Kenarik Boujikian
Alternatives à la culture punitive de la justice brésilienne
Cristiane Checchia
| Brésil |
septembre 2022
traduit par Déborah Spatz
Petite-fille de survivante du génocide arménien, Kenarik Boujikian est née à Kessab, en Syrie, en 1959. Elle a immigrée vers le Brésil avec sa famille, à l’âge de trois ans. Elle a passé une partie de son enfance à São José do Rio Preto, et a ensuite déménagé à São Paulo. Elle a obtenu un diplôme en droit de l’Université Pontificale Catholique de São Paulo, et a suivi une carrière de juge au Tribunal de Justice de l’État de São Paulo. Elle a pris sa retraite en 2019.
Kenarik Boujikian est une importante défenseure des Droits humains et l’une des fondatrices de l’Association des Juges pour la Démocratie (AJD), une entité qui depuis plus de 30 ans se bât pour la défense de la démocratie, de la dignité de la personne humaine et pour la démocratisation interne de la Justice. Au sein de l’AJD, elle a intégré un groupe de travail et d’études Mulheres Encarceradas (Femmes incarcérées), qui a pour but de dénoncer les effets de la politique d’incarcération, principalement sur les femmes, et de montrer des alternatives pour résoudre le problème.
Dans un interview pour la Revue Periferias, Kenarik analyse de manière critique le rôle exercé par le judiciaire en tant que “conducteur du système de violence qui domine la société brésilienne” et qui fragilise encore plus la population la plus vulnérable et exposée aux effets du racisme, du patriarcat et de la pauvreté. Son infatigable trajectoire ainsi que sa militance, avec d’autres défenseurs des Droits humains, nous inspire toujours à chercher d’autres alternatives pour un monde plus fraternel et plus solidaire, dans lequel toutes et tous obtiennent la garantie de leurs droits.
L’incarcération massive et sélective atteint la population la plus fragilisée au Brésil. Nous savons de quelle manière l’incarcération passive et sélective est reliée aux questions de racisme, du patriarcat et de la pauvreté structurels dans notre pays. Malheureusement, les postpositions pour penser la désincarcération engendrent encore beaucoup de méfiance : les prisons sont encore vues, dans le sens commun, comme la solution à d’innombrables problèmes, les plus variés possibles. La société parie sur la prison comme solution pour des problèmes extrêmement complexes. Pourquoi y-a-t’il autant de résistance pour penser à des alternatives ?
La société voit, historiquement, la prison comme l’unique solution contre la pratique des crimes. C’est la trajectoire du Brésil. Cela apparaît dans tous les organes de pressespossibles. L’augmentation de la peine est l’argument automatique, toujours présenté comme étant une solution. Il y a une confusion de la société elle-même quand cela est présenté, soit par le législatif, qui élabore des peines plus dures, ou par les moyens de communication. Ainsi, un discours unique prend forme et il perdure depuis longtemps, depuis des années, des siècles, au Brésil. Rompre avec cela est très difficile.
Il est plus commode de juger les personnes au sein même de la prison. Cela revient à ne rien faire. C’est comme si l’on abdiquait de ce qui est absolument nécessaire pour que nous ayons vraiment une politique de sécurité pour les citoyens
Quand j’étais étudiante à l’université, nous avons lu le fameux livre Des délits et des peines, de Beccaria, du XVIIIe siècle, dans lequel il était déjà dit qu’augmenter la peine ne sert à rien. Ensuite, j’ai fini par vivre cela, parce que je suis une opératrice juridique, une juge : j’ai vu de mes propres yeux l’explosion du système d’incarcération, avec la loi des crimes odieux.
Pourquoi est-ce difficile de penser à des alternatives ? Parce qu’il est plus commode de juger les personnes au sein même de la prison. Cela revient à ne rien faire. C’est comme si l’on abdiquait de ce qui est absolument nécessaire pour que nous ayons vraiment une politique de sécurité pour les citoyens. Et dans ce discours, la presse joue un rôle fondamental. Et elle n’est pas la seule : la gauche punitive également. Si l’on regarde, on va retrouver une gauche absolument punitive dans plusieurs projets de gouvernement que nous avons eu.
