Chassez la peur !
Merdi Mukore
| RD Congo | France |
avril 2021
Un homme roué de coups pendant une vingtaine des minutes par des policiers. L’image est brutale et certains pourraient déduire rapidement que la scène se déroule dans l’un des pays qu’on désigne comme les mauvais élèves à l’école des Droits de l’Homme. La vidéo captée par une caméra de surveillance montre un producteur de musique battu par des agents des forces de l’ordre en plein Paris. La claque !
Plusieurs autres vidéos viendront livrer le secret d’une intervention où un policier se permet de frapper jusqu’à se faire lui-même mal un homme à terre sous le regard innocent de ses collègues. Un internaute, baladant ses doigts sur l’écran d’un smartphone pose une question idiote : « si Zecler était un blanc, aurait-il eu droit à ce traitement de faveur ? Un noir habitant le 17ième arrondissement c’est forcément chelou ! » L’absurdité ! Mais une réalité que nombreux ont du mal à assimiler : la discrimination au pays de l’égalité et de la fraternité. Qui peut y croire ?
Circulez, la France n’est pas raciste comme le Congo n’est pas tribaliste. Point !
Obama n’est-il pas l’une des personnalités préférées des français ? Circulez, la France n’est pas raciste comme le Congo n’est pas tribaliste. Point ! Un monde idéal est celui où tout va bien, tout le monde s’aime, tout le monde se respecte et tous sont traités équitablement. Un monde où on ne ferait pas remarquer à une femme qu’elle est belle pour une noire. Ce n’est pas le Congo où le kinois — ouvert et accueillant à l’égard de tous — te fera remarquer qu’il ne faut pas placer un Luba à un poste à responsabilité ; il y a risque d’excès de zèle. Le racisme en France est pareil à ce qu’est le tribalisme au Congo. Condamné par l’opinion mais encré dans les esprits. Voilà ! Pourquoi un nourrisson pleure une fois sorti de sa mère ? Il n'est plus dans son milieu naturel de vie, il vient d’atterrir dans un coin étranger alors il proteste. Il a peur. C’est la nature humaine, une nature hostile au changement qui se complait dans sa zone de confort.
L'ancrage historique des préjugés
Il était une fois… le code noir. Nul besoin d’affirmer que l’esclavage est l’un des crimes – si ce n’est le plus cruel — contre l’humanité, mais à une époque cette criminalité monstrueuse était légale, mieux elle était justifiée. Le code noir, un assemblage des textes juridiques portant essentiellement sur l’administration et la condition des esclaves des pays du domaine de l’empire colonial de la France entre 1685 et la fin de l'Ancien Régime, justifie par le racisme la mise en esclavage des personnes déportées d’Afrique. Nous sommes en 1685, sans oublier que l’esclavage a été aboli en France en 1848 mais les considérations raciales continuent à survivre jusqu’à nos jours. Mais comment ?
En 1853, toujours en France, paraît la première édition d’un essai sorti tout droit de l’imaginaire d’Arthur de Gobineau. Le diplomate français signe par ce long texte un ouvrage de référence à l’idéologie raciste « fondée » sur l’autorité de la science. Gobineau exprime son inquiétude car l’espèce humaine ne peut échapper à sa décadence. Cruel comme destin ! Il fait alors une récapitulation de l’histoire au travers des civilisations. Il rend visite aux mongoles, aux égyptiens du temps des pharaons, les assyriens, phéniciens et aryens… un tour du monde en moins de quatre-vingts jours et découvre la cause de la disparition programmée de l’humanité.
Le réchauffement climatique ? Non ! Le relativisme moral ? Jamais ! Les politiques et leur faim du pouvoir absolu ? Pas le moins du monde ! Le Covid-19 ? Ça n’existe pas !
Le métissage ? Bingo ! Gobineau soutient que le monde se meurt à cause de l’existence de plusieurs races qui ne cessent de se mélanger. L’auteur est pessimiste et essaie de penser un monde idéal, un monde où chaque race doit rester à sa place. La race blanche, remplie de beauté, d’intelligence et de force, dans le carré VIP ; la race jaune, à tendance médiocre, dans un coin passable et la race noire, eu égard à la nullité de son intelligence, dans la crasse.
