Sofia Djama et la reprise du cinéma algérien
Daniel Stefani
Gabrielly Pereira
| Algérie |
juillet 2019
Sofia, merci d’être avec nous, à l’UNIpériphéries – Université Internationale de Périphéries, dans la favela de la Maré, Rio de Janeiro. Alors, peux-tu te présenter ? Très librement.
Sofia Djama : Je suis algérienne, je m'appelle Sofia Djama, je suis née à Oran, une grande ville à l’ouest de l’Algérie, en bord de mer.J'ai grandi à Bougie, une ville balnéaire également, au centre-est. Je vis à Alger la capitale, toujours en bord de mer. Je suis cinéaste. J'ai commencé par un court métrage, puis j'ai fait un long métrage, "Les Bienheureux", The Blessed, en anglais, al-Souadaa, en arabe. « Os afortunados » en portugais. C’est est un film à propos d’un couple de quinquagénaires Algérois qui a vécu la première révolte de 1988 et que j’ai imaginé des militants activistes.Le film est vraiment ancré dans Alger, c’est le personnage central, dans une histoire qui se passe en 2008. Durant ces 20 années passées, il y a eu une guerre civile entre les radicaux islamistes qui ont attaqué la population et les institutions parce qu’ils ont considéré que lors des élections de 1991, leur avait été volé.Ils ont créé un armée qui s’est attaquée à la population parce qu’ils considéraient que toute personne qui ne répondait pas positivement au projet de la Sharia et de l’imposer en Algérie, n’était pas digne de vivre. On a donc été dans une situation de guerre.
Mais le film ne traite pas seulement de ça, de l’origine de la guerre mais de l'impact de celle-ci, de la situation post-traumatique. Quelles traces a-t-elle laissé sur le gens ? Comment le système, le régime ont-ils impacté l'intimité de gens ? Et ça, c’est incarné par ce couple qui va fêter son 20eme anniversaire de mariage. On va les voir déambuler, dans Alger, dans un mouvement nocturne, parce que l'essentiel de ce film se passe la nuit. Ils vont rencontrer des amis, essayer d'aller au restaurant et ils vont être empêcher à chaque fois par des contraintes. Leurs discussions vont me permettre de comprendre, en fait, ce qui les a abîmé. De l'autre côté, on voit le mouvement des jeunes, le point de vue d'une autre génération, les jeunes adultes. Sont-ils en opposition ? Sont-ils en rupture ? Ou vont-ils dans le sens de la génération qui la précède ? C'est un regard sur deux générations, sur une ville et sur un pays. Voilà de quoi parle « Les Bienheureux ». C'est très dense et intrigant à la fois, parce que quand je le raconte comme ça, on dirait que c'est complètement dramatique et que c'est un film politique, mais en fait c'est une comédie dramatique et quia, parfois, des moments de mou parce que les algérien sont beaucoup d’humour. La misère, la guerre et la pauvreté…Les situations dures ont toujours généré de l’humour, du recul, de l'ironie.
Et en pensant au cinéma algérien, comment vois-tu la situation d'aujourd’hui de ce cinéma fait en Algérie, par rapport au contexte actuel?