Récemment, une femme, mère de cinq enfant, pauvre et affamée, a été mise en prison à São Paulo, accusée d’avoir tenté de voler dans un supermarché, deux paquets de nouilles instantanées pour nourrir ses enfants. Après avoir été condamnée en seconde instance, sous des allégations de récidives et de dangerosité, cette femme a été incarcérée durant deux semaines, jusqu’à ce qu’un juge révise son procès. Que pouvons nous dire de l’invisibilité de ces affaires, de ces corps, de ces voix ? Madame, diriez-vous que son caractère est symptomatique du fonctionnement du système pénal brésilien ?
C’est l’un des visages du sytème prisonnier. Comment peut-on croire qu’une femme qui a commis ce vol doit être mise en prison pour garantir la sécurité de notre société ? C’est du délire ! Il s’agit d’une affaire absolument choquante, mais elle révèle un peu de ce jeu des personnes qui sont dans le système. Ce qui se passe dans la tête d’une juge qui voit un danger social à cause d’un vol, une juge qui laisse une femme, mère de cinq enfants, dans une prison ? Et pas seulement la juge, puisqu’après la première instance, il y a eu un appel et l’affaire a été analysée par le Tribunal de Justice de São Paulo.
Ensuite, la défense a dû demander un recours au Supérieur Tribunal de Justice, qui est encore une autre instance, pour parvenir à faire annuler la décision. La juge a laissé entendre très clairement, dans sa décision, que cette femme, qui avait volé un jus de fruit, du Coca-Cola et des nouilles instantanées, représentait, en liberté, un risque à l’ordre publique, aggravant l’instabilité du pays.
Je pense donc que cette situation dramatique révèle la manière dont le judiciaire n’est ouvert aux personnes pauvres que lorsqu’il s’agit d’ouvrir les portes des prisons, comme si c’était là-bas que se trouvait la justice.
Le Système Judiciaire et tous les autres droits qui sont prévus dans notre Constitution ne se connectent à aucun moment pour que les personnes les plus pauvres aient accès aux droits fondamentaux comme la santé, l’éducation et l’habitation. Pour tous ces droits, les portes sont closes, mais pour qu’ils entrent en prison, celles-ci sont ouvertes
Le judiciaire, le Système Judiciaire et tous les autres droits qui sont prévus dans notre Constitution ne se connectent à aucun moment pour que les personnes les plus pauvres aient accès aux droits fondamentaux comme la santé, l’éducation et l’habitation. Pour tous ces droits, les portes sont closes, mais pour qu’ils entrent en prison, celles-ci sont ouvertes.
Malgré les avancées, il s’agît ici d’une triste constatation, puisque la vérité est que nous avons un profil Judiciaire qui est n’a pas encore pris en charge le rôle qui lui a été accordé dans la Constitution de 1988, qui est celui de garantir les droits fondamentaux. C’est le rôle du juge dans tous les procès, et dans tous les droits.
Il y a un judiciaire, avec tous les attributs qui lui sont propres, comme l’indépendance judiciaire, l’inamovibilité, l’irréductibilité du salaire avec toutes les garanties, mais cela n’a aucun sens si la fonction constitutionnelle de garantir le droit n’est pas respectée. Dans le droit pénal, le procès pénal et l’exécution pénale, nous avons une série de règles prévues dans la Constitution Fédérale : mais où sont-elles ? Nous regardons dans les prisons et nous nous demandons : où est la dignité humaine?
En 2016, vous avez été jugée dans un procès disciplinaire par le Tribunal de Justice Supérieure de São Paulo simplement pour avoir fait appliquer la loi, en publiant un ordre de libration pour des personnes en prison préventive, qui étaient déjà incarcérées depuis plus longtemps que la détermination leurs peines. Quelles réflexions faites vous sur cette affaire?
