte.
Les peuples ont ainsi construit leurs luttes, nos luttes, celles de toutes la région latino-américaine : ce sont les peuples qui résistent, s’adaptent, transforment et proposent de nouvelles formes d’avancer sur notre planète. De nos jours, les migrations sont l’exemple même de résistance et de la lutte contre l’oubli, une lutte qui unit tous les peuples de notre région. Au jour d’aujourd’hui, l’action la plus difficile contre un modèle d’exclusion, c’est celle de construire une mémoire collective, politique et exigeante, car elle devient un outil fondamental pour la justice dans l’avenir.
Résistance, droit de fuite et action politique: contester des frontières, habiter des frontières !
Fin 2018 et début 2019, nous avons assisté à l’évolution des déplacements forcés vers des mouvements sociaux publics et visibles qui, dans leur avancée et leur passage aux frontières, ont exercé leur droit de fuite, de résistance à ne pas mourir dans les mains d’un système inégal et violent. Des milliers de personnes venant d’Amérique Centrale ont quitté leur pays en proie à la violence, la corruption, l’appauvrissement et l’impossibilité d’accès aux droits. Ils se sont enfuis par milliers et ont commencé à marcher en caravanes, rappelant l’exode biblique.
Ces personnes, les plus pauvres et victimes de violence, y ont vu une stratégie de visibilité. Ce sont des personnes qui, dans le contexte historique de migration irrégulières, n’auraient jamais pu couvrir les couts d’un réseau de trafic et de pots-de-vin versés aux gouvernement, parce qu’il est clair que pour migrer, des ressources économiques sont nécessaires. C’est là que la décision forcée de partir se transforme en un pari pour la vie de toute la famille et des communautés.
Il est important souligner le rôle d’oppression historique que le gouvernement des Etats-Unis a joué dans les pays d’Amérique Centrale durant les 70 dernières années. Il suffit de se souvenir du débuts des conflits armés internes qui ont permis de justifier « l’intervention américaine » pour la création de stratégies d’intelligence et de contre-insurrection qui, au final des années, ont généré les bases de dépossession, du contrôle territorial et des ressources de cette région. À ce jour, les conséquences de cette intervention se retrouvent dans les politiques de développement économique et de sécurité imposées par les Etats-Unis dans toutes l’Amérique Latine, le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale, les traités de libre échange et la sécurité continentale, pouvant être compris comme les conditions qui ont déclenché les déplacements forcés historiques. De nos jours, de la clandestinité aux mouvements sociaux, sous formes d’Exode de Migrants.
Ce sont donc des milliers de personnes, des filles, des garçons, des adolescents, des familles, des femmes enceintes, des personnes handicapées, des membres de la communauté LGBTTTIQ, toutes les victimes directes ou indirectes qui ont souffert de la violence physique, émotionnelle, systémique, historique et symbolique dans leurs corps. Tout cela à partir de la prévalence d’un modèle de développement des pays du Nord, dans lequel l’extermination de la vie et de la nature sont justifiées pour soutenir la consommation insatiable des sociétés « modernes et développées ». L’Exode Migrant est l’expression digne de milliers de personnes confrontées à la situation adverse de la pauvreté, de la violence et de l’exploitation, en commençant par des alternatives qui proposent de générer la vie et la sécurité de leurs familles, leurs communautés et leurs peuples.
Et face à ce scénario qui, aujourd’hui, nous présente l’expression la plus grossière de la violence systémique dans le déplacement forcé, nous avons également la possibilité de changer notre histoire en unifiant nos luttes, en tant que peuple latino-américain. En construisant de véritables formes d’interculturalité et d’intégration, en disputant les frontières, non pas à partir de la conception de la division et de la subordination, mais de la possibilité de reconstruire nos territoires historiques ancestraux. Habiter les frontières en harmonie et bien-être avec la nature, établir nos richesses dans l’infini de la pensée de nos peuples et l’action publique organisée, comme moteur pour l’élection du « buen vivir » et d’une vie bonne et digne dans nos communautés Latino-américaines.
Des chemins sur lesquels il soit normal que nous accompagnions et prenions soin, car nous reconnaissons la valeur, la grandeur et la contribution de chaque qui marche sur notre Mère Nature pour le bien être de notre présent !
Mumi, Jornadas con jornaleras y jornaleros en Sonora. from Atmósfera Audiovisual on Vimeo.