On ne peut pas parler d’une grande dynamique de ce cinéma.Si on devait parler du cinémaAlgérien, aujourd’hui, on ne parlerait que de cinq, six cinéastes connus… connus parce queles festivals les ont identifiés. En fait, on connaît le cinéma d'un pays quand ce pays participe à un grand festival. C’est comme ça que ça se passe. Moi, j'ai été sélectionnée à la Festival de Venise, on a eu un prix là-bas. Karim Moussaoui a été sélectionné à Cannes. Narimane Mari à Locarno. Et c'est seulement comme ça qu'on arrive à identifier le cinéma d'un pays, mais ça ne veut pas dire qu’il n'y a que ces cinéastes là. D’autres personnes dans le pays travaillent, font leurs films existent en dehors du circuit des festivals, et ce n’est pas pour autant que leurs films sont inintéressants. C'est juste que nous avons eu la chance d'avoir, d’abord, des productions étrangères. Moi, mon film est le fruit d’une co-production internationale, avec un distributeur. On a une machine qui fait qu'on a plus d'opportunités. On a l’argent et les festivals demandent à être payés pour inscrire un film. C'est une tendance, les distributeurs… C'est le marché international qui fait qu'on voit plus un cinéma, des réalisateurs que d'autres. Mais je ne suis pas en train de dire qu'en Algérie, il y a beaucoup de cinéastes.Il faut savoir que là-bas il n'y a pas d'école du cinéma, en vérité. Et de la même manière, on ne peut pas parler d'école de comédiens, d'acteurs et ni tout ça. Il y a des établissements qui se prétendent être des écoles mais qui n’en sont pas, par rapport à la qualité du programme, à l'enseignement qui est donné. Il y a eu une énergie cinématographique, des écoles, des formations, des réalisateurs en Algérie dans les années 1970. Il y a eu une émergence d'un cinéma algérien qui était essentiellement un cinéma de propagande et puis des réalisateurs qui ont été formés.La génération des années 1970 avait fait l'école de Moscou, ils avaient fait l'IDHEC, Institut des hautes études cinématographiques, qui est l’actuelle FEMIS, la Fondation Européenne pour les Métiers de l'Image et du Son en France. En fait, ils avaient fait des écoles, ils avaient des bourses à Moscou, pourquoi ? Parce que l'Algérie, le socialisme et tout ça. On était beaucoup plus proche de l'Union Soviétique. Ils n’ont fait que l'école de Moscou, ils ont pu faire des écoles en Ukraine, c’est ce qui a donné un certain genre de cinéma. Nous, nos génération, nous sommes des autodidactes, pour la plupart d’entre nous.
Le cinéma Algérien est né par la Guerre d’Indépendance. Il faut savoir, qu'avant, les images de l'Algérie, étaient faites par la France.C’était la colonisation.Les algériens n’avaient pas de représentations d'eux-mêmes, à part celle que la France faisaient, Ils n’étaient même pas appelés « les algériens », ils étaient« les indigènes ». Et donc, dans les années 50, la toute première chose faite par le FLN, Fond de Libération Nationale, a été de mettre une image sur l'engagement dans la Guerre. Des cinéastes, d'abord étrangers, sont venus filmer. Je pense à René Vautier et desTchécoslovaques. À l’époque où c’était la Tchécoslovaquie, il y en a eu beaucoup, ainsi que des bulgares. Beaucoup d’entre eux venus de l'Ex-Union Soviétique et d’Europe occidentale étaient pour la cause de l’Indépendance algérienne. Les premières images du cinéma algérien sont donc véritablement des images de guerre. Et puis après al’Indépendance de l'Algérie, il y a eu la création, cette volonté de créer la cinémathèque, une école de cinéma et de formation.On les envoyait ailleurs pour les former et ça a donné ces cinéastes qu’on a connu plus tard : Merzak Allouache, qui est très important, ou encore Farouk Beloufa, Rachedi Bouchareb, qui est quand même plus de la génération de Lakhdar Hamina.
« Le cinéma Algérien est né par la Guerre d’Indépendance. Il faut savoir, qu'avant, les images de l'Algérie, étaient faites par la France.C’était la colonisation. Les algériens n’avaient pas de représentations d'eux-mêmes, à part celle que la France faisaient., Ils n’étaient même pas appelés « les algériens », ils étaient « les indigènes ».
Ensuite, il y a eu la cinémathèque d'Alger qui a été très importante, parce qu’Alger est le territoire des grandes indépendances.Il y a eu toute une idéologie a donner de l’élan à la cinémathèque d'Alger, avec la venue de Goddard, Klaus Kinski, Herzog.Tous les cinéastes d’Afrique de l’Ouest indépendantistes sont également venus parce que on appelait Alger la Mecque des révolutionnaires. Et même depuis l’Amérique Latine, on a vu venir des argentins, des chiliens, des brésiliens.Évidemment, le cinéma Russe est passé par la cinémathèque d’Alger. La production nationale, faisait des films populaires, des commandes sur la révolution, bien sûr, mais aussi de la comédie, etc..Les gens allaient au cinéma. Ma génération a grandi dans les années 80/90 et n’a pas eu la chance de connaître les salles de cinéma, parce que on s’est retrouvés, d'abord, dans une situation où elles fermaient petit à petit.Elles étaient récupérées par les mairies pour en faire des annexes administratives, puis est venue la guerre civile.