Je travaillais déjà au Tribunal de Justice, dans la seconde instance et lorsque j’ai reçu une certaine affaire, j’ai constaté que la peine de cette personne avait déjà été purgée. J’ai ressenti du désespoir. Comme j’étais la rapporteure, l’affaire était sous ma responsabilité, et il y a des situations dans lesquelles les juges de la seconde instance Il peut et doit décider seul, de manière monocratique. Ce sont les cas de précaution, les cas d'urgence. Ensuite, ces décisions peuvent être confirmées ou non par le jury.
Dans ce cas, j’ai faire publier un ordre de libération, justement parce que la peine déterminée avait déjà été purgée. Après, il y a eu le processus normal et l’affaire est arrivée devant le groupe chargé de juger.
Plus tard, le juge de la cour d’appel n’était pas d’accord, sa justification était que j’avais pris cette décision de manière monochromatique — seule —, et au sein du tribunal, on juge en groupe, ce qui est vraiment la règle. Mais il y a ces exceptions dans les affaires urgentes, qui sont toujours soumises, postérieurement, au groupe.
Dans la représentation, il disait que j’avait fait cela dans onze affaires, même s’il y en a eu plus que cela : au total 50 affaires. J’ai ainsi informé combien d’affaires il y avait eu et pour lesquelles j’avais pris cette décision.
Bon, j’ai été punie pour cela. C’est fou d’être punie à cause d’une obligation ! Parce que le juge ne peut pas laisser, l’État ne peut pas laisser quelqu’un une journée de plus en prison ! L’État a le devoir d’indemniser quelqu’un qui reste une journée de plus en prison!
Cela a donc soulevé quelques questions. À la fin, j’ai fait appel au Conseil National de Justice, qui a pris un très bonne décision : il a annulé la décision et a mis en cause le Tribunal de Justice de São Paulo pour avoir fait quelque chose d’absurde puisque, dans ces affaires, je faisais ce qui m’est demandé, alors que normalement, tout ce qui arrive au Conseil National de Justice, ce sont des affaires de juges qui ne font pas ce qu’elles devraient faire. Je faisais attention aux affaires. Il faut suivre la loi dans ces affaires, quand il y a une irrégularité et une personne doit être remise en liberté.
Tout cela révèle que, d’abord, il existe une culture extrêmement punitiviste parce que ce qui dérangeait le plus c’était que j’avais remis une personne en liberté. Si j’avais mis quelqu’un en prison, ou si je l’y avais maintenu, personne ne se plaindrait. Et cela ne date pas d’aujourd’hui : je me souviens lorsque je travaillais au Département d’Exécutions Criminelles, dans les années 90, les promoteurs n’appréciaient pas certaines décisions dans le régime de progression des peines, dans le cas des crimes odieux.
Si un certain terme ne se trouvait pas dans la sanction, et si je pensais que c’était possible, j’accordais une grâce humanitaire aux personnes porteuses de VIH en phase terminale. Ceux que cela avaient dérangé sont allés au Tribunal pour se plaindre et le Tribunal m’a retiré de ce département. Vous voyez, cela a eu lieu de 1993, et ça s’est répété à la fin de ma carrière, mais cette fois, avec l'ouverture d'une procédure contre moi.
Cela arrivent parce que nous avons un système qui veut contrôler la pensée de tous les juges, ce qui est extrêmement faux. La décision judiciaire de mon procès a fini par être positive parce qu’il a montré deux choses : il a montré la question de l’Indépendance Judiciaire, comment celle-ci est rendue vulnérable par le Tribunal de Justice lui-même, et a montré des données réelles sur le monde carcéral, que beaucoup de personnes qui s’y trouvaient ne devraient pas y être.
La Lei de Drogas [Loi des Drogues], promulguée au Brésil en 2006, suit une tendance plus large en Amérique latine. Quel est le sens de cette loi et quels en sont les effets sur la population plus vulnérable, principalement la population noire et pauvre des périphéries urbaines ?