Construction de la mémoire vive : De notre voix le Musée Migrant – MuMi
Le Musée Migrant (MuMi) est une construction collective des peuples migrants avec lesquels nous travaillant dans Voces Mesoamericanas. Ce n’est pas un musée achevé, puisque comme toutes les migrations et leur dynamisme, pour générer et raconter des histoires, il se nourrit des idées, des interactions et des espaces qu’il occupe là où nous le montons.
D’une part, nous l’avons pensé comme une forme, pour les peuples indigènes de Los Altos de Chiapa de s’auto-évaluer et de connaître leurs propres histoires, pour la création d’une mémoire collective comme acte politique et de résistance de ces histoires qui ne sont jamais racontées. Nous voulions partager ce qui fait bouger et bouleverse les gens de ces régions géographiques qui vivent dans des contextes migratoires : leurs douleurs, leurs luttes, leurs joies, leurs manières de s’organiser et de résister.
Nous voulions que les autres regardent le MuMi pour reconnaître leurs vies pleines de couleurs, de travail de la terre, de relation avec le sacré, de complicité, de protestation et de revendication des droits. Nous voulions également partager les injustices des contextes migratoires de nos temps : les migrations forcées qui cherchent à survivre parce que dans les communautés d’origine, les formes de reproduction de la vie sont de plus en plus précaires, les arrestations et humiliations sur le chemin, les disparitions, les morts, le racisme et l’exploitation par le travail dans leurs lieux de destination, les formes d’organisation au retour avec les familles des migrants qui ne sont jamais partis mais qui ont toujours vécu les migrations comme un autre fossé. C’est de là que viennent les quatre sections du MuMi : Nous sommes ici, L’origine, Nous sommes en chemin – Le Transit, Nous sommes là-bas, Les destinations et Nous rentrons – Le retour.
C’est ça le MuMi, des racines, des visages, des routes qui racontent un peu d’histoire, accompagnées de couleurs et de broderies qui caractérisent les peuples de cette région et quelques moyens interactifs que nous avons construits pour que les gens puissent jouer et réfléchir aux histoires qu’ils connaissent eux-mêmes d’autres migrants. D’un autre côté se trouve le Forum MuM (espace-scénario vivant) qui se nourrit des expressions créatives et artistiques des jeunes, filles et garçons avec lesquels nous travaillons des processus éducatifs de réflexion critique, d’organisation et de revendication des droits.
Le cinéma participatif, processus de création avec les jeunes au MuMi.
Le cinéma a permis à l’être humain d’approcher des images en mouvement de réalités et de fiction diverses, de connaitre d’autres façons d’être l’autre, de pénétrer d’autres mondes, d’observer d’autres cultures. Tout comme l’avion : « … ces deux inventions réduisent les distances, suscitent l’imagination et le rêve » (Morin, 1979). Les deux inventions réussissent à nous détacher de la terre. Le cinéma nous permet ensuite de migrer vers d’autres espace-temps, sans avoir besoin de nous déplacer. Depuis ses origines, la magie cinématographiques, se tourne principalement vers le grand public à des fins commerciales, générant une industrie prospère, ayant un noyau élitiste de personnages qui jouissent de la célébrité, de l’opulence ou d’une vision colonialiste à partir de la recherche d’exotisation de l’autre, du « primitif », comme il serait vu en Europe.
En même temps, dans certains espaces, on cherche à incorporer le contenu social dans la réalisation cinématographique, grâce à de nouveaux outils artistiques qui établissent des formes multidisciplinaires, en passant par les sciences sociales, pour documenter et interpréter de façon critique les réalités, en créant d’autres méthodes plus juste et plus participatives, qui permettent l’accès à d’autres optiques généralement invisibles.
C’est pour cela qu’au Musée Migrant (MuMi), espace de mobilité et d’échange d’expressions artistiques avec les jeunes indigènes migrants de Los Altos de Chiapas, nous parions sur un cinéma participatif, où se développe et se motive une créativité nourrie par la richesse de l’environnement culturel de la région de Maya, des communautés qui vivent la migration avec des expériences différentes.
Nous cherchons à générer des rencontres culturelles, à partager, à échanger des pratiques et à apprendre ensemble. Le MuMi travaille dans le but de promouvoir la reconnaissance de soi des peuples, de leur histoire passée et présente, avec l’exercice et la création de récits propres qui construisent des narratives communautaires. Nous partageons dans diverses disciplines, ce rêve comme engagement et position politique, dans le but de générer de l’art et que chacune d’entre elles et d’entre eux soit protagoniste, directeur et acteur politique de sa vie et de sa communauté.
