littérature et poésie

periferias 6 | race, racisme, territoire et institutions

Berger Allemand 

Utanaan Reis

| Brésil |

mars 2021

traduit par Déborah Spatz

— Qu’est-ce qui t’afflige, mon enfant ? Pourquoi as-tu peur du monde ? 

— Je ne sais pas, moi aussi  je voudrais le savoir — répond le jeune Nélio, se retenant de ne pas pleurer. 

— Viens, mon enfant, on va discuter — l’appelle Angela Maria, guérisseuse, accoucheuse et conseillère connue dans tous les coins de Seropédica et dans les environs.

Elle caresse ses mains, Nélio se sentait plus en sécurité à ce moment-là et il a raconté à Angela : 

— Ça fait deux mois que je ne dors pas bien, ce n’est pas possible, je fais des rêves bizarres, je me réveille essoufflée, en sueur et fatigué. 

— Je sais, mon enfant. Je te comprends. Continue. 

— J’ai toujours la sensation que quelqu’un est en train de me suivre; que tout le monde me regarde; que quelque chose de grave va se arriver bientôt. 

— D’accord. Et est-ce que tu peux me raconter l’un de ces rêves ? 

— Bien sûr : je suis sorti acheter du pain, la rue totalement déserte ressemblait à un décor de film. Le vent soufflait un doux râle, durant un matin chaud et nuageux. Un feu tricolore clignotait jaune constamment. D’une certaine forme, je sentais qu’on m’observait de toutes les fenêtres. Tout à coup, un bruit rythmé retentit — comme s’il venait de tous les côtés —, jusqu’à ce que j’identifie une cavalerie venant vers moi, et juste derrière, il y avait un cheval chancelant, seul, qui saignait des narines, avec la langue pendante; attaché à lui, il y avait une plaque. Quand j’ai regardé sa plaque, mon nom y était écrit, comme s'il avait été lacéré par un couteau : il était écrit Nélio Gomes. 

— D’accord. Mon enfant, tu dois comprendre deux choses : d’abord, que tu dois renforcer ta protection spirituelle. Ensuite, que bientôt, ton innocence sera mise à rude épreuve, fais donc attention à toi, protège-toi et fais confiance en ce que tu dis et en la manière dont tu agis. 

— Merci Angela. Il n’y a que tes mots pour me calmer! 

Plus calme, Nélio observait la terrasse de la maison et le grand jardin dans lequel il a fait sa consultation et a été béni : très lumineux, simple et élégant, et en même temps, spacieux et accueillant. La sensation d’être accueilli qu’il a reçu des yeux et de la bouche d’Angela était en accord avec le lieu, et même avec les plantes, réparties tout au long de l’énorme pelouse.

À la fin de la session, Angela a indiqué quelques Okúta mimo, pierres sacrées des Orixás, destinées à la protection. L’une d’entre elles restera derrière la porte d’entrée de la maison, pour empêcher l’entrée des mauvaises énergies; une à la fenêtre, pour filtrer ce qui entre et ce qui sort; une sous le lit pour calmer le sommeil et le protéger des rêves agités; la dernière, dans la chambre, le lieu où on lave et dans lequel on retire les choses lourdes de notre corps. C’est comme ça qu’est sorti le jeune homme : optimiste avec une liste de pierres sacrée à acheter. 

La semaine suivante a été tranquille, sans les mêmes sentiments d’avant; il a mieux dormi et se sentait plus heureux. Mais, même ainsi, Nélio se souvenait du message final d’Angela: « Ne tarde pas à te procurer les pierres, même si tu te sens mieux, il faut exécuter le processus ». Et Nélio ne laisserait pas ça arriver. 

En plein samedi brûlant de l’été infernal carioca. Nélio a pris un bus à Seropédica en direction du centre de Rio de Janeiro, à la recherche d’un grand magasin vendant des articles de religions africaines. 

Comme prévu, il n’a pas beaucoup tardé à faire ses achats, malgré sa fascination pour les statuts, les herbes, les vêtements, les pierres, les instruments, les animaux et tout le reste. En tout, il a acheté douze Okúta Mimo : trois de Inhansã, trois de Òpará, trois de Ogum et trois de Ossain. En plus de ça, il a acheté un canif avec un manche perlé avec le symbole de Ogum, l’Orixá de la guerre, pour offrir à son père.

Il est reparti du magasin très heureux, tout bien emballé dans son sac à dos. Et, malgré sa forte envie de regarder avec calme ce qu’il avait acheté, il a décidé d’attendre pour tout regarder dans le bus: il savait que quelqu’un pouvait être en train de l’observer.