Les premières choses qui sont sacrifiées dans une situation de guerre, partout, ce sont les femmes et la culture. Et c’est ce qui est arrivé en Algérie : les salles de cinéma, les théâtres, les musées et tout ça, ont fonctionné, ont ralenti, pratiquement au point mort. Le cinéma est une industrie très complexe. J’ai connu les salles de cinéma, de vraies conditions de cinéma pour voir un film, pour la première fois de ma vie, en France. Donc, pour restituer: la guerre civile est officiellement finie, on se trouve dans une situation de sécularisation du pays.Les premiers tournages reprennent, il y a le film de Nadir Moknèche, ce lui de Merzak Allouache. Il faut savoir que pendant les années 1990, il n’y avait plus de cinéma, les films ne pouvaient plus se faire, parce que on était dans une situation de sécurité extrêmement précaire. Lors du tournage du film de Azzedine Meddour, d’ailleurs, l’un des derniers des années 1990, la moitié de son équipe a explosé dans un attentat. Il a dû attendre 6 mois pour reprendre le film. Mais dans quel état d’esprit reprendre un film dont la moitié de l’équipe est décédée dans un attentat à la bombe ? C'était très difficile et à partir de là, il y a eu un arrêt de l'industrie. À l’époque, j’écrivais des spots radio. La radio c'est bien, c'est une très bonne école parce qu’on écrit, même si c'est de la pub. Je faisais ça pour juste faire de la direction de voix, parce que quand on fait de la direction de voix, on doit créer un univers sonore qui fasse que toi, auditeur, tu imagines.C’est très bien pour travailler avec des acteurs. Donc j'ai fait ça et puis un jour je suis tombée sur un atelier d’écriture, où j’ai écrit mes deux scenarios qui sont des adaptations.
J'avais écrit « Mollement, un samedi matin » mon premier court métrage et « Les 100 pas de Monsieur X ». « Mollement, un samedi matin » a été un gros tournage. « Les 100 pas de Monsieur X » était en exercice de style. Six mois après le tournage, en 2010, j’ai rencontré un producteur, en France. En 2011 on était en train de tourner le film. Et donc j'ai tourné mes deux premiers courts métrages à une semaine d’écart. Pendant que je faisais la préparation de « Mollement», un gros tournage, avec une équipe française, un film pour lequel j'étais extrêmement riche, je pensais que toute ma vie allait être comme ça. J'ai fait ce film là avec 120000 euros. Dix jours de tournage pour un court métrage, c'était énorme !Je me trouvais donc dans une économie très confortable, mon équipe était bien, j’avais surtout beaucoup de matériel, beaucoup de temps pour la post-production pour le montage d'image, le montage son. Ce film a été sélectionné au Festival de Clermont Ferrant, et je suis revenue avec deux prix. Premier film, grosse sélection. C’est comme aller à Cannes avec un court métrage et une tournée internationale. J'avais toute la presse. Vous imaginez, j’y suis allée avec un court métrage, il y avait France Culture, France Inter, qui sont des radios très importantes en France… Le Monde, un forum à la FNAC parrainé par Arte. Ensuite, je me suis retrouvée dans un tournée internationale et j'étais impressionnée par moi-même, en fait, je me suis surtout dit:« Je suis reconnue, il y a une reconnaissance. »Et là, j'ai décidé d’enclencher très vite mon autre projet. J'ai rencontré un producteur et j'ai fait « Les Bienheureux » qui est une autre aventure, et là, je n’avais pas beaucoup d'argent. Quand je réfléchis, si on faisait un calcul j'étais plus riche pour mon court métrage que pour mon long métrage.
« Les premières choses qui sont sacrifiées dans une situation de guerre, partout, ce sont les femmes et la culture. Et c’est ce qui est arrivé en Algérie : les salles de cinéma, les théâtres, les musées et tout ça, ont fonctionné, ont ralenti, pratiquement au point mort. Le cinéma est une industrie très complexe.»
Tu es venue au Brésil pour le festival de cinéma arabe, au CCBB, Centre Culturel Banque du Brésil – Rio de Janeiro. Dans ce cadre, comment considères-tu que les femmes parviennent à affirmer leur rôle dans le cinéma algérien et arabe et pourquoi pas même, africain, malgré toutes les difficultés ?
