WàCOLETIVO
Broderie, couture et crochet comme art contemporain dans l'espace public
Cariri, Ceará
| Brésil |
juillet 2019
traduit par Déborah Spatz
Le mot « Wà » veut dire « marcher » dans la langue indigène Kariri (le peuple qui a habité et donné nom à notre région). C’est le nom que nous avons choisi pour nous représenter. Nous sommes un collectif de femmes diverses, mais nous marchons ensemble. Ensemble nous créons, nous nous exprimons, nous resignifions et nous emportons la pratique des techniques artisanales de l’espace domestique et intime dans les rues, afin d’élargir les possibilités de produire l’art urbain dans un univers dominé par les peintures et les hommes.
Les techniques artisanales comme la broderie, la couture, le crochet, entre autres, sont traditionnellement reconnues comme des pratiques féminines, et pendant beaucoup de temps elles n’étaient même pas reconnues comme des pratiques artistiques. Comme tout ce que les femmes faisaient, ces pratiques étaient jetées en marge de la société patriarcale. Nous proposons d’autres directions pour ces pratiques dans la contemporanéité, qu’elles soient insoumises et transgressives, qu’elles se mélangent au discours politiquement engagé et qu’elles soient reconnues comme de l’art contemporain dans l’espace publique, sur les grilles, sur les murs, les bâtiments abandonnés, partageant l’espace avec d’autres expressions comme les graffitis et les tags.
Dans cette perspective, nous continuons à marquer notre lieu dans le monde, en nous étendant, en avançant jusqu’à présent vers le Cariri, le Brésil et le Portugal. Nous parlons d’où nous sommes venues et aussi de thèmes universels comme le féminisme, la paix, l’amour. Nous cherchons à établir d’autres connections créatives en dialogue externes, en pratiquant d’autres formes de collectivité, comme les ateliers que nous organisons et qui sont des expériences au-delà de l’enseignement-apprentissage. Le processus interne des expériences vécues est aussi important et significatif que le résultat des interventions qui affectera les gens dans la rue. L’atelier est notre « lieu » de naissance et revivre cette pratique permet la création de nouveaux collectifs artistiques, même s’ils ne sont que temporaires, nous nourrit créativement et nous fortifie grâce à la création de nouveaux liens.
Ce qui depuis le début nous a uni, c’est le désir de parler de nous-mêmes et de notre lieu ; les dessins crées par les broderies dans ce premier atelier donnaient cet indicatif et, à leur manière, représentaient différentes formes de résistance sur le territoire. L’oiseau, connu populairement comme «petit soldat du Araripe» [Soldadinho-do-Araripe], est une espèce endémique qui est devenue un symbole fort de la préservation environnementale de notre région. La broderie avec son dessin a été fixée sur une maison abandonnée sur un carrefour à la circulation intense au centre-ville de Crato, au Ceára. L’image reflète l’abandon au regard de cette espèce si importante pour la nature et pour le bien-être de la population locale.
L’indigène Kariri, qui aujourd’hui bénit et protège l’entrée de la maison de notre grand artiste Abidoral Jamacaru, nous rappelle le massacre des indigènes qui eut lieu pendant la Confédération du Kariri, entre 1683 et 1713, et aussi de la destruction des vestiges de la vie et de la culture matérielle de ce peuple qui originellement habita notre terre et aujourd’hui donne son nom à notre région. Cette femme Kariri représente la résistance à la violence, à l’esclavage, à la confiscation des terres et à l’effacement des croyances et des traditions.
Mateu est un personnage joueur de notre Royaume – une des plus grandes et plus vives manifestations culturelles de la fusion d’ethnies pendant le douloureux processus de colonisation de la région. Cette fête populaire est présentée à travers la danse, le chant, la représentation dramatique et préserve un vif rapport avec la fête populaire des Rois Mages. Dans le Cariri, la présence du noir dans la culture de la canne à sucre représente les Rois Mages comme étant des rois du Congo, mais déjà aves des éléments indigènes. La culture dite traditionnellement « populaire » a de racines profondes, elle démontre la résistance et l’obstination, lorsqu’en se manifestant, elle nous rappelle notre ancestralité. Sur le dessin de l’œuvre brodée, l’image du double Mateu apporte également avec elle la question contemporaine de la mobilité dans les centres urbains, en renforçant l’importance de l’utilisation de la bicyclette comme moyen de transport.