Il s’est assis au fond du bus en direction de Seropédica : du côté droit, il a commencé à sortir du papier d’emballage les pierres et le canif, regardant calmement les détails et pensant au fait que la vie, à ce moment-là, était belle. Il se sentait heureux, plein de vie; le corps pulsait de bonnes sensations. 

Mais très rapidement, la preuve à propos de laquelle Angela avait attiré son attention est arrivée. 

Sur l’Avenida Brasil, un contrôle de police a fait s’arrêter le bus. Les passagers se sont regardés, se jugeant les uns les autres. Nélio a senti, encore une fois, que certains regards se braquaient sur lui; ce n’était pas la sensation d’être surveillé ou suivi, c’était sa couleur de peau qui vivait l’inquisition quotidienne vécue par les personnes noires. 

Sans surprise. Un policier est entré dans le bus en criant : « Dans la corporation, je suis connu sous le nom de berger allemand, je sens la drogue à n’importe quel endroit ! ». Il enfonçait ses yeux sur chacun des passagers, il les reniflait, comme un chien. En arrivant vers le jeune Nélio, avec un sourire jaune sur le coin de la bouche, il a dit : 

— Et si on descendait, jeune homme ? Le berger allemand a déjà chassé sa proie. 

Intrigué, Nélio s’est souvenu de toutes les fois où il avait entendu des témoignages similaires. 

— Qu’est-ce que j’ai fait ? — a demandé Nélio au policier qui, aussi bien entraîné qu’il était, a laissé échapper une claque sur le côté du cou du jeune homme, et lui a ordonné de descendre. 

Hors du bus, assis par terre, comme un prisonnier, Nélio regardait tous les gens qui des fenêtres du bus attendaient les scènes du prochain chapitre. Le contrôle a ensuite commencé. 

— Lève ton t-shirt, vide tes poches, jeune homme. 

C’est fait. Aucun flagrant délit. 

— Ouvre ton sac à dos, doucement, espèce de toxico ! — disait le policier, une arme au poing, pointée vers la tête de Nélio. Sans hésiter, il a commencé à ouvrir son sac à dos, alors que le policier inspectait les emballages froissés, le regardant avec plaisir : 

— Bingo ! J’ai trouvé ! — Le Berger Allemand sauvait encore une fois sa journée, Rio de Janeiro, des malfaiteurs. 

Tranquille, Nélio s’est souvenu de la sagesse d’Angela. « Si tu as des problèmes et qu’un retournement de situation arrive, sors-en avec classe, comme quelqu’un qui détient le contrôle dès le début. Valorise ton innocence ». 

C’était ce moment-là. Il a demandé du calme au policier et à solliciter la permission d’ouvrir lui-même les paquets pour lui montrer les produits. Le policier a remarqué quelque chose d’étrange, mais son égo de chien enragé ne l’a pas laissé baisser la tête. Lui-même a ouvert désespérément les emballages des pierres pour montrer sa réalisation à tout le public.

Nélio, aussi calme qu’un scientifique internationalement connu, a expliqué les composition chimiques — inventées au même moment —: le type de pierre, à quoi elles servaient, où ils les avaient achetées et à quel prix. 

Le policier était furieux, déstabilisé par le spectacle sans gloire - jusqu'à trouver le canif. Là, il savait qu’il pouvait tout perdre ou tout gagner. Il a levé le canif pour que tous le voit. 

— Vous voyez tous que je viens de trouver une arme ? — criait le policier haut et fort, en tentant de provoquer l’approbation et la clameur. Nélio ne savait pas quoi faire, mais il a tenté de donner une impression de calme et d’inquiétude, avec tout son histrionisme. Cherchant une manière d’en finir avec ce contrôle, Nélio a vu l’autre policier qui accompagnait le Berger Allemand, qui, jusque-là, ne faisait qu’observer la situation, lorsqu’il a demandé à son collègue de lui montrer le canif. Le Berger Allemand le lui a donné, heureux, mais il a tout de suite changé d’expression : le deuxième policier l’avait rendu au jeune Nélion, lui ordonnant de remonter dans le bus.

— Rentre chez toi, jeune homme. 

Nélio a rapidement rangé ses affaires et est entré dans le bus, comme s’il défilait sur un podium, couvert de divers regards intrigués et interpellé par l’homme responsable de la vente des tickets: 

— Jeune homme, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais tu es le premier à reprendre le bus après ce genre de contrôle.

Nélio n’a pas répondu. Il a simplement continué son voyage, tranquille, ne pensant qu’aux pierres et au canif qu’il venait d’obtenir.


 

Utanaan Reis | Brésil |

Utanaan Reis est économiste, diplômé de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro. Il écrit des chroniques, des contes et des poésies depuis son adolescence, inspiré par son quotidien dans la Baixada Fluminense, où il a grandi. 

utanaan.reis@gmail.com

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