La guerre contre les drogues — en ne développant pas de manière spécifique cette loi — n’a aucun sens car elle ne résout pas la question de la personne qui est simplement utilisatrice, ni même la question du trafic à proprement dit, qui fait circuler beaucoup d’argent dans le monde entier, ni, même, la question du “petit trafiquant”. L’origine de cette politique vient des États-Unis, et s’est multipliée dans toute l’Amérique Latine. Au Brésil, cela n’a pas été différent, elle a été comprise comme étant une solution, mais a fini par suivre le même chemin que la loi sur les crimes odieux.
La guerre contre les drogues n’a aucun sens car elle ne résout pas la question de la personne qui est simplement utilisatrice, ni même la question du trafic à proprement dit, qui fait circuler beaucoup d’argent dans le monde entier, ni, même, la question du “petit trafiquant”
Pour beaucoup de personnes qui ont participé à l’élaboration de la Lei de Drogas, il y avait une idée de dire qu’elle serait plus bénéfiques pour les petits trafiquants, puisque la loi se voit comme étant atténuante pour ceux qui n’ont qu’une petite quantité de drogue, ceux qui n’ont aucun lien avec une organisation criminelle, ce qui permettrait une réduction de peine d’environ un an et huit mois. Elle prévoyait également la substitution de la peine : notre système prévoyait la substitution de la peine de prison par d’autres peines. Beaucoup de personnes ont, vraiment, pensé que cela favoriserait la désincarcération mais celles-ci ont oublié de voir qui sont les opérateurs de justice : ce juge qui laisse une femme en prison pour avoir volé une bouteille de Coca-Cola, une jus de fruits et des nouilles instantanées, qui coûtent environ R$ 21 [moins de 3€80].
Les juges ont alors augmenté la situation d’incarcération, au lieu de ne plus appliquer la peine de prison et remplacer les pénalités, ce qui a également eu lieu avec la politique de construction de prisons de l’Exécutif, indépendamment de toute autre chose. L’Exécutif a commencé à mettre en place cette politique de façon très intense, motivé par un discours électoral tout en trompant le peuple. Les effets se font ressentir au sein de la population la plus vulnérable, la plus exposée à la violence, puisqu’il existe une chaîne très complexe qui n’atteint pas les grands trafiquants, mais ceux qui sont en possession d’une petite quantité.
Je me suis chargée de l’affaire emblématique de Cintia, incarcérée pour moins d’un gramme de crack, condamnée à une peine de huit ans de prison ferme. Cette femme était jeune, elle devait avoir 24 ans, elle n’avait jamais été condamnée et je pensais qu’elle devait être acquittée, elle avait de bons antécédents, il n’y avait aucune enquête policière contre elle et elle avait un enfant.
Qu’est-ce qui change dans la sécurité de la société avec la prison de cette femme ? Elle est restée en prison pendant environ quatre ans. J’étais la juge rapporteure de cette affaire et je pensais qu’elle devait être acquittée, je ne pensais pas que des preuves qui soutiendrait que la drogue lui appartenait existaient.
Mais j’ai été évincée, j’ai perdu lors du jugement, puisque d’autres juges ont confirmé sa condamnation et ont réduit sa peine à cinq ans. Je l’ai contestée: “ Ne voulez-vous pas au moins appliquer la réduction, prévue pour cette loi depuis 2006 ? “ Et ils ont répondu : “ Non, ici, nous n’appliquons pas de réduction “.
C’est la population en plus grande situation d’inégalité sociale qui souffre le plus dans cette guerre contre les drogues. Si une personne d’un quartier de classe aisée de São Paulo est arrêtée avec cette quantité de drogue, rien ne se passera. En fonction de là où elle habite, cette personne sera considérée comme un trafiquant et la peine sera lourde, puisqu’il y a une augmentation de la peine de base, qui est passée de trois à cinq ans de prison ferme. Le peu de bonnes choses qu’on trouvent dans une loi est rarement appliqué. “La guerre contre les drogues“ n’a aucun sens et les effets sur la population qui vit en situation d’inégalité la rendent encore plus vulnérable et plus sujette à la violence que le système policer et le système d’exécution des peines imposent
Il y a une critique très forte faite par les tribunaux supérieurs par rapports aux jugements rendus par le Tribunal de Justice de São Paulo, parce qu’ils considèrent simplement qu’il existe une loi qui prévoit la réduction, un code qui prévoit, à partir d’une certaine peine et certaines circonstances, la substitution de la peine.