Le partenariat réalisé avec autres artistes est une autre forme de partage, de connexion et de dialogue..Au Portugal, dans la série Wà Coração [Wà cœur], chaque artiste invitée collabore à partir de son langage plastique. L’idée est que chaque collaborateur créer une représentation de l’univers féminin et du monde pluriel des femmes dans le support bidimensionnel du dessin. Chaque proposition est travaillée pour créer des images de pochoir. Le travail/dessin de l’artiste est ajouté au travail du Collectif, qui crée et brode le cœur pour qu’il soit fixé/gravé sur la poitrine de chaque personnage. Avec ce geste/ajout, les images de femmes multiples et diverses se mélangent et se complètent, dans la recherche de représenter notre réalité.
La première œuvre de la série a été réalisée à Coimbra avec l’artiste Marcelo Forte; la deuxième, à Braga, avec l’artiste Diana Medina et la troisième, a été réalisée à Guimarães, avec l’artiste Aglaíze Damasceno. Ce sont de expériences qui élargissent notre regard, par lequel nous affectons l’autre et en sommes affectés. Ce travail collaboratif se présente comme un fait artistique marqué par de nouvelles connections espace-temps, des interactivités de plusieurs domaines et la fusion de langages et d’esthétiques.
Notre œuvre la plus récente a été réalisée en hommage à Crislaine Guedes, une jeune de 21 ans, artiste populaire, étudiante d’un maître de capoeira du Reisado Estrela Guia, femme transsexuelle, pauvre, d’origine périphérique, qui n’a pas terminé le lycée. Crislaine a été brutalement assassinée le 1er avril 2019. L’intervention propose garder en mémoire le souvenir de ses couleurs, sa beauté et sa joie. Nous avons travaillé la borderie, le macramé, la peinture, et le collage sur photographie de Alana Morais. L’œuvre d’art/hommage a été fixée dans le quartier João Cabral, à Juazeiro do Norte, au Ceará, la ville où Crislaine, vivait et travaillait activement dans les mouvements culturels et religieux. C’est notre manière de ne pas réduire au silence une si grande violence contre les personnes trans.
Nos œuvres sont marquées par le temps lent, propre au travail artisanal. Mais aussi par le transitoire et l’éphémère. Exposées dans l’espace publique, sans aucun type de surveillance ou de vigilance, ces œuvres sont ouvertes à l’interaction avec le publique. Ce qui normalement arrive tôt ou tard. Un éternel exercice de détachement que maintenant nous entendons également comme une cocréation. Qu’est-ce cela nous dit? Que nous cherchons transversalement à développer une fonction sociale et à «démocratiser » la production artistique, en l’ouvrant à la création et à l’expérimentation pratique collective, en promouvant des débats capables de rapprocher le sujet du monde. Nous croyons en l’art pour tous, avec tous et par tous.
Um grande bem-haja!
Un grand merci!
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Adália Alencar est diplômée en Design par l’Université Fédérale de Cariri. Elle développe des produits, des projets graphiques et d’autres projets pour les langages visuels.
Beatriz Oliveira est future diplômée en Communication sociale et journalisme par l’Université Fédérale de Cariri, passionnée par les fleurs et par l’univers otaku.
Cleo do Vale est st professeure de l’UFCA, diplômée en Mode, titulaire d’un master en Gestion Sociale, et doctorante en Design de Mode.
Élida Gomes est diplômée en Communication Sociale par l’Université Fédérale de Cariri.
Jessyca Santos est étudiante en Design à l’Université Fédérale de Cariri.
Priscila Araújo est diplômée en administration par l’Université Fédérale de Cariri.
Rachel Gomes est artiste visuelle, titulaire d’un master en Arts Visuels par l’Université Fédérale da Paraíba (2018) et diplômée en Arts Visuels par Université Régionale de Cariri (2015). Sa première exposition individuelle Vagina Orai Pro Nobis (2015) a eu le professeur Dr. Fábio Rodrigues comme commissaire d’exposition.
Raquel Santana est étudiante en Arts Visuels à l’Université Régionale de Cariri et membre du Collectif Estação 9.
Shayna Moura est étudiante en Design à l’Université Fédérale de Cariri.
Thamyres de Souza est étudiante en Journalisme à l’Université Fédérale de Cariri.
Valéria Oliveira est étudiante en d’Historie à l’Université Regional de Cariri, entrepreneuse de la Macrawork et sur le marché de rue Cariri Criativo.