Narratives

periferias 7 | désincarcérer l’emprisonnement

L’écriture comme outil pour construire la liberté

Ateliers d’écriture féministe pour femmes privées de liberté à Morelos, comme outil de dénonciation, de résistance et de visibilité collective.

| Mexique |

mars 2023

traduit par Marco Antonio Figueiredo De Miranda et Mayara Alexandre Costa

La fermeture des prisons causée par la pandémie de Covid-19 a été généralisée pour les familles de personnes détenues et pour les groupes d’aide, au Mexique. De nombreux ateliers ont été suspendus et les personnes privées de liberté ont été obligées de vivre un confinement double, encore plus isolées de leurs familles. En tant que collectif, notre objectif est de rendre visible à travers l’écriture féministe identitaire et l’art, les diverses oppressions de genre, de classe et d’ethnie vécues par les femmes en prison. Notre travail au sein du Centre des Femmes d’Atlacholoaya, dans l’état de Morelos, au Mexique, avait été constant depuis 2007, avec des ateliers dans lesquels les femmes apprenaient à écrire de la poésie et des narratives féministe, mais avec l’arrivée de la pandémie, nous avons été obligées d’utiliser de nouvelles formes de travail en collectivité avec les femmes qui étaient déjà sorties de prison.

Avec le Collectif Editorial Hermanas en la Sombras [Sœurs de l’ombre], nous avons travaillé sur l’outil méthodologique de l’écriture identitaire en tant qu’instrument de libération et de dénonciation politique dans des espaces de réclusion (Voir https://hermanasenlasombra.org/) ;  cet outil n’est pas exclusif à ces contextes, mais il l’est aussi pour les espaces dans lesquels les femmes sont victimes de différents types de violence. L’expérience de l’Atelier avec les Hechiceras de jade [les Sorcières de Jade], (comme elles ont choisi de s’appeler) représente l’accomplissement d’être la première génération d’écrivaines instruites et formées par des femmes durant l’atelier appartenant au Collectif, qui vivaient en prison. 

C’est grâce à la résistance durant ces temps de pandémie et aux réseaux qui se sont créés et renforcés avec des alliances comme celles qui nous avons eues avec Joey Whitfield et Lucy Bell, des Universités anglaises de Cardiff et Surrey, respectivement, que les sœurs du Collectif qui ont été remises en liberté ont réussi à se qualifier en tant que formatrices de cette méthodologie. Cette résistance a représenté non seulement l’appropriation de ces savoirs, mais également la résilience dans un contexte dans lequel l’asymétrie dans l’accès à la communication digitale s’est renforcée à cause de la pandémie. Ainsi, elles ont réussi à se rapprocher des nouvelles technologies, à renforcer leur autonomie, elles ont appris les bases de l’informatique, à utiliser des logiciels de traitement de texte dans lesquels elles ont capturé leurs propres écrits, et à gérer les plateformes de réunions virtuelles, ce qui leur a permis de partager leurs expériences et leurs écrits à l’intérieur et à l’extérieur de leur pays. 

Après un appel aux dons d’ordinateurs ainsi que grâce à la solidarité des réseaux de soutien, la première étape pour devenir formatrices d’une méthodologie qui leur était déjà familière a été franchie, puisqu’elles la connaissaient depuis la prison, et désormais, elle faisait partie de leurs propres connaissances. Après avoir terminé leur formation en tant que formatrice, le premier espace de travail dans lequel elles ont partagé l’atelier était le centre de désintoxication, dirigé par Manón Vázquez, l’une des sœurs du Collectif. Ainsi, au mois d’avril le voyage d’Águila del mar, Suzuki Lee et Valentina Castro ont commencé, en tant que chefs d’ateliers, dirigeant un groupe de femmes, qui à leur tour ont commencé leur propre chemin dans l’écriture. Le 13 avril, donc, sont nées les « Hechiceras de jade », 25 femmes en réhabilitation qui, issues de divers parcours de guérison, ont avancé ensemble vers leurs transformations en écrivaines. 

Hechiceras de jade est une danse harmonieuse de femmes, qui partagent différentes formes de confinement et qui grâce à l’écriture, sont parvenues à conjurer la guérison, car la médecine se fait également avec des lettres. L’atelier est un espace d’apprentissage collectif et de dialogue de savoirs, il ne s’agissait pas de cours, ni de devoir mémoriser des concepts ou des théories, mais plutôt de la double participation de l’apprentissage et de l’accompagnement affectif et sororal. La méthodologie d’écriture identitaire que nous développons permet, depuis la construction du collectif entre femmes, les réflexions féministes à propos de la sonorité, nous et les autres ; à propos du patriarcat et de l’amour romantique ; le corps ; l’autonomie et l’écriture en tant qu’outil transformateur.