Pour le sociologue Pierre-André Taguieffe1 Pierre-André Taguieffe, La couleur et le sang : doctrines racistes à la française, Paris, Mille et une nuits, 2002, Gobineau ne prend aucune distance critique pour accumuler, dans sa description de la race noire, les préjugés et stéréotypes négrophobes les plus bestialisant et criminalisant. Gobineau publie l’Essai sur l’inégalité des races humaines cinq ans après l’entrée en vigueur de la constitution française de 1848 abolissant l’esclavage et mettant fin à toute distinction de classe et de caste. L’ambiance ! Sans contredire les thèses affirmant que le livre n’est pas un crédo du racisme ou qu’il faut distinguer ce dernier du racialisme, l’histoire retient que cet essai a donné du crédit à tous les préjugés qui alimentent les théories racistes. Hitler en est témoin.
Il faut souligner qu’à la base Arthur de Gobineau était juste inquiet. Son inquiétude reposait sur une vision du monde où les hommes et femmes des différents races vivraient en parfaite symbiose. Les préjugés qu’il a toujours nourris envers d’autres races l’ont projeté dans un futur apocalyptique où l’humain serait un mi-ange mi-déformulemon. Catastrophe !
L’arme d’une cause politique
L’origine du tribalisme au Congo démocratique s’avère confuse tant le terme « tribu » est sujet d’une ambiguïté créée par le colonisateur. Certainement guidé par l’ignorance, le colon a nommé par tribus des groupes de personnes se distinguant les uns des autres selon les critères qu’il a qualifié lui-même d’objectifs. Peut-être s’il s’était plus intéressé aux africains qu’à leur sol et sous-sol, il aurait remarqué que sa définition fondée sur une organisation sociétale figée et statique ne correspondait pas aux réalités culturelles africaines.
Toutefois, après la conspiration de Berlin en 1885, des frontières sont venues délimiter les étendues des nouveaux États créés de toutes pièces par des hommes venus « civiliser » le continent. L’audace ! À l'exemple de la République Démocratique du Congo, ancien jardin privé de Léopold II avec plus de 400 ethnies en son sein, des communautés entières se sont retrouvées divisées et d’autres, jadis étrangères, ont été rassemblées sous une même juridiction.
Diviser pour régner, on ne change pas la formule qui gagne !
La pagaille ! Certes, il existait avant la colonisation un rapport d’exclusion entre les communautés, une autre forme de l’inquiétude exprimée par Gobineau basée sur des préjugés qui ont valeur véridique que pour ceux qui y croient. La cacophonie entretenue par le colonisateur en obligeant des communautés qui ont longtemps vécu en hostilité à cohabiter n’inspirait nullement à la paix. Peu importe, cette situation fut une aubaine pour le « civilisateur » d’imposer son pouvoir. Diviser pour régner, on ne change pas la formule qui gagne !
Entre les années 1894 et 1949, l’administration coloniale belge s’est évertué à rassembler les populations congolaises par tribus afin d’y asseoir son contrôle. Emboîtant le pas à Gobineau, elle procédait à une sorte de hiérarchisation des tribus créées. Celles dont les membres paraissaient plus réceptifs aux idéaux du colon étaient considérées comme supérieures à celles qui demeuraient réticentes. Dans le souci de ne négliger aucun détail, la tribu ou l’ethnie d’une personne était obligatoirement mentionnée sur sa carte d’identité, outre le fait que l’aménagement des villes regroupait les habitants selon leur mode de vie ou la langue commune. Et ce n’est pas fini ! La nature étant une habitude. Des associations à caractère tribal ont vu le jour avec la bénédiction de l’administration coloniale qui a fait d’elles un intermédiaire avec la population.
La distinction fut tellement ancrée qu’au soir du 30 juin 1960 lorsque le Congo belge devient indépendant presque tous les partis politiques existant étaient des transpositions des associations socio-tribales à l’instar de l’ABAKO — Alliance des Bakongos — le parti de Joseph Kasa-Vubu, premier président de la république ; la CONAKAT — Confédération des associations tribales du Katanga — parti de Moïse Tshombe. Des pratiques qui restent d’actualité.
Mobutu et ses 32 ans de règne sont venus freiner l’hégémonie tribale au sein de la société congolaise, par l’imposition de la pensée unique, sans l'enrayer complètement. L’on se souviendra de la « chasse aux Kasaïens » du Katanga dans les années 1991-1992 au moment où Mobutu jouait au bras de fer politique avec Etienne Tshisekedi. Des vieux démons qui ressurgissent encore en 2020 avec des tensions politiques entre le camp de l’ancien président Joseph Kabila, issu du Katanga, et celui de son successeur Félix Tshisekedi, un Kasaïen.
