Franchement : progressistes et antiracistes, pourquoi ne pas élargir le débat ?
Formé par des leaderships noirs, le mouvement Bancada Preta, né à São Paulo en 2019, propose la création d’un agenda unifié pour les périphéries de la ville
Bob Controversista
| Brésil |
mars 2021
traduit par Déborah Spatz
La Bancada Preta cherche, depuis sa fondation, à combattre les inégalités sociales et le racisme structurel au Brésil, et à inciter l’émancipation des groupes sociaux en situation d’inégalité via la technologie sociale de communication transformatrice. Avec l’utilisation des réseaux sociaux, la Banca Preta met au premier plan le débat sur la construction d’une structure de ville qui soit antiraciste, anti-misogyne et anti-LGBTIQ+phobie.
A partir de cette réalité d’inégalité suburbaine et loin des privilèges, nous pouvons dire que le sujet appelé « moral », concerne, ici, un ensemble de valeurs et de notions de ce qui est « vrai ou faux », « interdit ou permis », dans une communauté déterminée ou dans une tradition.
La pratique positive de ces signes moraux est importante pour que nous puissions vivre dans son intégralité la reconstruction de nouveaux et de nouvelles « Palmares », renforçant toujours plus les alliances qui garantissent la solidarité sociale et la lutte antiraciste ciblée, intransigeante et indissociable de la radicalisation de la démocratie. Nous pouvons, à partir de maintenant, analyser notre contexte de chaos et de luttes pour atteindre diverses subjectivités, même dans le discours de l’unité, de la collectivité, de la sonorité, entres autres jargons — y compris ceux qui ne peuvent être soutenus.
Les expressions les plus traditionnelles et politiques possèdent des systèmes moraux divers pour l’organisation de la vie en société. La preuve de cela se trouve dans les différences qui existent entre les aspects de plusieurs lectures du monde insérée dans un même contexte de privations de droits, ceux-là et celles-ci qui se déversent au bord du « réactionnisme ». Je tente toujours d’avoir une pensée « morale », parce que je suis le fruit de la conscience collective d’une société déterminée et d’une culture, celle-ci peut varier dans le temps et avec la construction historique influencée par les contradictions et les constructions narratives qui visent, en somme, à promouvoir les conflits existentiels déjà dans la signature imposée par les contrats sociaux contrôlés par le capitalisme.
A partir de l’idée que la « morale » est construite culturellement, certaines « visions du monde » gagnent un statut de vérité entre les groupes sociaux, et pour cela, elles sont souvent naturalisées. Ainsi, une préoccupation constante dans le débat à propos de l’éthique et de la morale sont nécessaires pour éviter des violations dans toutes les expressions possibles (physique, psychique et épistémologique), ainsi que dans le chaos social. Les valeurs éthiques se proposent, ainsi, comme l’expression et la garantie de notre condition d’êtres humains, sujets rationaux, agents libres, interdisant moralement la violence et promouvant la cohésion sociale, cela signifie: : le « lien », l’aquilombamento, entre les personnes en communauté.
Ainsi, la notion de violation, de discrimination et d’élargissement des discriminations varie, tant des valeurs de vertus, fondamentales à la vie éthique et pour éviter la violence, que dans l’acte immorale et anti-éthique. La notion de bien et de mal, de bon ou de mauvais est fondamentale pour que nous pensions à une forme de nous éloigner de la souffrance, de la douleur, atteignant le bonheur de forme collectivisée et en engageant des secteurs pour élargir cette réflexion.
Il est donc important de rappeler que les fins éthiques nécessitent des processus éthiques, ce qui nous fait déduire que la fameuse expression « la fin justifie les moyens » n’est pas valide. Si dans nos signes éthiques et moraux, nous considérons le racisme comme quelque chose d’immoral, cela serait un moyen injustifiable pour atteindre quelque chose, même si cela se faisait au nom d’une certaine valeur morale. La simple existence de la morale ne justifie par la présence explicite d’une éthique, entendue comme une philosophie morale, c’est en fait, une réflexion qui discute, problématise et interprète le sens des valeurs morales. Au contraire de cela, les sociétés tendent à naturaliser leurs valeurs morales au long des générations, permettant que l’acceptation généralisée du capitalisme, du racisme, entre autres, soient potentialisés et naturalisées.