Ce sont les thèmes qui ont été les axes de notre atelier, qui ont été développés à partir d’un manuel, qui rassemble la magie vieillie par 13 ans de cheminement du Collectif Hermanas en la Sombra, qui a germé dans la terre, sous la plus d’Elena de Hoyos, Aída Hernández et Marina Ruiz ainsi que sous le regard attentif de de María Vinós. « Renaître dans l’écriture : Manuel pour l’intervention féministe dans des espaces dans lesquels la violence est vécue », est le dernier livret du Collectif, bientôt présenté, a pour objectif de reproduire cette méthodologie dans d’autres espaces.

L’atelier avait une organisation rigoureuse ; quelques jours avant chaque session, les autres participantes se réunissaient de manière numérique pour déterminer et adapter le contenu et les exercices, ainsi que la sélection des formatrices désignées pour chaque session, grâce à Elena de Hoyos et Marcia Trejo qui ont guidé avec enthousiasmes et fierté ce nouveau chemin pour elles toutes.  

Ainsi, chaque mardi pendant 120 minutes, les participantes à l’atelier qui avaient été accompagnées par les membres du collectif : Marcia Trejo, Paloma Rodríguez, Daniela Mondragón et Lucia Espinoza, ont développé les sept thèmes centraux de l’atelier. Au début de chaque session, des exercices rituels étaient réalisés, de la gymnastique cérébrale ou des visualisations guidées, des outils qui étaient utilisées pour préparer le terrain sur lequel fleuriraient les mots des Hechiceras ; postérieurement à cela, des textes féministes étaient lus sur lesquels nous débattions et nous partagions des théories qui renforcent notre échange analytique et des exercices provocants l’écriture étaient réalisés, qui étaient ensuite partagés à haute voix. Pour conclure chaque session, un exercice bref était réalisé pour honorer le travail et l’important partage des compañeras

Ce cycle d’apprentissage s’est terminé au pied d’une montagne Tepozteca, le premier samedi du septième mois. Les Hermanas en la sombra et les Hechiceras de jade, dans une union sororale pour clôturer harmonieusement le cycle durant lequel les paroles de guérison se sont manifestées et se sont renforcées pendant 13 semaines. Cette journée s’est imprégnée dans nos mémoires puisque la magie pure s’est opérée : nous avons réussi à vaincre des contextes pandémiques et à partager un atelier avec d’autres femmes qui se reconnaissaient désormais en tant qu’écrivaines, en tant que femmes autonomes, dans le cadre d’une renaissance de l’écriture, comme un chemin créatif vers l’avança avec l’expérience amoureuse de construire de manière collective. L’atelier a été le terrain sur lequel nous avons cultivé les mots comme des graines, offrant à la terre : l’eau des larmes pour les douleurs enterrées que nous partageons, l’air qui nous rappelle la capacité libératrice de lâcher prise et le feu qui renouvelle, qui nous maintenait au chaud et protégé comme un troupeau. Et ainsi, au bout de 13 semaines, nous avons fleuri : des formatrices d’ateliers, des écrivaines, de nouvelles sœurs et des femmes libres.

Nous sommes certaines que l’artivisme féministe est un chemin vers la transformation sociale, que grâce à l’art, l’activisme et la sororité un changement peut avoir lieu : rendre visible et éradiquer les violences et nous guérir. Les différents confinements partagés ont réussi à toucher la lumière de la libération de la sonorité, une lumière qui se reflète dans les lettres que les Hechiceras de jade partagent, dans une sélection des exercices qui ont été réalisés durant l’atelier.
 

Coletiva editorial Hermanas en la Sombra 

En écrivant…
Adriana Fernández

En écrivant, je me suis sentie triste, 
parce que j’avais ouvert des plaies non cicatrisées.
En écrivant, je peux parler de ma vie, de mes rêves, 
d’ouvrir un restaurant de cuisine mexicaine, 
pour aller de l’avant comme une femme pleine de pouvoir qui lutte tous les jours
et qui aide les autres femmes sur le chemin de la vie.
En écrivant, je me suis sentie triste et en colère.
En écrivant, je peux estimer mon corps par les mots,
les choses qui m’appartiennent, apprendre à me sentir et à m’aimer comme je suis.

 

Il est urgent que je me dise 
Angélica Limón

Je veux m’enlacer, 
de la vie et de cet amour,
peindre ma vie en couleur, éliminer toute la douleur, 
et la solitude, 
je veux chanter à Dieu, 
retourner au ciel, 
être qui je suis, 
travailler, faire de la musique, 
dire au monde que Dieu existe, 
écrire de la poésie, apprendre le piano, 
crier au monde que je m’aime. 