La prison doit être, en réalité, dans notre système, la dernière solution. Mais ce qui se passe, c’est que cette règle n’est pas appliquée. Ceux qui souffrent le plus de cela, sont les personnes qui vivent dans la périphérie, les personnes pauvres, majoritairement noires. “La guerre contre les drogues“ n’a aucun sens et les effets sur la population qui vit en situation d’inégalité la rendent encore plus vulnérable et plus sujette à la violence que le système policer et le système d’exécution des peines imposent.
Quels sont les effets de la politique d’emprisonnement massif et sélectifs sur les femmes ?
Par rapport aux femmes, c’est encore pire. Dans le profil des femmes incarcérées, depuis bien longtemps, le pourcentage de crimes violents dont elles font partie est très bas. La majorité d’entre elles est jeune, en grande majorité, ce sont elles qui occupent le rôle de cheffe de famille, la majorité a des enfants. Le grand pourcentage des femmes qui sont incarcérées, le sont pour des crimes liés à la drogue. Le taux d’emprisonnement des femmes a d’ailleurs augmenté de façon vertigineuse durant la dernière décennie et demie, de près de 500 %.
Si l’on devait faire un sondage sur la quantité de drogues dans chaque affaire, ce que j’ai déjà fait durant mes procès, celle-ci est minime. Je ne dis pas que c’est le cas dans toutes les affaires, mais je parle de manière générale. Ce qui manque, c’est une compréhension de la réalité brésilienne et les effets de cela sont pervers. Une étude d’un ancien conseiller du CNPCP [Conseil National de Politique Criminelle et Pénitenciers] montre que les conséquences apparaissant sur une femme qui est incarcérée sont différentes de celles constatées quand il s’agit d’un homme.
Cela a un impact sur la vie familiale parce que sont elles, les cheffes de famille ou alors elles s’occupent de la famille d’une certaine manière. Il y a un impact autour de toute la communauté à cause de la prison. Une recherche ancienne, d’Edson Guerra, interrogeait les hommes qui parvenaient à travailler dans la prison, sur ce qu’ils faisaient avec l’argent qu’ils percevaient. Ils le consacraient à leurs propres dépenses. Alors que les femmes incarcérées qui travaillent, l’envoie à leur famille, pour qu’on s’occupe de leurs enfants.
Qui s’occupe des enfants lorsque la femme est en prison ? La famille de la femme, une autre femme s’en occupe
Cela montre que l’incarcération des femmes a des conséquences sur la vie de famille et de la communauté. Qui s’occupe des enfants lorsque la femme est en prison ? La famille de la femme, une autre femme s’en occupe. Qui sont les personnes qui sont humiliées durant la fouille pour entrer en prison ? La femme qui rend visite à l’homme, parce que les hommes, en général, ne vont pas voir les femmes qui sont incarcérées. Le pourcentage est minime.
Et lorsqu’il s’agit des femmes, la question est encore plus grave, à cause de l’attente sociale de la sainteté de la femme. Une femme qui commet un crime est très différente de l’homme qui en commet un. Le degrés de réprobation sociale par rapport à la femme est infiniment plus grand.
Si une femme est jugée, sont invisibilité est encore plus grande. Il est important de rapporter une décision qui fait face à beaucoup de résistance de la part des juges et de magistrat: la première décision du Suprême Tribunal Fédéral, un Habeas Corpus collectif pour les femmes incarcérées de façon provisoire. En d’autres termes, celle-ci atteint tout un groupe, dans ce cas, toutes les femmes incarcérées dont une des conditions est remplies, comme celle de ne pas être récidiviste ou d’avoir des enfants.
