Le dictionnaire de la vie
Écriture collective, langages dans des contextes d’incarcération
Carlos Ríos
| Argentine |
décembre 2022
traduit par Déborah Spatz
Résumé
Le présent travail s’articule comme le rapport d’une expérience d’enseignement dans le contexte de l’Atelier Littéraire de l’École des Adultes N°701 de l’Unité Pénale N°1, Lisandro Olmos, à La Plata (province de Buenos Aires, en Argentine) et comme une instance possible pour penser la relation avec le langage des personnes privées de liberté. L’un des outils proposés durant l’année en cours a été la création d’un dictionnaire, comme un exercice de réflexion et de pratique de l’écriture qui permet de bouleverser l’idée de la langue comme un système fermé, stabilisé par la norme et par l’histoire pour la convertir en une constellation ouverte et associée à sa propre expérience. Ce sont les élèves qui choisissent les termes du dictionnaire et en écrivent les définitions. Un tel exercice permet de réfléchir aux processus complexes de production et de signification et aussi, à un niveau spécifique, aux différentes formes de définition. Mais, principalement, à partir de ces sujets, la gestion du dictionnaire transforme les élèves en producteurs du langage par le biais de la sélection et de l’inclusion de termes et, ainsi, en des participants actifs des réseaux de sens. Le dictionnaire en cours révèle les négociations permanentes avec l’autorité de la lettre, comme elle apparait personnifiée dans les dictionnaires de langue espagnole et se révèle comme une forme d’histoires des mots, qui de leur côté, sont un récit biographique et social, traversé par l’articulation indissociable entre le langage et l’expérience.
Je débute cette intervention in media res avec une réflexion commune à propos de la place de la pratique de l’atelier littéraire dans des contextes de privation de la liberté. Principalement, lorsque je fais référence à l’espace de l’atelier face aux autres enseignants, et devant les élèves aussi, je le fais de façon réversible : “atelier littéraire” d’un côté et “atelier de lecture et d’écriture” de l’autre. Qu’est-ce qui pourrait fonder ces différenciations de manière synonymique ? Tout d’abord, en une nécessité de ne pas restreindre les pratiques de la lecture et de l’écriture de l’atelier en une question de genres ; ensuite, pour intensifier le degrés d’amplitude de la pratique de la lecture ou de l’écriture, en d’autres termes, rompre les frontières de la représentation fictionnelle et la lier à d’autres dispositifs textuels.
Loin d’une association désinvolte, la mention d’une telle problématique est liée, de façon directe, à la proposition d’écrire un dictionnaire au sein de l’atelier. En exécutant ce projet qui traverse les genres —n’ont pas sans les remettre en question—, les élèves du cycle primaire de l’École 701 de l’Unité Pénale N°1 de Lisandro Olmos, en plus de composer des textes habituels qui circulent et s’écrivent durant un atelier —des contes, des poèmes ainsi que des lettres— ont également commencé la production de texte pour le dictionnaire. Il est important de relever qu’il ne s’agit pas d’un dictionnaire ou d’un glossaire marginal —en d’autres termes, du langage que les détenus utilisent lorsqu’ils parlent entre eux—, et cette délimitation se doit à une décision implicite dans la sélection que les élèves ont faite en proposant la définition de mots éloignés ou en apparence distants des modes de représentation du propre lexique qu’ils utilisent au sein de l’unité de détention.
La proposition du dictionnaire est fondée, en plus de cela, sur le besoin de générer des exercices d’écriture ponctuelle, qui peuvent être résolus en une session de l’atelier —nous savons que l’interruption de n’importe quelle activité, dans le contexte pénitentiaire, est constante— et qui permettent de construire, peu à peu, un échantillon efficace de l’écriture collective. Proposer l’élaboration d’un dictionnaire à partir de l’expérience des élèves avec les mots, comme un exercice de réflexion et de pratique de l’écriture, nous permet de révolutionner l’idée de la langue comme un système fermé, établit par la norme et par l’histoire pour le transformer en une constellation ouverte et associée à son expérience propre.
