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periferias 7 | désincarcérer l’emprisonnement

photo: Iminência, Lucas Finonho (2022) | illustration: Iminência, Lucas Finonho (2022)

Qui a peur de l'enfant noir vivant, instruit et libre?

Corps, territoire des mineurs infracteurs, et les propositions du collectif HONEPO — Hommes Noirs en Politique

Osmar Paulino

| Brésil |

mars 2023

traduit par Déborah Spatz

Résumé

HONEPO est un collectif composé par divers hommes noirs de différents états du Brésil, qui a pour objectif de créer, à travers des données, des discours à propos de l’homme noir, de créer à partir des multiples habilités de nos intégrants et les nécessités sociales dans les territoires et de former les candidats, engagé avec le programme noir, la périphérie et la démocratie, le législatif et l’exécutif de toutes les sphères.

Le profil des adolescents pris en charge par les unités du Département Général d’Actions Socioéducatives (DEGASE) entre janvier 2018 et septembre 2020 est composé à 94 % de jeunes garçons noirs, qui ont en moyenne 16 ans, selon les données du Parquet de Rio de Janeiro. Ces jeunes garçons correspondent au profil des 71,7 % d’adolescents qui abandonnent le plus l’école, selon les données de l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistiques (IBGE) en 2020. Il suffit de croiser les données pour avoir une notion évidente et dure de la réalité à laquelle font face les jeunes noirs.

La plupart de ces jeunes garçons abandonnent l’école par nécessité de travailler, invariablement, ce sont des emplois dissimulés, comme emballer les courses au supermarché, surveiller des voitures ou des vélos, vendre des bonbons aux feux de circulation, entre autres. Cette dynamique rend plus vulnérable cet être qui se voit très rapidement être arrêté par des institutions de correction socioéducatives ou totalement éloigné du chemin de l’éducation, du marché du travail légal et par conséquent, se liant de façon très distante, en tant qu’adulte, au système politique du pays. C’est dans cet intermède de forces, d’intérêts et de processus historiques que HONEPO (Hommes noirs en Politique) est créé.

HONEPO est un collectif composé par divers hommes noirs de différents états du Brésil, qui a pour objectif de créer à travers, des données, des discours à propos de l’homme noir, de créer à partir des multiples habilités de nos intégrants et les nécessités sociales dans les territoires et de former les candidats, engagé avec le programme noir, la périphérie et la démocratie, le législatif et l’exécutif de toutes les sphères. Ainsi, HONEPO vise à améliorer significativement le cadre de vie des petits garçons, des jeunes et des hommes noirs, que ce soit en créant des possibilités sur leur territoire, en préparant des personnes pour représenter leurs intérêt dans la politique institutionnelle. 

Les jeunes garçons noirs sont les principales cibles de la biopolitique, en d’autres termes, le contrôle en masse des corps, perpétué par divers institutions gouvernementales. Le contrôle en masse sur leurs corps, de l’endroit où ils doivent être ou ne pas être, est mis en évidence lorsque nous considérons que 76,2 % des personnes assassinées au Brésil sont noires, selon les données de 2020 du Forum Brésilien de la Sécurité Publique. Parmi elles, 54,3 % sont des jeunes, 91,3 % sont des jeunes noirs du sexe masculin.

Ces données, qui se trouvent dans l’Infographie de la Situation de l’Homme Noir au Brésil, produit par HONEPO, nous montre qu’à partir de cette relation basée sur le contrôle, de jeunes noirs sont poussés vers une zone de non-être, comme l’affirme le Docteur Franz Fanon dans son livre Peau Noire, Masques Blancs. En d’autres termes, la dignité des jeunes noirs est réduite par l’État. Cette dynamique se doit à partir de la sphère du corps et de la construction subjective du jeune noir dont le corps est déplacé par la logique de l’humanisation. Ainsi, pour cet être, les attributs objectifs qui vont lui garantir le plein exercice de la citoyenneté, comme l’éducation formelle de qualité, la santé et le loisir, par exemple, lui sont niés puisqu’il ne fait pas parti, dans le regard de la ségrégation, de la caractérisation de l’être humain.