Nous collectons les fruits de la « Carta ao Povo Brasileiro », publiée en juillet 2002, dans le contexte de la campagne électorale pour la course à la présidence de la République, du Parti des Travailleurs (PT), à partir de son candidat de l’époque Luiz Inácio Lula da Silva. Comme une espèce de Lettre d’Engagements avec le grand capital spéculatif et pillard des travailleuses et des travailleurs, la Carta aos Brasileiros apparaît comme le marqueur représentatif de la politique de ce que le Parti des Travailleurs est devenu et prétendait mettre en pratique, s’il était élu. En mettant l’accent sur la nécessité de changement immédiat dans la conjoncture politique brésilienne de l’époque, le document renforce l’importance de penser un changement économique avec pour base les grandes réformes structurelles, en ayant comme principe l’unité autour de la croissance et du développement national.
Se différenciant, ou encore, en grande mesure, en contredisant le manifeste de fondation du parti, publié dans le Journal Officiel le 21 octobre 1980, dans lequel le parti se positionnait aux côtés des travailleurs et des exploités, demandant aux masses de s’organiser « elles-mêmes pour que la situation sociale et politique soit une outil de la construction d’une société juste, solidaire, éducatrice, socialiste dans les principes et qui répondent aux intérêts des travailleuses et des travailleurs et des autres secteurs exploités par le capitalisme », la Lettre aux Brésiliens nous avait offert une politique conciliatrice, physiologiste et non-alignée avec la radicalisation de la démocratie, dans laquelle l’agrobusiness, les banques, les grandes entreprises, les moyens de communication (qui ont soutenu le coup d’état) et la grand bourgeoisie vivraient supposément aux côtés des banques communautaires, de l’agriculture familiale, des quilombos et des petits commerçants, comme des frères et sœurs.
Le dialogue n’est pas à propos de l’abandon du sujet économique, mais plutôt à propos de la nécessaire rupture avec le manque de prise de conscience des masses et des peuples.
Le manque de reconnaissance de l’erreur, dans le champ progressiste (on entend ici la gauche), institué durant de nombreuses années, à arrêter de stimuler le débat à propos des valeurs éthiques et morales comme des stratégies d’humanisation des relations et des affectivités. C’est un débat qui doit être affronté dans l’arène morale, ne s’abstenant pas des contradictions historiques, d’ailleurs celle qui doit être balayée sous le tapis ce diviseur historique, on entend ici la conciliation de classes, pour des avancées nécessaires dans le prochain cycle, comme ses visées et ses objectifs.
Quelle est la leçon numéro un d’une lettre lue de 2002 à 2020 ? La leçon numéro un est : « parlons d’économie », « rappelons au peuple qu’il était plus heureux, qu’il avait plus d’argent et qu’il pouvait acheter du poulet et un frigo… ». Tout le débat formatif a été balayé sous le tapis et une portée d’œufs de serpent est, encore, en train d’agir. Cela n’a pas été assumé et défendu par la grande majorité, encore moins pratiqué par le débat en tant que nécessité urgente. Finalement, pour donner du potentiel à cette confusion morale, la nécessité d’élargir est urgente et demande beaucoup de courage et de cohérence pour assumer ce qui est vraiment défendu.
Dans cette réflexion, nous pouvons indiquer les technologies sociales qui mettent à l’ordre du jour cette conception de développement de narratives afro-centrées, pluripartitaires et aglutinatrices de potentialités qui soutiennent les savoirs et les réalisation dans le développement de communautés justes, solidaires et éducatrices : la Bancada Petra stimule la pratique enracinée dans des princes qui remontent, dans la contemporanéité, à la philosophie Ubuntu comme un phare.
Pour la Bancada Preta l’attente, la pratique quotidienne et révolutionnaire, la solidarité, la collectivité, l’afro-centrisme, le quilombisme sont les sentiments qui nous mettent encore en mouvement. Mais dans de nombreux aspects, ceux-ci nous sont volés. Rêver, lutter et croire que nous pouvons construire quelque chose de meilleur pour nous et pour les prochaines générations, c’est quelque chose qui est chaque jour un peu plus détruit, quand la pratique révolutionnaire est testée dans le collectif.
En tant que descendants d’un peuple qui a souffert et installé dans le champ de la résistance depuis des siècles, nous luttons, jusqu'à aujourd'hui, contre les descendants des séquestrateurs, des violeurs, des exploitants, des envahisseurs qui veulent voler notre « espoir » et qui, dans le projet défendu par le supposé champ progressiste, vivrait ensemble en paix, dans la politique « du gagner ou laisser gagner ». Nous luttons contre l’esclavage de nos corps et de nos esprits durant plus de quatre siècles; dans ce processus — nous construisons des alternatives de sociabilité.