Dans des contextes de privation de liberté, l’éducation reproduit également le contenu pragmatique, mais parallèlement, il est nécessaire de se concentrer sur la reconstruction de l’identité personnelle des sujets, en d’autres termes, élargir l’horizon personnel sans qu’un modèle particulier ne s’impose. Il s’agit, dans tous les cas, d’éradiquer —avec toutes les difficultés que cela implique— les hégémonies culturelles dans la production et la reproduction de sens, penser la culture non pas comme un système de hiérarchisations, mais plutôt comme un élément de cohésion et de relation sociale. La bataille des mots dans les discours sociaux reproduit, aujourd’hui, un choc inévitable. Écrire un dictionnaire suppose de, dans l’espace de l’atelier, mettre en évidence et remettre en questions ces tensions.
Écrire un dictionnaire ?
Cet “objet robuste et simpliste” qui, selon Roland Barthes, engage comme aucun autre la simplicité et la complexité autour de la langue qu’il décrit, peut être définit de différentes manières. Le sens le plus commun, peut-être le plus diffusé dans le domaine de la linguistique, et celui que nous propose le dictionnaire de la Real Academia Española (RAE) :
Un livre dans lequel sont réunies et expliquées de façon ordonnée les voix d’une ou plusieurs langues, d’une science ou d’une matière déterminée.
Nous pouvons aussi trouver une définition plus littéraire, mais non moins profonde et précise. Dans ce ça, nous avons choisi celle proposée par Ambrose Bierce dans El diccionario del Diablo :
Un outil littéraire mal intentionné pour enivrer la croissance d’un langage et le rendre rigide et peu flexible.
La définition de David, membre de l’atelier, nous surprend par sa recherche dans l’écriture d’un certain registre ou ton “objectif” propre aux dictionnaires :
C’est un livre dans lequel on trouve les mots dont le sens ne s’entendent pas, ordonnés de manière alphabétique, chaque sens de ces mots et leur signification.
D’un autre côté, dans les termes proposés par Luís et Rodrigo, il y a une juxtaposition d’éléments subjectifs à ceux supposément objectifs :
C’est réfléchir à ce que nous voyons dans les autres ou en nous-mêmes pour donner à entendre ce que je suis ou ce que je vais faire, c’est un guide pour écrire, comprendre.
C’est le primordial, c’est l’un des pas les plus importants de la vie. C’est l’enseignement, le langage et la vision de toute la création humaine, le nom, l’utilité, la correction, la perfection, l’écriture, l’explication de la science et de la terre.
Enfin, je transcris la définition de dictionnaire selon Manuel, un autre élève. Cette définition se dilue et se complète en un bref récit dans lequel le sens du mot gagne un poids particulier, attribué par l’expérience :
Un jour, en essayant de faire apprendre sa leçon, que je ne comprenais pas vraiment, à ma nièce, nous avons cherché un mot que nous n’arrivions pas à trouver. Ma nièce m’a dit : “cherchons dans le dictionnaire” et je lui ai demandé ce que c’était pour elle, un dictionnaire, et elle m’a dit : “c’est une partie de la lecture qui aide à savoir rassembler les mots, à savoir dissoudre (sic) les questions. Elle a fini par m’apprendre ce qu’est un dictionnaire.
L’idée d’écrire un dictionnaire en parallèle à d’autres textes a fait naître une série de questions. Qu’est-ce qu’un dictionnaire ? Quelles hiérarchies qui familiarisent et nous habituent mais en même temps nous rendent confus, ce livre révèle-t’il ? Ne perdons pas de vue le fait que les mots, en plus de nous rappeler les choses et de nous proposer en même temps une représentation du monde, nous rappellent également les autres mots.
Qui sont les responsables du choix des mots dans ces livres ? Utilisons-le comme un outil. Comment ? En l’ouvrant tout simplement ? Quels en sont les protocoles ? Il n’est pas nécessaire de dire qu’un dictionnaire marque une utopie inutile, celle d’enregistrer l’invariabilité de la langue et en même temps celle qui exhibe sont développement et sa transformation, sa constante reformulation produit de son utilisation indiscriminée et métissé par les locuteurs d’une communauté déterminée. C’est là que la force des locuteurs et la richesse d’une langue résident, en grande partie, dans sa transgression. Les institutions, d’un autre côté, et de façon tendue par rapport aux locuteurs, tentent de normaliser cette langue, de canaliser chaque groupe de mots en une chaîne de sens plus ou moins autonome, standardisée et régie par l’utilisation, l’appropriation et les pouvoir qui se construisent à travers elle.