En tant que territoire, le corps du jeune noir est en constante lutte de pouvoir, symbolique ou matérielle. Lorsque nous parlons de ce jeune, nous parlons d’un corps multi-territorialisé. La lutte de pouvoir symbolique, à partir du corps du jeune noir, peut être analysée à partir de la représentation imagétique, et cela devient évident lorsque nous recherchons les diverses productions cinématographiques qui ont pour thème la violence et le trafic de drogues, ou même les productions littéraires. Dans pratiquement tous les cas, le jeune noir est le sujet qui va représenter les personnages marginalisés.

Nous pouvons citer par exemple les films Pixote, la loi du plus faible (1980) réalisé par Hector Babenco, La Citée de Dieu (2002) réalisé par Kátia Lund et Fernando Meirelles, Rio Siège (2014) réalisé par José Eduardo Belmonte, entre autres films. Dans ces productions cinématographiques, les personnages marginalisés sont tous noirs et jeunes, avec une trajectoire de vie marquée par la présence du pouvoir public, dans la majorité des cas, représenté seulement par les forces de police. Ces représentations imagétiques mettent toujours les corps noirs à la place de celui qui doit être contrôlé, exterminé, puisque se crée autour de lui une logique de la peur, de la terreur, de la différence, de l’incompréhension et du sauvage. D’un autre côté, aux personnages héroïques, presque toujours interprétés par des acteurs blancs, sont donnés la représentation du sauveur, de celui qui va contrôler, exterminer. C’est lui qui détient le courage de faire face à la différence, au sauvage à partir de la force, invariablement.

L’entendement de la relation de pouvoir matériel, à partir du corps du jeune noir est la concrétisation du contrôle de ces corps, que ce soit à travers l’appréhension, en limitant la liberté, ou à travers les assassinats, ou en les soumettant au manque d’accès à la culture et à l’éducation — ce qui deviendra un problème pour eux lorsqu’ils accèderont au travail, puisqu’à cause de la faible offre de formations professionnelles, seuls les emplois très physiques et précaires leur seront possibles — est l’une des principales raisons de l'abandon scolaire. 

Il est important de penser que le multi-territoire qui est le corps de ces jeunes garçons noirs agit en tant que substrat spatial dans lequel se construit une série d’objets et de nombreuses autres relations de pouvoir, en d’autres termes, ces corps noirs, dans une dialectique, sont produits et produisent l’espace géographique dans lequel ils sont insérés. Ainsi, ce sont des lieux dans lesquels ont lieu une série d’expériences de vie. Ces lieux, découlants d’une construction historique, sont presque toujours les favélas et les périphéries, en d’autres termes, c’est là où se trouve la plus importante concentration de population de jeunes garçons noirs.

Ce n’est pas un hasard si c’est ce décor là qui a été choisi pour les films cités ci-dessus, dans lesquels, de manière consensuelle, socialement, les services publics sont absents. Ainsi, ces lieux sont transformés en zones de sacrifices. Selon le dictionnaire Oxford Language de 2018, le mot sacrifice signe “offrande rituelle à une divinité qui se caractérise par l’immolation réelle ou symbolique d’une victime ou par le don de la chose offerte”. À partir de cette définition, nous pouvons dire que la négligence des favélas et des périphéries et, par conséquent, des jeunes garçons noirs, est une espèce d’offrande symbolique (constructions de narratives et de discours à propos de la favéla et de ces garçons) et réelle, il y a une espèce de divinité qui se bénéficie de la misère de tout cela. Ici, nous devons réfléchir à la portée de la zone de sacrifice.

Il est impossible que les jeunes garçons noirs vivent dans ces lieux et ne soient pas atteints par les mêmes sacrifices, en d’autres termes, dans une expérience de vie, il est totalement compréhensible que le sujet et le lieu dans lequel ils évoluent, se confondent, étant donné les niveaux d’interaction entre eux. De plus, alors que les zones sont sacrifiées pour les intérêts des autres, les garçons noirs qui y vivent, évidemment, seront également sacrifiés. 