Comment ma vie a changé 
Edna Salinas

J’étais sur le point de devenir folle.
Ce confinement avait pulvérisé mes corps : spirituel, éthylique, christique et divin
Je me sentais comme étant dans une tombe…
Être en confinement est inhumain, j’ai survécu en méditant. 
En faisait ce qu’il faisait, il décrétait
Qu’il n’était pas en confinement avec ces personnes
Qui, à cause de leur histoire, ne savaient pas comment traiter leurs égaux, 
Parce qu’ils avaient aussi été maltraités. 
Il y avait de la confusion, de la peur, beaucoup d’incertitude… 
Quand les sœurs du collectif sont arrivées, elles ont donné du souffle à ma vie
Je sentais qu’à tout moment, j’allais m’effondrer
Quand je les ai vues et qu’elles ont joué du tambour, elles m’ont ressuscitée
Elles me rappelaient qui j’étais, ce que j’aimais, mon essence 
Avec l’écriture, elles m’ont aidé à trouver un chemin christique du pardon 
Mon confinement n’était pas physique, mais spirituel, éthique, mental et émotionnel 
Elles m’ont aidé à me souvenir de mon essence, de ma divinité, de mon amour-propre.

 

Port bleu
Fernanda Zoto 

Nous aimons sans que cela ne soit correspondu et nous n’aimons pas les personnes qui nous ont aimées
Nous sommes fortes ensemble, des sœurs de douleur
Parce que nous sommes des femmes sorcières, des mères aimantes et jugées 
Le sourire change nos vies, nageant à contre-courant. 
Nous sommes dans un port bleu tranquille, sans drogue et sans alcool. 
Nous sommes la sécurité de nos familles, 
nous aimons les personnes mal aimées.
Nous nous sentons en sécurité sur ce navire, 
même si parfois, il n’est pas bleu, parfois il est noir rouge ou multicolore. 
Aujourd’hui, nous sommes une perle qui a d’abord été une pierre brute, 
qui s’est polie avec amour ! 

 

Nous : Force et volonté
Michelle Salto 

Nous sommes la plus grande peur de nos familles, 
mais nous sommes également une magie irremplaçable.
Nous ne sommes qu’une seule, naviguant sur le navire de la douleur, 
tentant d’atteindre le rivage de la tranquillité.
Nous sommes notre propre harmonie, 
luttant pour ne pas tomber dans l’agonie, 
guérissant mes blessures avec amour, force et joie. 

 

Si j’étais un homme
Moira Díaz 

Si j’étais un homme, j’aimerais tes épines, 
petit cactus à pois d’aiguilles sans ordonnance.
Si j’étais un homme, avec une guitare, je te chanterais une chanson d’amour.
Si j’étais un gomme, je marcherais dans tes belles courbes en forme de violoncelle 
et je te rendrais éternelle dans la symphonie de ma mémoire.
Si j’étais un gomme, je trouverais un moyen de te tenir éloignée du mal que je suis, 
parce que je suis un homme.

 

Flocons de neige 
Ruth Valle 

Nous n’avons qu’une vie, il n’y a qu’une vie. Les heures passent et ne s’arrêtent pas, le passé ne pardonne pas. Je voudrais être un flocon de neige pour pouvoir voyager à travers la dimension, à contretemps jusqu’à un rayon de lumière et de cette façon, voir comment la vie passe, de facette en facette. Au moment de descendre, chaque couche de ton être s’estompe, tu te consumes, sans le sentir, à chaque distance parcourue, au fur et à mesure, tu te rends compte qu’il y a plus de flocon de neige autour de toi, certains plus grands, certains plus petits, mais à la fin, ce sont tous les mêmes.

Tu continues dans l’atmosphère des couleurs, chaque couleur est l’un de tes sens, tels que l’humour, le caractère, le bonheur, la colère, l’amour, la tristesse et d’autres sens. Et quand tu vois la fin de la lumière, lorsque tu dépasses la vraie réalité, le lieu où tu seras toute ta vie : la peur arrive, l’incertitude de ne pas savoir où tomber ; le plus douloureux est de penser que ça peut faire très mal ou peut-être te casser en deux, c’est ça la vraie peur qui plane. 

Le soleil apparaît et le brouillard s’en va lorsque tu vois tout clairement, tu te rends compte de la vraie réalité, celle que tu connaissais depuis ta naissance, tu savais qu’un jour tu fondrais, en espérant n’être que de l’eau. Un autre moment de la saison arrive, le soleil apparaît, je m’évapore, je me consume lentement jusqu’à atteindre le ciel, me transformant en un beau nuage rempli d’eau, mon cycle recommence. Le début d’une nouvelle vie à chaque souffle vient de commencer, sanglotant ma splendeur dans le bourgeon d’une fleur. 

 

Ma solitude 
Yessina Bahena

Je toucherai mon âme et j’écrirai avec les fluides de la plume dans mon être.
Je suis la muse de ma poésie et je me fais mienne entre les lettres.
Dans des carnets, je continuerai à me déshabiller avec une plume rouge, dans une pièce peu éclairée.
La nuit, retrouver ma solitude allongée sur mon lit est une plénitude.

Je suis à moi ! 

 


 

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