Tout d’abord, la proposition de choisir un mot et de penser que nous pourrions expliquer son sens à une personne qui ne le connait pas à rapprocher les élèves du savoir, de ce que nous savons à propos des choses grâce aux mots et à notre expérience. En le décrivant, les élèves ont eu besoin d’établir des ponts entre la chose décrite et le mot qui la nomme. Comment expliquer à quelqu’un qui n’a jamais vu un miroir, ce qu’est un miroir ? Cette question aussi orientée qu’incertaine concentrait sur chacun des élèves la possibilité de transmettre le savoir et de le considérer. Ce qui était initialement apparu comme un doute, comme une possibilité —que dois-je faire ? Comme le faire ?—, à céder la place à une consolidation progressive, soutenue dans la pratique de l’écriture.
À chaque mot, l’aspect objectif de la définition propre du dictionnaire et la subjectivité des locuteurs entraient en conflit. Le travail en groupe soutient et renforce la production, de sorte que, les élèves étaient organisés en commission de travail involontaire, peu importe qui définit tel ou tel mot, mais l’apparition de réseaux de sens inattendu, après avoir compris la possibilité de composer un livre, qui en général n’est publié que par des institutions académiques.
L’espace de pratique
Selon Philippe Hamon, le système descriptif est organisé à partir de trois savoirs : l’encyclopédique, celui de l’expérience ainsi que celui du langage. Dans ce triangle la vie des mots est résolu ainsi que ce qu’ils représentent, l’information qu’ils nous donnent sur le monde. Dans l’atelier, nous travaillons les trois aspects, en renforçant la connaissance que les élèves avait déjà. Les mots permettent, d’abord, le retour à la forme nébuleuse, mais en avançant dans les sessions, ils deviennent de plus en plus précis. C’est comme ça qu’apparaît l’école, un dictionnaire dans une maison ou une maison dans une station particulière.
Les élèves sont capables de comprendre cette relation et de partager certains souvenirs par rapport à l’utilisation et de la présence des dictionnaires que je transcris ci-dessous :
Hernán : "J’ai vu le dictionnaire dans une DP (un commissariat), une vermine (un policier) était en train d’enseigner à un gamin (un jeune) qui était détenu avec moi, il lui disait qu’il devait lire pour ne pas être aussi bête."
Leonardo : "En 2005, lorsque je travaillais pour une agence de voyage, pour pouvoir utiliser plus de mots et pouvoir convaincre les acheteurs avec des mots qu’ils ne connaissaient pas, et avec ces mots, cacher la vérité sur les voyages et tout faire pour qu’ils les achètent, heureux et satisfaits, j’ai eu besoin d’utiliser le dictionnaire."
Ricardo : "Chez moi, il y a un dictionnaire pour que mes petits-enfants apprennent le sens de chaque mot."
Durant les sessions de l’atelier, la sélection de mots à des origines différentes : les élèves choisissent les mots, parfois je sélectionne des mots de textes littéraires ou ils font la sélection, dans des journaux et des magazines, des mots qui attirent leur attention pour des raisons particulières, ou parce qu’ils ne connaissent pas le sens. J’écris les mots au tableau et je demande si quelqu’un connaît la signification ou pourrait donner une signification au mot. C’est intéressant d’observer qu’une relation s’établit toujours, plus ou moins lointaine, avec le sens qui nous permet de suivre les significations.
Entre les mots choisis pour intégrer le dictionnaire, nous pouvons citer les suivants : delta-plane, amour, air, paix, délinquance, cheval, paysage, prison. Tout d’un coup, un espace ludique s’ouvre : nous nous sentons comme des détectives ou des dégustateurs de mots, nous explorons leur matérialité, nous établissons des familles par racines ou par désinences, nous nous laissons porter par des sons similaires, nous réalisons des associations libres, sans exemption de fantaisies. Dans cette recherche collective, le mot est un aimant qui cherche, dans une histoire particulière, sa récupération dans le contexte de l’expérience. Un mot attire d’innombrables mots et ainsi, nous élargissons toujours plus le rayon de signification.
Ces mots et leurs possibles définitions sont écrit et ensuite, ils sont commentés, en principe, sans qu’on ouvre le dictionnaire. Généralement, la comparaison avec le dictionnaire est faite à la fin de l’atelier ou alors, elle n’est pas faite ; une telle comparaison nous permet de continuer à entrevoir les significations qui interviennent et perturbent dans l’utilisation et dans la situation de communication. Il s’agit, dans tous les cas, d’élargir le vocabulaire à partir des associations qui sont liées à différents niveaux du mot.