Alors, je ne connais que très peu la condition du cinéma africain, c'est terrible. Tu sais pourquoi ?Quand on parle de cinéma arabe, ça concerne l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie et la Libye, s’ils ont des films, mais ils n’incluent pas l'Afrique sub-subsarianne. Ça veut dire que c'est juste des pays arabophones. Africains arabophone. Quand je dis Africain contemporain, en dehors des festivals internationaux comme Cannes, Venise, Cinéma du monde, etc. J’ai très peu accès aux festivals de cinéma africain, à part le FESPACO[Festival pan africain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou]et le Festival de Carthage, en Tunisie. C'est un festival qui englobe toutes les langues du Maghreb, l'arabe, et l'Afrique. Moi, je ne suis pas sollicitée par les festivals d'Afrique anglophones, parce les pays du Maghreb ont renoncé à leur Africanité. Ils préfèrent aller au Festival du Caire, au Festival de Dubaï, de Abu-Dhabi. On a renoncé à notre Africanité. C'est terrible. Par exemple, si tu me dis tout suite de citer un cinéasteAfricain, je dirais…à part le mauritanien Med Hondo et évidement, Abderrahmane Sissako. Tu vois ? J’ai une culture très restreinte du cinéma Africain. Cela dit, j’ai été primée au Rwanda, par l'Académie du cinéma Africain, j'étais très contente parce que ça avait beaucoup d'importance d'être dans un festival qui se détache du festival du monde Arabe.
Et comment vois-tu ce mouvement de femmes faisant du cinéma dans le Monde Arabe ?
Et Maghrébin.
Et Maghrébin, voilà.
Alors, en tant que femme, Maghrébine, parce que je m'identifie en tant que tel, et dont la linguistique est Arabe parce que mon film est en arabe, en algérien. On ne peut pas dire qu'il y a un groupe. Il n'y a pas assez de visibilité sur notre cinéma dans monde Arabe et Maghreb pour avoir une idée précise du genre. Ce n’est pas comme un France où il y a 250 film par an, là on peut faire un quota et dire : cette année, combien de femmes ont été financées pour faire un film? Combien ont-elles eu ? On arrive à faire un calcul, une statistique. Dans le monde Arabe, le nombre de cinéastes est tellement bas, l'industrie du cinéma est tellement en souffrance que le simple fait d'être un cinéaste est une lutte en soi, donc on ne se pose pas la question du genre : le cinéma des femmes, le cinéma des hommes, par ailleurs.
J'avais expliqué que, si on faisait un calcul cette année, en Algérie, parmi les cinéastes dont on a entendu parler dans les festivals internationaux, il y a eu Karim Moussaoui et Narimane Mari, Yasmine Choukih et que moi.Il y a donc eu plus de femmes que d'hommes. Et c’est pareil en Tunisie, on entend plus parler des cinéastes femmes que d’hommes. En années de production, en 2017, on a eu plus de femmes. La question qu'on devrait se poser à l’avenir c'est : « Est-ce-que notre génération aura casser la question du genre par nature ou pas ? » Est-ce-que en dix ans ça sera pareil? Dans la nouvelle vague du cinéma maghrébin et du monde arabe, on s’est débarrassés du genre. D'ailleurs même dans les thématiques, ce ne sont pas seulement les femmes qui prennent en charge l'histoire de la lutte féministe. Dans le monde arabe, elles sont prises en charge par les femmes et par les hommes. Ça, pour moi c’est une belle évolution.En tous cas, on est touché par la même problématique du financement du cinéma dans le monde arabe, on est dans la même situation catastrophique, On souffre donc de la même manière.
« Dans le monde Arabe, le nombre de cinéastes est tellement bas, l'industrie du cinéma est tellement en souffrance que le simple fait d'être un cinéaste est une lutte en soi, donc on ne se pose pas la question du genre : le cinéma des femmes, le cinéma des hommes, par ailleurs.»
Et comment vois- tu la lutte féministe en Algérie et dans le monde arabe?
Quand j'étais adolescente, j'avais une vision du féminisme très influencée par la France. J'avais un regard très radical sur la question du Hijab. J'avais une vision totalement franco-française. Il m'a fallu du temps aussi pour intégrer la spécificité de mon propre pays, pour démonter ça. Et moi, ce que je vois c'est comme ça partout, c'est propre à toutes les luttes féministe dans le monde. Le premier enjeu est économique, beaucoup de femmes travaillent sans être payées, dans le milieu rural, elles participent à la vie. Une femme qui travaille et qui n'a pas le contrôle de ce qu'elle génère comme économie, est une femme qui ne peut pas prendre son émancipation.En fait, si la femme n’a pas le contrôle de l'argent, elle ne peut pas s'imposer dans son domicile, vis-à-vis du patriarcat, Toutes les femmes qui ont réussi à créer des petites entreprises, à rentabiliser ce qu’elles font, ont comme premier réflex d’investir dans l’éducation de leurs filles. En Algérie, beaucoup de femmes s’arrêtaient au lycée, dans les années 1980, après on les mariait. Aujourd’hui, la situation économique d'Algérie est telle que les hommes ont besoin que les femmes travaillent. Parce que les loyers sont chers. Parce que la vie est chère. Il y a une inflation qui fait qu’en se mariant, l’homme veut que la femme travaille, comme ça il y a deux salaires. Avant, à l'université, les femmes étudiaient toujours les sciences humaines--sociologie, la psychologie, elles étaient enseignantes. Aujourd’hui, il y a beaucoup de femmes en médecine, dans les universités de sciences et de Technologies, en maths et dans l'ingénierie. C’est très important, c’est une évolution. Et chaque pays à sa propre révolution.