Le STF a déterminé qu'ils devaient rester en résidence surveillée et j'ai entendu les juges dire qu'ils feraient tout pour ne pas appliquer la décision du STF ! Voyez que que dans le cas de la femme condamnée pour voir voler un jus de fruit Tang, du Coca-Cola et des nouilles instantanées cette décision n’a pas été respectée par le Tribunal Suprême Fédéral. Dans certaines situations, le juge ne peut pas laisser une femme en prison de façon provisoire, en d’autres termes, dont la décision n’est pas encore rendue, mais on voit beaucoup de juge qui ne respecte même pas la décision du STF.
Au moment où nous avons réalisé cette interview, selon les données d’Infopen, la population carcérale du Brésil s’élève a environ 688 000 personnes. Il y avait presque 800 000 personnes avant la pandémie. Si aucun changement n’avait été effectué dans la législation, et si seule la loi et les pénalités alternatives étaient appliquées, une proportion très considérable de ces personnes pourrait être hors des prisons. Quels en seraient les bénéfices pour la société ?
Je pense qu’il y aune chose importante à dire : parmi toutes ces personnes incarcérées beaucoup le sont sans raison. La prison préventive, celle dans laquelle l’individu n’a pas encore été condamné puisque son cas est encore en train d’être jugé, doit être une exception.
Et quelle est la quantité de personne incarcérées sous cette condition ? Environ 40 %1Lors du dernier recensement Infopen, ce nombre est tombé à environ 25%, en raison des libérations facilitées pendant la pandémie. Cette diminution, à notre avis, renforce même l'argument que la juge développe ici. Il y a une dénaturalisation dans notre système, alors que la prison devrait être une expiation. Dans notre système normatif, on n’emprisonne qu’en dernier recours, en cas de nécessité absolue. La prison est une exception, pendant le jugement et ensuite également.
Et donc, nous avons un grand nombre de personnes qui ne devraient pas être incarcérées provisoirement. Il est très commun que les juges utilisent la prison préventive comme s’il s’agissait d’une anticipation de la peine, mais cela n’est pas prévu dans la loi, la loi met en place d’autres paramètres. Il y a également un impact social, que nous pouvons calculer par l’impact économique. La valeur mensuelle par personne incarcérée est environ équivalente à trois salaires minimums.
Le système carcéral, c'est plus que prouvé, n'apporte aucune solution à la violence sociale et au système de sécurité
Prenons pour base le coup de seulement deux salaires minimums pour le maintien d’une personne dans le système. Seulement pour l’incarcération de Cintia, qui a duré quatre ans, l’État de São Paulo a dépensé environ R$ 105 mille [environ 66 mille €], en pondérant par le bas. Quel est le bénéfice de cette incarcération pour la société ? Et la vie de l’enfant qui a vécu sans sa mère pendant quatre ans ? Comment mesurer la question émotionnelle ? Et pour cette femme, qui n’a pas travaillé durant tout ce temps ? Du point de vue économique, il y a des dépenses non-explicitées en général. La prison génère un coup énorme, malgré ses conditions horribles. Et le système carcéral, c'est plus que prouvé, n'apporte aucune solution à la violence sociale et au système de sécurité. Moi, en particulier, dans certains cas, je ne vois pas d'autre alternative que la prison, mais ce que nous voyons, c'est l'utilisation abusive de la prison par le système judiciaire.
Pouvons nous penser qu’une vaste partie de la population brésilienne est toujours victime de l’action discrétionnaire et discriminatoire de la police et du système pénal et prisonnier, qui maintient une série de facteurs de continuité par rapport à la dictature (1964-1985), ou, dans une perspective plus large, par rapport à notre passé esclavagiste, raciste et patriarcal. Comment pourrions nous mettre le problème prisonnier sous le radar des priorités dans les secteurs sociaux engagés dans la démocratie ? Existe-t’il des alternatives pour que nous pensions à un monde plus juste, moins violent et avec moins de prisons ? Quels seraient des bons exemples de façon d’agir contre le problème de l’incarcération ? Y-a-t’il des pays en avance dans cette discussion ? Vers où devons nous regarder ?