Le dictionnaire en développement révèlent les négociations permanentes des locuteurs avec l’autorité de la lettre, comme elle est incorporée dans les dictionnaire de langue espagnole, et elle se révèle comme une forme d’histoire des mots qui sont, de leur côté, un rapport bibliographie et social, traversé par l’articulation indissociable entre le langage et l’expérience.
Le mot en scène
À suivre : je veux exposer trois moments de travail d’écriture du dictionnaire qui sont apparus durant l’atelier. Des situations qui nous ont aidé à réfléchir à propos du projet de gérer un dictionnaire “en ouvrant les portes”.
a) Ratificar et retificar [Ratifier et rectifier]. Je demande aux élèves, comme les autres fois, de choisir n’importe quel mot et de l’expliquer, qu’ils essaient de définir les caractéristiques de ce qui donne son nom au mot. Léo choisit le mot “retificar” et le définit comme “faire quelque chose de nouveau”. L’exemple pertinent est la rectification d’un moteur. Je leur demande s’il existe un mot ressemblant et ils me disent qu’ils ne savent pas. J’écris sur le tableau “retificar” et en-dessous “ratificar”. Certains me demandent s’il ne s’agit pas du même mot. Ricardo dit que non, il s’est souvenu du mot “ratificar” parce que lors d’un jugement durant lequel il était présent, un témoin presque analphabète a dit, à plusieurs reprises, qu’il “ratifiait” [attestait] le fait que la personne accusé était celle qu’il avait vu vendre de la drogue. Le juge, d’après Ricardo, a dit au témoin que ce mot “ratificar” ne venait pas d’elle, que ce n’était un mot qu’il pouvait utiliser, certainement quelqu’un le lui avait dit et que l’homme le répétait. Lorsque nous avons établit la différence de significations entre modifier une opinion ou la confirmer, ils étaient surpris. Ça a été l’une des sessions de l’atelier les plus intenses, durant laquelle j’ai remarqué que les élèves avaient vu clairement la valeur des mots dans leur mise en scène, l’importance de la compréhension et comment ils disputent les espaces de pouvoir dans le territoire de la langue. Comme l’affirme Irene Klein, “la langage n’est jamais ingénu”. Le lendemain, j’ai apporté des unes de journaux sur lesquelles les deux termes étaient utilisés et nous les avons analyser.
b) Bicho et bicho. Léo définit le mot bicho en faisant référence à quelqu’un de “paresseux, lent, bête”. Entre nous nous avons parlé des autres significations de ce mot : “une espèce d’insecte”, a écrit Nahuel, aussi n’importe quel animal ou une personne “vivante” pour faire les choses. Cette dernière signification se connecte avec la signification du mot “bicho” au sein des unités de prison : dehors, quelqu’un de “bicho” est une personne rusée ; dedans, le “bicho”, voire pire, le “bichinho” — c’est quelqu’un de lent et paresseux.
c) Indépendance. À l’occasion de la célébration de la Journée de l’Indépendance, je leur ai demandé de définir le mot “indépendance”, après avoir lu l’Acte de 1816 durant la session de l’atelier. Avec le mot indépendance, d’autres mots qui lui sont liés sont apparus : liberté, justice, savoir. Nous avons ajouté une méthode de composition mathématique qui consiste en l’addition des termes et l’attribution d’un résultat (ex : “justice + savoir = indépendance”) à l’explication linéaire ou figurative du concept que les élèves avaient écrit (ex : “l’indépendance est comme le vent, elle existe mais nous ne la voyons pas”). Cette façon synthétique de délimiter les sens a rendu les élèves enthousiastes, à tel point qu’ils ont élaboré plus de trente instructions. Celles-ci ont été lu durant la célébration scolaire du 9 juillet. Nous avons eu, de la part des enseignants et des autres élèves, une réponse excellente. Nous avons fait des copies des textes et les avons distribués à tous.