Dans notre manière de faire du cinéma, nous ne cherchons pas la logique impérative, nous voyons le cinéma comme un outil communautaire pour raconter nos histoires, nos anecdotes comme des êtres aux caractéristiques spécifiques, des femmes, des hommes, des migrants, qui vivent exclus des standards de la logique néolibérale, des enfants, des jeunes qui, à partir de l’art sont déplacés dans d’autres réalité, tout comme dans le cinéma.
Grâce au cinéma participatif, nous créons de nouveaux moyens et de nouveaux processus pour générer l’image. À partir de la langue native des peuples, le langage cinématographie est réinventé, les narratives et les hiérarchies sont éliminées. L’apprentissage est communautaire, on apprend les uns des autres, toute connaissance à son importance et sa valeur. On est nourri par le processus et celui-ci fait partie du produit audiovisuel final, élaboré en communauté.
Le MuMi à Bela Maré, à Rio de Janeiro, au Brésil
Pour la première fois, le MuMi se déplace en Amérique Latine et ne se rend nulle part ailleurs qu’à Bela Maré, à Rio de Janeiro, au Brésil ! Parvenir à installer le MuMi dans cette favéla, c’était faire passer le message des peuples migrants indigène du sud du Mexique et connecter les histoires de migrations, d’exclusion, de luttes et de résistance entre les peuples des deux pays.
Nous savions via des photos comme serait l’espace physique où serait mis en place le MuMi, la vérité est que notre expérience de montrer le MuMi a fini en « tant qu’on arrive à voir ici,», on accroche les cordes, on place les photos, les toiles, les fils de couleurs.
Quand nous sommes arrivés dans cette espace, la première chose qui nous a impressionnés a été la maquette de la Maré. En moins d’un jour à marcher dans les rues, nous avions déjà eu de nombreuses surprises, nous avions dansé, échangé plusieurs sourires avec les habitants des rues de Parque União et Nova Holanda. C’est la raison pour laquelle la maquelle a fait soupirer plus d’une fois et a attisé notre curiosité pour en savoir plus sur ce territoire.
Sans y avoir trop réfléchi, nous avons décidé que le MuMi serait exposé au fond, ouvrant ses bras sur la grande maquette et englobant le territoire. En mêm temps, la Maré était disposée à ouvrir son centre pour le MuMi, pour observer avec affection les histoires des pleuples loitains du Mexique. Après plusieurs semaines et après avoir partager, ensemble, plusieurs réflexions, les deux territoires ont cessé d’être distants parce que nous avons appris des complicités qui existent entre les racines, les visages, les routes et bien sûr, les douleurs et les joies.
Comme si ça ne suffisait pas, des dizaines d’oiseaux de papier (des grues migrantes) ont été accroché au-dessus de la maquette, comme s’ils survolaient la Maré puisque, à la place des hélicoptères, les oiseaux symbolisent la possibilité d’apporter des messages de solidarité, de justice et de dignité.
C’était la première fois que le MuMi se trouvait dans une galerie. Nous occupons presque toujours les rues, les couloirs d’une école, les arbres d’un jardin, les grilles d’un terrain de football, les barreaux des fenêtres. Ce fut une belle expérience de rencontrer des marteaux et de clous, et bien évidemment, grâce à la volonté de collaboration de l’équipe de Bela Maré à notre aventure d’exposer le MuMi, jamais un escalier, une table, le café, le ventilateur, de l’eau, des clous à béton, le ruban adhésif, n’ont manqué. Des filles et des garçons qui échangent dans le MuMi, avec la possibilité de construire la mémoire au de là du fait de « simplement observer ».
Chaque réunion a été organisée pour qu’en premier lieu, une activité soit faite. D’abord pour reconnaître ce que signifie migrer, où nous vivons, où nous sommes nés et où sont nés nos parents, nos grands-parents. À chaque rencontre, nous avons situé cela sur une carte imaginaire géante et nous avons découvert ensemble les migrations, principalement du Nordestebrésilien vers Rio de Janeiro, et particulièrement vers la Maré.