Il est donc nécessaire que nous nous interrogions : qui a peur du jeune garçon noir en vie, éduqué et libre ? Bon, nous pourrions présenter plusieurs réponses; dans le domaine économique, le capital financier ; dans le domaine social, la société elle-même élitisée ; dans le domaine culturel, les institutions et les personnes qui détiennent le pouvoir de créer des discours sur le Brésil. Cependant, il me semble que toutes ces réponses ne présentent pas une raison elle-même fondatrice pour qu’elles soient cohérente avec le scénario.

Face à cette tentative de chercher un élément qui pourrait poser les fondations de toutes les possibilités, je vois le racisme comme une clé conceptuelle, qui pourrait être le fondement de notre investigation. Le racisme a peur du jeune garçon noir vivant, éduqué et libre. Selon Kwame Turc et Charles Hamilton, auteurs du livre Black Power (1970), le racisme va au de-là de l’action d’individus aux motivations personnelles ; le racisme est infiltré dans les institutions et dans la culture, créant des conditions déficitaires à priori pour une bonne partie de la population, dans lesquelles les jeunes garçons noirs sont insérés. En d’autres termes, le racisme se constitue en un système dans lequel une partie de la société a des privilèges à cause de sa race, et ce système est maintenu par une structure (il est important de comprendre la culture comme un grand, si ce n’est le principal, support de cette structure, étant donné les exemples de films cités) et par des institutions aussi bien privées, comme des multinationales, que publiques, comme le pouvoir judiciaire, par exemple.

Le racisme agit pour répondre aux intérêts du capitalisme, en d’autres termes, pour répondre à la logique de ségréguer les personnes, de mettre les jeunes garçons dans la zone de non être, de transformer ces lieux de vie en communauté et, par conséquent, eux-mêmes, en zones de sacrifices, pour que certaines personnes puissent accumuler du capital. 

Si le corps du jeune noir est un territoire, il est nécessaire de dire qu’il est en constante dispute et qu’il est fait, principalement, par les jeunes garçons noirs eux-mêmes, lorsque, grâce à des manifestations culturelles, comme le passinho du funk, le funk 150 bpm, les rolezinhos etc., ils resignifient leurs propres corps face à la logique de dévalorisation de leurs vies dans un mouvement de création de nouvelles zones d’existence dans lesquelles leurs corps trouvent une place. Lorsque ces mouvement ont lieux, souvent les favélas et les périphéries, dans lesquelles ces jeunes vivent, reçoivent également de nouvelles présentations imagétiques, elles sont alors considérées comme des lieux de puissance.

Un exemple de cela est Voz das Comunidades, un collectif de communication communautaire créé par le jeune Renê Silva, qui raconte les favélas de Rio de Janeiro à partir du regard de l’habitant de la favéla. Ce phénomène, Jailson de Souza e Silva, dans A favela reinventa a cidade (2020) le conceptualise comme étant un paradigme de pouvoir : même malgré tout la politique d’absence perpétrée par le pouvoir public, la favéla et la périphérie se réinventent à partir de l’élément le plus fondamental, qui est sa population, dans laquelle un jeune garçon noir est également inclu.

Il n’y a aucun doute sur le fait que des politiques publiques bien élaborées qui visent à répondre aux jeunes noirs dans le domaine de l’éducation, du sport, de la santé, de l’alimentation, de l’emploi et du salaires amélioreraient le potentiel des jeunes garçons noirs des favélas et des périphéries. Cela les humaniseraient et les sortiraient de la zone du non-être. Cela permettraient à ces lieux de vie en communauté d’être moins sacrifiés. Mais, pour cela, il faut en finir avec le racisme. Il est impossible de parler de politique publique qui aident les jeunes garçons noirs sans parler de la fin du racisme qui structure la société et les institutions, ce qui conditionne le développement de l’exercice plein de la démocratie brésilienne, puisqu’il n’est pas possible de parler d’un État Démocratique de Droit, avec de telles disparités qui touchent les jeunes noirs brésiliens.

Il est donc nécessaire que nous élisions des agents politiques provenant des favélas, des périphéries, des personnes noires, indigènes et engagés avec la périphéries. Ainsi — HONEPO — Hommes Noirs en Politique.


 

Osmar Paulino | Brésil |

Coordinateur de HONEPO et directeur créatif et commissaire du FAIM - Festival de Artes de Imbariê.

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