L’organisation du dictionnaire à partir de ces sujets et de ces découvertes transforme les élèves en des producteurs du langage à travers l’acte de la sélection et de l’inclusion des termes, de sorte qu’ils deviennent des participants actifs des réseaux de sens. Par le biais de ces pratiques, l’élève comprend que l’intérieur et l’extérieur est aussi dissout dans les mots. Que la sélection des mots lorsque nous communiquons et la connaissance que nous avons d’eux contribuent à l’organisation d’un rapport à propos du monde et favorise son interprétation. Maintenant, nous avons conscience qu’en plus des limitations physiques, il y a un autre aspect qui définit les mots et qui opère sur la perception de la réalité, que ce soit dans les relations que nous établissons avec les autres ou dans le système de représentation du monde. Connaître davantage les mots et perfectionner la communication avec ce qui nous entoure permet à l’élève de profiter toujours plus de ses possibilités d’intégration à l’école de façon différente. En travaillant avec les mots, nous sentons à quel point l’inégalité culturelle recule. Le travail est extrêmement lent, mais ensemble, nous rendons cela possible.
Une recherche incessante
En signant la préface du Dictionnaire Hachette en 1980, Roland Barthes nous a averti du fait que “le langage n’est pas seulement un privilège de l’Homme, il est également sa prison. C’est ce que le dictionnaire nous rappelle”. Dans le sens inverse, à contre-courant de cette affirmation, nous pourrions dire que le dictionnaire écrit par les élèves durant l’atelier littéraire de l’École des Adultes N°701 de Olmos rompt avec le schéma d’appropriation et d’exclusion de la langue. En introduisant un système de références et de significations propres, le registre neutre du dictionnaire est interpelé par le dictionnaire de l’expérience et vice-versa.
Reprenons Barthes : il ne s’agit plus de prison, mais principalement de prendre comme référence les transformations de la vie, la consécration de l’existence des choses à travers le mot, dans la projection d’une “machine du rêve” appeler dictionnaire qui en “s’intégrant à lui-même […] mot après mot, finit par se confondre avec la puissance de l’imagination”. En ce sens, la construction du dictionnaire se détache de sa forme originale pour trouver une forme qui ne se limite pas à l’accumulation de mots et sa définition ordonnée alphabétiquement. Chaque mot qui entre trouve sa place et donne un autre aspect de sens à l’ensemble, en le dynamisant et le menant vers l’autre partie : onario, indiccionario, archivo blando, artefact sensible de perception et de lecture qui enregistre le rêve avec d’autres mondes possibles. Être parlé par les mots et, à son tour, entrer dans le langage et lui dire “je suis là”.
Durant l’atelier, le dictionnaire prend forme, de façon presque imperceptible. Son monde s’élargit chaque fois que nous découvrons chaque mot-clé, en s’ajoutant aux autres mots libérateurs, les mots comme les clés. Au moment de mettre en place une première version et de suggérer son titre, nous définirions son objectif, sélectionner cent mots en ordre alphabétique, et il est possible que son nom vienne de là : “Cent mots pour…”, nous proposerions des mots introducteurs comme suggestion ou instruction, dans un registre descriptif ou plus proche de l’imaginaire littéraire, quelque chose comme un guide de base pour les explorateurs qui s’aventurent dans “la jungle épaisse du réel”, pour reprendre les mots de Juan José Saer.
La conclusion du projet serait la publication du dictionnaire sous forme de cahier, avec des interventions d’autres dictionnaire et l’ajout d’images, sous forme de collage. Il est également nécessaire de rendre l’expérience plus sociale grâce à des sessions de lecture et faire un registre de ce trajet, approfondir durant les différentes interventions et finalement, articuler les regards sur cet objet inédit qui, loin de boucler le programme, l’élargit et le libère vers de multiples autres mots. Je voudrais clôturer cet article avec l’un des poèmes les plus connus d’Alejandra Pizarnik, “A palavra que salve” [le mot qui sauve”] qui synthétique très bien l’esprit du dictionnaire, sa recherche incessante :
"Esperando que un mar sea desenterrado por el lenguaje, alguien canta en el lugar en el que se forma el silencio. Luego comprobará que no porque se muestre furioso existe el mar, ni tampoco el mundo. Por eso cada palabra dice lo que dice y además más y otra cosa."
[Attendant qu’une mer soit déterrée par le langage, quelqu’un chante dans le lieu où se forme le silence. Bientôt il sera prouvé que ce n’est pas par rage qu’existe la mer, encore moins le monde. C’est pour cela que chaque mot dit ce qu’il dit, en plus d’autre choses encore.]
Ci-dessous sont transcrits, comme des échantillons du “dictionnaire de la vie”, quelques termes écrits par les élèves durant l’atelier. Beaucoup de ces mots proviennent des lectures effectuées durant l’Atelier Littéraire. Même si chaque élève a choisi un mot, à partir de l’échange oral, ils ont également écrit et complété les définitions de leurs compagnons.