Nous avons également pensé à ces autres endroits, ceux que nos grands-mères et nos grands-mères racontent. Quelles en sont les différentes saveurs ? Que signifie migrer et pourquoi le faisons-nous ? Nous avons raconté d’où viennent ces racines, ces visages, ces routes. Nous avons partagé des éléments qui ont attiré notre attention, des doutes sur les photos exposées. Que signifient les bougies allumées ? Qui sont les peuples indigènes ? Pourquoi la police nous arrête-t-elle ? Pourquoi ces personnes protestent-elles ? À quoi jouent ces enfants ? Que font les femmes sur cette photo ? Que font les gens quand ils migrent ? Comment s’organisent-ils ? Pourquoi les migrant disparaissent-ils ? Ce sont ces questions et d’autres que nous avons posés et nous avons partagé des réflexions collectives pour redéfinir les histoires communes de migration, encore une fois, ce qui nous fait mal et ce que nous espérons de ces racines, de ces visages et de ces routes.
Un jour, nous avons fabriqué des oiseaux en papier, en pensant la migration comme le droit de voler, de se déplacer d’un lieu à un autre, en liberté. Un autre jour, nous avons ouvert la boîte de Pandore pour lire des nouvelles sur le thème des migrations au Mexique, au Brésil et en Amérique latine. Nous pouvions ensemble nous demander pourquoi les gouvernements dictent les politiques contre les personnes migrantes, ce qui se passe avec le racisme, pourquoi les pays décident ce que les autres doivent faire. Nous avons également habillé des poupées de papier pour raconter les histoires des femmes migrantes, les noms de leurs grand-mères et de leur mère sont apparues.
L’expérience des visites avec un médiateur nous a permis de partager la réflexion finale sur le fait que nous maintenons le principe de l’éthique politique de Voces Mesoamericanaset ainsi, le moteur de la lutte : les peuples du monde ont le droit de ne pas migrer, c’est à dire, le droit de pouvoir rester dignement dans nos communautés d’origine sans avoir à immigrer parce que les circonstances nous obligent à le faire, cependant, d’un autre côté, nous avons également le droit d’immigrer parce que les sociétés du monde se sont construites sur les migrations. Ce droit implique donc la possibilité de se déplacer vers d’autres espaces, tout en ayant la garantie complète de liberté et de justice.
Qu’est-ce que la rencontre de Bela Maré et du MuMi signifie pour nous ?
D’abord, nous voulons dire merci pour la possibilité de cette rencontre, la confiance et la volonté d’ouvrir les portes de votre espace, de votre territoire et pour cet émerveillement commun qui nous relie dans Notre Amérique Latine.
Nous nous sommes rendus compte que notre histoire commune a, jusqu’aujourd’hui, beaucoup d’impacts commun, la violence structurelle coloniale, capitaliste et patriarcale se manifeste sous multiples formes dans la vie de nos peuples. Nous avons réalisé que les formes de démocratie libérale imposées dans nos pays ont légitimé la permanence des structures de pouvoir qui perpétuent les inégalités et par conséquent, les injustices. Nous avons compris que les violences de l’état, sous formes physiques et aussi symboliques avaient un impact quotidien sur nos corps, nos esprits et nos cœurs.
Nous sommes en guerre depuis des années et dans cette guerre, les morts font toujours parties des peuples noires et indigènes. Nous nous sommes rendus compte qu’il y a des centaines d’années, nous avions migrés de force et que, dans les destinations, nous avons construit la vie, toujours dans des conditions précaires. Nous avons réalisé que nos valeurs et nos pratiques coloniales s’expriment dans la manière dont le pouvoir « nous observe » et aussi dans la forme dont nous voyons « les autres ». Nous sommes liés à des histoires de dictatures, de disparitions, de droit au pouvoir, aux lois et aux réformes néolibérales, du système carcéral inopérant, de l’extermination raciale et de leur expression dans les décès quotidien sur nos territoires. Les ruptures des tissus sociaux qui existent sur nos territoires, nous avons compris les nombreuses formes communes par lesquelles ils nous répriment tout le temps, de la manière dont les gouvernements criminalisent les défenseurs des droits de l’Homme ainsi que les acteurs communautaires. Nous n’avons pas réalisé à quel point la possibilité de vivre nous paralyse et finit par disparaître.
Face à tout cela, notre rencontre à Maré nous également permis de nous inspirer ensemble, de partager des idées, de sourire ensemble, de nous enlacer, de nous reconnaître et de valoriser nos luttes, de rêver aux possibilités futures.