Mais c'est la guerre civile dans les années 1980 qui a affaibli la lutte féministe en Algérie. Et dans tous les pays qui connaissent une situation de guerre civile.Comme je le disais plus haut, les premières sacrifiées, ce sont la culture et les femmes, et donc la famille. Les luttes féministes algériennes qui ont eu lieu dans les l'années 1960 étaient à l’avant-garde, mais en 1984, le code de la famille a été mis en place, qui réduisait la femme à un statut de mineur. Tout de suite, les femmes et les hommes se sont très fortement mobilisés. Mais en 1990, on s’est retrouvés dans une situation de guerre avec les radicaux islamistes, il y a donc eu beaucoup d’assassinats d’intellectuelles, de militants. Ils étaient les premières victimes. Après ils ont attaqué toute la population. Ça nous a affaibli. Et on retrouve la situation de paix aujourd’hui où il faut tout reconstruire mais entre temps des choses ont évoluées. La nouvelle génération n'est pas comme la nôtre, la question de la sexualité n'est pas posée de la même manière. Il en y plein de choses qui ont évolué, mais il y a aussi des choses qui ont stagné ou alors régressé.
Selon toi, est-ce possible de parler d'expériences alternatives dans la périphérie algérienne ?
Je pense qu'on a vraiment besoin de réflexion sur les lieux alternatifs, la pensée alternative et tout ça, parce que c'est quelque chose de très peu présent. Je pense qu'on devrait profiter des expériences de certains pays, notamment les pays voisins, comme la Tunisie, par exemple, qui a créé une contreculture alternative. En Afrique subsaharienne aussi, au Burkina, par exemple, en ce qui concerne la culture. On est assez traditionaliste, en fait. Ça va venir je pense, avec la nouvelle génération.
Comment as-tu vécu le mouvement de mobilisation populaire qui vient d’avoir lieu, avec toute cette expressivité, en Algérie, exigeant un changement politique expressif, commençant par le renoncement d’un président qui a gouverné le pays ces vingt dernières années ?
Le seul constat que je peux faire, c'est qu'on a repris possession du droit à la mobilisation dans l'espace publique. Ça, en soit, c'est une réussite énorme. Ça faisait 18 ans qu'on avait perdu possession de notre espace public, en tant qu'espace de revendication. Le droit de manifestation. En plus, on a prouvé qu’on est capable de faire ça dans la sérénité, Les manifestations étaient pacifiques. En Algérie, à cause de l'interdiction de manifester et de la guerre civile, on a perdu l'habitude de se mobiliser. Les gens avaient peur de manifester. Avant, il y avait des attentats pendant les manifestations. La deuxième chose dont je suis heureuse c’est que pendant longtemps, les algériens disaient : « Il n’y a pas d’alternative, de voix…Quelle voix ? Quelle personne ? Quelle entité pourrait avoir un discours de leader ? » En fait grâce à tout ce qui s’est passé, on a démystifié le fait qu'il n'y en a pas. Parce qu’il y a plein de personnes qui se sont exprimées. Donc on entendu plein de voix. Moi, j’entends une voix magnifique, celle de Mme Zoubida Assoul, magistrate, c‘est une voix de leader. C'est une femme qui a le potentiel d’être éligible à des présidentielles.