La Bancada Preta est une expérience concrète, qui montre en pratique qu’il est possible de construire une autre société — plus humaine, plus juste, solidaire, éducatrice et viable du point de vue environnemental et auto-suffisante. C’est le résultat du courage, de la perspicacité d’un peuple qui ne se courbe pas face aux difficultés et aux barrières qui se présentent.
Les défis et les difficultés n’en finissent pas avec l’accès à l’espace de décision et de pouvoir; au contraire, ils gagnent de nouveau contour. La lutte devient celle de la survie, pour les tentatives d’intégration de plans, de projets et de programmation sur le plan social, économique, culturel et pour le droit d’exister — physique — ou psychologiquement.
Nous vivons diverses fins du monde, diverses pandémies. C’est une balle dans le pointrine d’un tout, c’est le lynchage dans les supermarchés, l’abandon qui garantit la force d’ « un jour avec et un jour sans » dans la récolte, au feu rouge, dans le transport publico-privé trop plein, dans les rues; c’est la routine successive de violence dans les guerres armées des territoires, quebradas [les quartiers périphériques], des coins de rues, des ruelles et des systèmes.
Le Covid-19 n’est qu’une des métamorphoses que nous sommes en train de vivre durant ce siècle, conséquence des tragédies comme l’invasion de l’Afrique et le séquestre de ses fils et de ses filles, la recrudescence du capitalisme et de ses tentacules, le racisme le christianisme, l’hétéronormativité.
Malheureusement, beaucoup d’entre nous seront menés par une logique égoïste et cela n’est pas dû à cette conjoncture en particulier, mais plutôt à la ligne historique. Chaque jour, où l’homme blanc et la femme blanche, capitaliste, occidental, construit le monde — nous creusons un peu plus une tombe.
Ce n’est pas moins vrai que l’extermination des jeunesses noires, qui atteint, aujourd’hui au Brésil, plus de 30 mille morts par ano, tue moins que le virus ou que, d’ailleurs, n’importe quels avancements de la fin du monde — capitaliste, blanc, néocolonial —, signifie quelque chose de meilleur.
Après avoir vu son monde être restitué, la « démocratie » néocoloniale ne vacille pas en pointant les armes vers des corps noirs, issus des favelas, pauvres et périphériques; une masse qui doit être contenu, un ennemi qui doit être exterminé. Au fond, il s’agit d’un calcul simple : 90 % de la population mondiale entretient 1 % de la population, et ensemble, nous consommons ce qui serait l’équivalent à 150 % de cette même population.
Nous pensons à comment serait la fin du racisme n’ont pas à partir d’un transition, mais d’une rupture avec le système d’oppression et d’exploitation; nous imaginons une rupture qui n’arrive jamais. Nous faisons souvent la promotion de nos aspects technologiques, des technologies que nous développons et mettons aux services des nations et du blanc. À quoi cela sert-il ?
Toute grande invention est toujours utilisée pour les mêmes objectifs : la guerre, la manipulation et les bénéfices. Un chemin tracé depuis bien longtemps, parcouru tous les jours par les personnes qui se lèvent malheureuses et qui acceptent la soumission au pain. Difficile de parler de ça dans un pays qui vit encore avec le fantôme de la faim, de la soif et du froid. Et quand nous n’aurons plus faim, soif ou faim ? Que ferons-nous ? Mourir, alors, à force de manger et de boire, regarder ceux et celles qui sont nos égaux avec le recoupement de classe et ainsi séparer ? Finalement et cependant, ce seront les valeurs morales et éthiques qui donneront une réponse.
Je n’ai jamais pensé que ce serait possible d’en finir en quelques minutes avec une rivière vieille de millions d’années. Pour moi, tout était très dénigré, à n’importe quel moment, nous sommes invités à un enterrement. La rivière, l’eau, la source de la vie, contaminée par du mercure, du sang et du fer, suit la même méthodologie millénaire. Le racisme environnemental. Cette image du barrage de Brumadinho se rompant ne quitte pas mon esprit, c’est un exemple de ce qu’ils veulent (les fascistes, les bourgeois, les capitalistes) du Brésil et de l’Amérique Latine, d’un espace afro-indigène, dans un grand trou, comme ils ont voulu le faire depuis qu’ils sont arrivés ici.