Des vieux démons qui rappellent que Patrice Lumumba, Héros national et issu du Kasaï, a été tué au Katanga chez son frère-ennemi Tshombe. Il est monnaie courante à Kinshasa de se voir refuser un bail à cause de ses origines ethniques. Il est même insultant de se faire traiter de Muyaka car les Bayaka sont vus comme un peuple primate qui ne s’intègre pas à la modernité. La légende populaire retient qu’un Mungala est un voleur clairvoyant alors qu’un swahiliphone est à côtoyer avec prudence vue son doigté en empoisonnement.
La peur de la différence et du changement
Le racisme et le tribalisme sont une manifestation de la peur. Oui, la peur. Qui n’a jamais eu peur ? L'homme a peur quand il se croit en danger. On comprend alors pourquoi Sartre relègue « les autres » en enfer. La peur de l’étranger exige de le considérer sur base de ce qui est « fabriqué » sur ses origines. Et c’est là où se cache la bête parce qu’on assimile la descendance d’un larron à un voleur. La fille d’une prostituée n’a nul autre avenir que le trottoir, c’est indéniable ! on peut même affirmer que les hyènes ne font pas des chiots, c’est évident ! les clichés, ça colle à tout le monde mais doit-on en réduire l’existence ? pourquoi manifester cette peur qui n’a pas lieu d’être ?
Le nourrisson est appelé à grandir jusqu’à atteindre l’âge d’aller à l’école. Le premier jour à l’école, une expérience de vie ! Quitter son domicile et passer la journée en compagnie d’illustres inconnus. Mon premier jour à l’école, je pleurais. J’avais peur, peur d’être au milieu des personnes que je ne connaissais pas dans un endroit où je ne suis jamais allé. Trois mois après, je prenais plaisir à aller à l’école parce que ces illustres inconnus étaient devenus mes camarades, d’autres des amis. Je n’avais plus peur.
Le raciste comme le tribaliste est ce nourrisson qui continue à pleurer par peur, qui souhaite rentrer vivre dans le ventre de sa mère plutôt que se laisser bercer par la joie du vivre ensemble et donner à l’humanité ses couleurs de beauté
La peur est une spirale mortelle, la peur de l’étranger est un enroulement autarcique et suicidaire dans un contexte où le monde devient un village, où les barrières se jettent en ponts. Le raciste comme le tribaliste est ce nourrisson qui continue à pleurer par peur, qui souhaite rentrer vivre dans le ventre de sa mère plutôt que se laisser bercer par la joie du vivre ensemble et donner à l’humanité ses couleurs de beauté. La peur est omniprésente, elle est au marché, dans le commissariat, à l’église, à l’école. La peur n’est plus seulement idéologique, elle s’est fait une place dans les institutions publiques, le fichage, l’administration dites des originaires. La peur est féconde, telle une graine elle croitra pour devenir un arbre et donner des fruits : la violence, l’intolérance, les bavures, le complotisme, le négationnisme, le sectarisme, la discrimination, les inégalités. Il faut chasser la peur pour expérimenter le plus beau côté de la vie. Il faut chasser la peur pour découvrir les merveilles du monde.
Merdi Mukore | R.D Congo |
Merdi Mukore est un jeune écrivain congolais. Il écrit des textes de théâtre, des nouvelles et prépare son premier roman. Ses textes sont traduits en anglais, swahili et portugais. Il participe à plusieurs ateliers et résidences d’écritures organisés par le Tarmac des Auteurs, les ateliers sur la nouvelle de Writivism et Afro Young Adult. Ses textes de théâtre ont été porté sur scène lors des différents évènements culturels tels que le Festival Ça se passe à Kin. Ses nouvelles sont publiées dans des anthologies notamment Chronique des Grands Lacs, Les oiseaux d’eau sur la rive du lac : une anthologie de jeunes adultes africains et des revues littéraires (Lelo magazine, WIP Littérature sans filtre, Periferias).
Membre actif de plusieurs associations culturelles, notamment le Tarmac des Auteurs. Membre du Conseil d’administration d’Ecrivains du Congo asbl et du Comité éditorial des Editions Miezi. Secrétaire général (2019-2020) de l’Association des Jeunes Ecrivains du Congo.