Nous réaffirmons l’idée de l’art comme outil politique de transformation, paraphrasant le poème de Celaya « La poesia es un arma cargada de futuro » [« La poésie est une arme chargée de futur »], el arte es un arma cargada de futuro[l’art est une arme chargée de futur] et ensemble, nous vivons cette expérience encore et encore.
Nous nous sommes rendu compte qu’il est important de continuer à construire des espaces éducatifs alternatifs, de reconnaissance, de partage sincère, de jeu et de créativité. Nous nous souvenons de Freire en réaffirmant « que personne ne libère personne et que personne ne se libère seul, nous nous libérons dans la communion ». Nous avons réalisé que nous avons des histoires communes de mouvements sociaux, de paysans, de citadins, de travailleurs, d’étudiants qui disent depuis des années : « assez ! » et de toutes les étapes franchies par des milliers de personnes dans les rues pour construire l’action quotidienne de chercher à prendre soin de ce qu’ils aiment dans la vie. Nous nous sommes rendu compte que malgré les distances géographiques et leportuñol[mélange de portugais et d’espagnol parlé], nous pouvions toujours trouver une manière de transmettre force et passion. Nous avons réalisé notre capacité à bouger, déplacer le corps, la pensée, le cœur et l’esprit avec ce qui se passe dans la vie des gens. Sentir sur les territoires des forces individuelles et collectives qui valorisent l’histoire de l’humanité.
Nous admirons la résistance des noirs brésiliens, le pouvoir identitaire des favélas, les femmes qui s’enlacent, se racontent leurs douleurs et les transforment en sororité. ous nous sommes rendus compte que ce sont les mêmes peuples noirs et indigènes qui meurent depuis des siècles, ce sont eux qui continuent à nous enseigner beaucoup de formes de résistance et de lutte pleine de dignité. Ils continuent à nous apprendre à créer la communauté, des liens, à rassembler des complicités souriantes, des démonstrations sincères et des mains solidaires.Nous enseignons toutes ces manières d’être ensemble et nous nous donnons le luxe inaliénable – malgré tout – de le faire à travers la forme lumineuse et éternelle de profiter de la vie.
Nous nous souvenons aussi que chanter, danser et rire sont des actes révolutionnaires et dans les territoires cariocas et des favélas, nous l’ont réaffirmé à plusieurs reprises. Nous regardons les maisons qui nous ont ouvert leurs portes, dans les rues où nous avons partagé une partie de football et une bière, sur la fresque murale que nous célébrons sur le mur de Bela Maré, dans les doux mots de Madame Victoria, dans la mémoire du Quilombo, dans le funk et le samba qui résonnaient partout. Nous voyons dans la possibilité sacrée de continuer à célébrer ensemble la possibilité de résister ensemble, parce qu’à la fin et au début, c’est dans la lutte que les gens se rencontrent. Et c’est du Mexique au Brésil, de la Maré à Chiapas, que nous continuerons à nous rencontrer.
Bibliographie.
Morin, Edgar, El Cine o El Hombre Imaginario, Paidos, Barcelona, 1972.
Deyanira Clériga Morales | Mexique |
Collabore avec l'association civile Voces Mesoamericanas, qui accompagne les processus politiques et organisationnels et de l'éducation populaire avec une perspective interculturelle et de genre avec des migrants indigènes de la région de Los Altos de Chiapas, pour la construction du Droit à de bonnes conditions de vie et de migration al Buen Vivir y al Buen Migrar.
deyaniraclemor@gmail.com
Pável Valenzuela Arámburo | Mexique |
Titulaire d'une maîtrise en anthropologie visuelle. Cinéaste et enseignante en anthropologie visuelle et en ateliers de cinéma documentaire. Il est responsable de l’équipe mexicaine dans le Project Global Grace Por el Buen vivir y el buen migrar: creating cultures of equality through the Migrant Museum (MuMi) in indigenous communities of Chiapas, México”.
atmosferaudiovisual@gmail.com
Aldo Jorge Ledón Pereyra | MEXIQUE |
Membre du Voces Mesoamericanas, Acción con Pueblos Migrantes, A.C et de la coordination Mesa Transfronteriza Migraciones y Género (MTMG). Depuis 2009, il est défenseur active des groupes de population migrante du Mexique et de la République du Guatemala; De son expérience, souligne:recherche de personnes disparues, accompagnement psychosocial, techniques médico-légales de recherche et d'identification, suivi et contrôle des mécanismes gouvernementaux de défense légale contre les violations des droits de l'homme et des travailleurs.
ledon@vocesmesoamericanas.org