La fin de l’espoir s’élargit et ne sera pas courte. La transformation ne sera pas rapide. Tout sera lent, comme le temps de la terre et, plus encore, comme le temps de l’entendement. Parce qu’au début, nous étions un seul continent, au début nous étions la Pangée. Je ne parviens pas à oublier cette si belle image. Le contact des deux hémisphères, une phase si nouvelle, encore contrariée, encore blessée depuis cette séparation.
Il est temps de se souvenir. Quand le régime colonial a abandonné le Brésil sous la figure de la blanchité colonisatrice et que le Portugal a été abandonné à son propre sort, l’étoile noire de Zumbi brillait, nous montrant la direction. Un type de conscience dont nous devons nous souvenir maintenant pour nous confronter à la destruction, une conscience aquilombante.
C’est dans le quilombo, qu’aujourd’hui, Bancada Preta, nous, population noire des Amériques, élevons les murs des idées qui puissent abriter nos puissances créatives, collectives et collectivisées de vie, aussi persistante que la saga pour notre génocide, la machine à hacher la viande noire que nous appelons la modernité. Pour aquilombar en ces temps de fin du monde, il faut, d’abord, créer un quilombo en soi. Mettre son corps et son esprit en mouvement pour de nouvelles idées.
Nous faisons face à un moment de profondes difficultés, d’absence de travail, d’emploi et de peu d'alternatives pour générer un revenu. Celui qui parvient à vendre sa main d’œuvre doit se déplacer durant de longues heures dans le transport collectif privé/public et n’a très souvent personne chez qui laisser ses filles ou ses fils à cause de l’absence d’espaces d’éducation pour les plus petits. Dans les territoires où nous habitons, beaucoup de choses manquent, l’école est encore petite; il manque les médicaments à la clinique, il n’y a pas d’espaces culturels et de loisir, nous n’avons plus confiance, et cela même avec la présence de ceux qui devraient nous protéger.
Le quotidien massacrant nous fait paraître, et parfois vraiment, faibles, impuissants, incapables de changer les chemins et les routes de ces vies déjà si désolées. Cela montre la nécessité de toujours chercher un confort, une accolade, quelque chose qui alimente l’espoir pour continuer le voyage. Cette recherche n’est pas individuelle, mais collective. C’est dans ces moments difficiles que nous cherchons encore plus à retrouver la force de nos ancêtres.
La Bancada Preta cherche principalement à se nourrir de l’ancestralité, de comprendre les technologies et les méthodes que nous avons construites au fil des siècles qui nous ont permis de parvenir jusqu’ici. Cette appartenance et cette identité sont fondamentales pour que nous percevions que nous ne sommes pas seuls et que nous avons besoin d’être unis de manières fraternelles, en agissant collectivement et stratégiquement. Cependant, c’est en tant que noires, noirXs et noirs que nous sommes ici, encore une fois en train d’écrire ce qui a déjà été écrit exhaustivement par tant d’autres avant nous.
La Bancada Preta prétend établir le self-care, construire des espaces collectifs d’affect, d’accueil, d’écoute, de sociabilité, de sens collectifs, de renforcement des liens, des mémoires et de constitution d’identités.
La Bancada Preta est une organisation, une construction d’espaces qui peuvent refléter et agir à propos de notre réalité. Interroger ce qui est mis sur le devant, qui nous oppresse et construire des demandes, des actions concrètes et mettre en mouvement pour changer nos réalités.
La Bancada Preta veut comprendre notre histoire, nos origines, notre culture, retrouver nos mémoires et rappeler le passé pour comprendre le présent et construire le futur. Cela nous fait remarquer à quel point l’action culturelle et l’action politique marchent ensemble et forment ensemble une technologie puissante d’organisation et d’intervention sociale, dans lesquelles les valeurs éthiques et morales se rencontrent dans le quotidien de la construction en communauté.
La Bancada Preta c’est faire, communiquer, organiser des concepts, construire des fondements, des narratives et établir le dialogue avec l’ensemble de la société, en plus de décoloniser les corps, les esprits et les systèmes.
Bancada Preta, c’est l’aquilombamento tactique et stratégique; c’est une nécessité historique, c’est un appel : la reconnexion avec notre ancestralité pour agir dans le présent, construire l’espoir, la force et le rêve de laisser un futur meilleur.
Franchement, c’est avec nos paires. Et alors, franchment, on y va ?
Bancada Preta | Brésil |
Bob Controversista | Brésil |
Eduardo José Barbosa est éducateur Populaire — Coordinateur d’État du Collectif National des Entités noires — CEN-SP
bobcontroversista@gmail.com