Quand j’étais petite, il y avait une association qui s'appelait le RAJE (RassemblementAlgérien pour la jeunesse).Ils allaient dans les collèges et les lycées pour nous apprendre à être des militants, activistes. La première manifestation à laquelle j’ai participé, j’avais 14 ans, et c’est le RAJE qui nous avait fait sortir [dans la rue]. Les lycéens était très actifs, grâce à des associations comme celle-ci. Pendant la guerre civile tous les militantes, les intellectuels ont organisé la pensée, la manière de fédérer les associations et le travail des uns et des autres, tout en leur donnant un sens et un objectif.Pendant cette dizaine d’années, tout ça a été affaibli à cause de la guerre civile : la société civile, la pensée et la vie alternative, comment récupérer les espaces, les occuper autrement. Voilà pourquoi nous sommes en retard sur cette pensée périphérique : comment être dans la contreculture ? Comment fabriquer une économie périphérique ? Comment, non pas être en opposition face à quelque chose d’institutionnel, mais comment faire autre chose?
« Le seul constat que je peux faire, c'est qu'on a repris possession du droit à la mobilisation dans l'espace publique. Ça, en soit, c'est une réussite énorme. Ça faisait 18 ans qu'on avait perdu possession de notre espace public, en tant qu'espace de revendication. Le droit de manifestation."
Pour toi, en tant que femme algérienne et maghrébine, comment est-ce possible de parler d'identité en Algérie et au Maghreb par rapport à l'identité arabe ?
Je suis agnostique, mais je dis que je suis de culture arabo-musulmane parce que j'y ai baigné. Je ne refuse pas ma culture et mon héritage arabo-musulman. Même ma linguistique : je parle l’algérien qui est un mélange d'arabe, de français de turc, d’espagnol et de berbère. Et tout ça c'est mon patrimoine.Je parle français, c'est la langue avec laquelle je communique le plus. Je me sens méditerranéenne, francophone, algerienophone, et si on pouvait l’inventer, magrehbinophone, parce que je comprends le tunisien et le marocain, et on se comprend.Mais je ne peux pas comprendre un libanais ou un palestinien, donc l’Orient c’est loin pour moi.Même l’Égypte, la Mauritanie, la Libye, pour moi c'est ce sont des cultures lointaines.
Pour moi, l'arabité, Al'umma al’arabiyya1La «mère arabe » projet nationaliste arabe, réunissant des valeurs, des traditions historiques et la langue arabe, c'est un truc qui n'a rien à voir avec mon identité. C’est une idéologie qui avait du sens et un objectif dans les années 1960, mais qui aujourd’hui est un mensonge, en fait.C'est triste, c'est une idéologie corrompue. Et c'est dommage parce que ça aurait pu être un beau projet. C’est ce que j’ai dit une fois :« s’ils avaient vraiment eu une volonté de Al'umma al’arabiyya, un vrai enjeu culturel et identitaire, ça aurait été bien de ne pas renier nos identités propres ». S’ils avaient été intelligents, ils auraient fêté les différences linguistiques de Al'umma al’arabiyya, la berbérité, l'africanité, notre méditerranée, accepté tout ça comment des éléments qui appartiennent à Al'umma al’arabiyya. Quand on demande à un lycéen ou à un étudiant algérien : « Qu’-est-ce que le monde arabe ? » Il va dire :« C'est la religion, l’Islam, c'est la langue arabe. »Mais dans le monde arabe, il y a des chrétiens, des maronites, des druses, des coptes, il y a des juifs, des musulmans sunnites, chiites, des malikites. Et pour lui, Al'ummaal’arabiyya, c'est une juste seule identité, l'arabe, et une seule religion, l'islam, sunnite seulement. C'est la négation de beaucoup d'habitants de territoire qui est le monde arabe.
"Je suis agnostique, mais je dis que je suis de culture arabo-musulmane parce que j'y ai baigné. Je ne refuse pas ma culture et mon héritage arabo-musulman. Même ma linguistique : je parle l’algérien qui est un mélange d'arabe, de français de turc, d’espagnol et de berbère. Et tout ça c'est mon patrimoine.»
Comment penses-tu la puissance des périphéries ?
On la trouve dans les favelas, dans l'espace de création. On récupère notre légitimité de créateurs de d’art, de pensée, d’économie, d’habitation et de mobilité.
Interview faite en Mars 2019
PERIFERIAS remercie Analu Bambirra et Layla Braz,
organisatrices du Festival de Cinéma Arabe Féminin CCBB – Rio de Janeiro (mars/2019)
Collaboration : Déborah Spatz
Daniel Martins de Araújo | Brésil |
Éditeur exécutif et traducteur de la Revue Périphéries.
daniel@imja.org.brGabrielly Pereira | Brésil |
Gabrielly Pereira est journaliste et photographe à la Revue Periphériés
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