CHEVAL. Animal bon, il est utilisé pour le travail et pour la promenade, obéissant et beau. Il a beaucoup de poils, il y en a des grands et des petits, il dort dans les champs, il a quatre pattes, une crinière et est beau.
CROCODILE. Animal féroce parce qu’on le retrouve dans la région Europe.
DÉLINQUANCE. Vol, par exemple avec une arme à feu, entrer dans un établissement et jeter les personnes par terre et voler une moto ou une voiture. Je l’ai fait par nécessité, les jeunes aujourd’hui font ça par méchanceté.
DELTA-PLANE. C’est une discipline dans l’air, une façon de voler sans moteur.
JASMIN. Plante de couleur blanche qui pousse dans des lieux chauds, avec un arôme particulièrement agréable, ses pétales sont fragiles, très agréable à la vue. Sert à aromatiser l’environnement, est utilisé comme parfum, pour faire du thé ou pour la décoration.
LIBERTÉ. Droit d’expression, droit d’être libre et de faire ce que l’on eut, tant que l’on ne dérange pas les autres personnes. Elle se trouve à l’intérieur de celui qui veut la trouver.
LIVRE. Reliure qui raconte des contes, de la poésie, etc., sert autant à apprendre qu’à diffuser ses idées.
PARADIS. Arbre sombre avec beaucoup de branches, de feuilles et de semences rondes et vertes.
PAYSAGES. Un certain lieu de la planète que quelqu’un regarde et trouve attirant et merveilleux.
PRISON. Quelque chose de très mauvais qui peut arriver dans la vie, rester loin de sa famille, des barreaux partout, des policiers, des personnes qu’on ne connaît pas. Tu détestes tout, tu dois attendre un jour pour voir ta famille. Beaucoup de méchanceté, des disputes, de la trahison.
VIVIER. Mon esprit est comme un vivier parce que je grandis à travers mes pensées.
ALARCOS LLORACH, Emilio. Gramática de la lengua española. España: Espasa Calpe, 2000.
BARTHES, Roland. Variaciones sobre la escritura. Barcelona: Paidós, 2002.
BIERCE, Ambrose. El diccionario del diablo. Buenos Aires: Longseller, 2004.
CONTURSI, María Eugenia y Ferro, Fabiola. La narración. Usos y teorías. Buenos Aires: Norma, 2000.
FLORIO, Alberto et al. Sujetos educativos en contextos educacionales complejos. Buenos Aires: Ministerio de Educación de la Nación, 2010.
GARCÍA NEGRONI, María Marta (coordinadora). El arte de escribir bien en español. Buenos Aires: Santiago Arcos, 2004.
HAMON, Philippe. Introducción al análisis de lo descriptivo. Buenos Aires: Edicial, 1991.
HERRERA, Paloma, Frejtman, Valeria et al. Arte, cultura y derechos humanos. Buenos Aires: Ministerio de Educación de la Nación, 2010.
KLEIN, Irene. La narración. Buenos Aires: Eudeba, 2009.
PIZARNIK, Alejandra. Obras completas. Buenos Aires: Corregidor, 1994.
Real Academia Española. Diccionario esencial de la lengua española. Madrid: Real Academia Española, 2006.
Carlos Ríos | ARGENTINE |
Écrivain, éditeur et professeur d’histoire de l’art. Il a publié plus de vingt livres, dont Manigua, Cuaderno de campo, El artista sanitario, Un shock póstumo, Hikikomori argentino, Perder la cabeza, Un día en el extranjero y Rebelión en la opera; une partie de cette œuvre intègre des catalogues au Brésil, en Espagne, au Mexique, en France, au Chili et en Uruguay. Nous sommes tous bien, avec des textes et des illustrations produites dans les ateliers littéraires des prisons de la province de Buenos Aires.
Il est membre du comité d’édition du site culturel BazarAmericano.com, fabrique des livres et des fanzines au Bureau itinérant et coordonne depuis plus d’une décennie des ateliers d’écriture, de lecture et de production éditoriale en milieu carcéral. En 2005, il a été déclaré visiteur éminent par la mairie de Huejotzingo, au Mexique. Il a reçu la Bourse Création 2019 du Fonds National des Arts pour son projet d’écriture ethnographique sur les ateliers littéraires et les pratiques de lecture dans les prisons.