Comment faire pour que les personnes puissent voir cela ? Nous devons mener une réflexion plus ample sur le rôle que la prison doit occuper dans la société brésilienne, a qui elle sert ? Les secteurs sociaux engagés effectivement dans la démocratie doivent commencer à faire ce type de réflexion pour que nous puissions avoir d’autres chemins. Le système de justice occupe une place de conducteur réalisateur du système de violence qui règne dans la société brésilienne et nous ne parvenons pas vraiment à sortie de cet enchevêtrement esclavagiste.
La société civile organisée tente d’avancer grâce à ses principes, aux documents internationaux qui existent sur cette thématique, mais on ne parvient pas toujours a faire cela de façon réelle. De manière réelle, c’est encore très difficile, principalement en cette période catastrophique de destruction absolue des droits. En parlant de cet héritage dont j’ai parlé, il y a une partie du livre d O povo brasileiro: a formação do sentido do Brasil [Le peuple brésilien - la formation du sens du Brésil], de Darcy Ribeiro, que je trouve très marquante : “Descendants d'esclaves et de maîtres d'esclaves, nous serons toujours les serviteurs de la malignité distillée et instillée en nous, tant par la sensation de douleur produite intentionnellement pour faire plus mal, que par l'exercice de la brutalité sur des hommes, sur des femmes, sur des enfants convertis en pâturages de notre fureur. Le plus terrible de nos héritages est celui de porter toujours avec nous la cicatrice d'un tortionnaire imprimée dans l'âme et prête à exploser dans la brutalité raciste et de classe. C'est ce qui brûle encore aujourd'hui dans tant d'autorités brésiliennes prédisposées à torturer, abuser et blesser les pauvres qui tombent entre leurs mains..." C’est une réflexion que nous devons avoir — voir où sont nos cicatrices.
Comment allons-nous avancer ? Nous ne parviendrons pas à avancer vers une autre société tant que nous n’effectuerons pas les réglages par rapport aux cicatrices des personnes torturées pendant l’époque de la dictature et à l’époque de l’esclavage. Il est impossible d’avancer si nous n’avons pas cette réflexion. Il faut, de manière urgente, avoir cette réflexion que Darcy Ribeiro nous présente dans son livre, que j’apprécie beaucoup. Je pense qu’il donne une clé pour que nous nous regardions dans le miroir brésilien dans les périodes de l’histoire.
Il y a une partie expressive dans l’univers juridique de notre pays qui finit par maintenir de multiples violences. Cependant, dans votre formation et votre action professionnelle, vous avez agi dans le sens opposé. Comment voyez-vous votre trajectoire dans la magistrature et la militance ?
Je dis que je porte dans mes veines l'histoire de la survie, car ma grand-mère est une survivante du génocide arménien, qui a eu lieu en 1915, alors qu'elle était orpheline. Je pense que c'est de là que vient mon engagement ancestral pour les droits de l'homme. J'ai été juge pendant trente ans, mais je n'ai jamais renoncé à exercer la citoyenneté et à être un militant, concomitant de la magistrature. Dans toutes mes démarches, qu'elles soient professionnelles ou militantes, j'ai toujours été guidé par les Droits de l'Homme. Dans les procès, avec la première maxime, qui est une obligation de tous les juges, d'être le garant des droits et dans le reste de ma vie, en dehors de l'espace de la justice, de contribuer avec mes limites pour que nous puissions effectivement avoir un monde plus humain.
Cristiane Checchia | Brésil |
Historienne et professeur de littérature latino-américaine à UNILA. Coordinatrice du projet Direito à poesia (Droit à la poésie), qui réalise d’ateliers littéraires dans les prisons de Foz do Iguaçu, au Sud du Brésil. www.direitoapoesia.com.brtrad
cristiane.checchia@unila.edu.br