Éditorial

periferias 9 | Justice et droits dans la migration Sud-Sud

illustration: Didi Assis

La portée et les défis d’un projet sans précédent sur la migration Sud-Sud

avril 2024

@_mulambo

Periferias 9, Justice et droits dans la migration Sud-Sud, est lancée durant le Symposium International de la plateforme MIDEQ, dans la ville de Rio de Janeiro. La migration entre les pays de l’ainsi nommé Sud Global — dénomination qui réunit les pays en positions non-hégémoniques, en général, dans le système économique et politique mondial — est l’un des phénomènes les plus présents et, paradoxalement, les plus individualisés du  monde contemporain. En effet, les narratives à propos de migrations sont toujours hégémonisées par les représentations, les intérêts et les logiques du Nord Global.

Dans ce scénario, réaliser un événement de cette magnifique à Rio de Janeiro porte deux aspects singuliers ainsi qu’une forte charge symbolique et matérielle : le premier est le fait que le Symposium du MIDEQ soit animé par l’Uniperiferias — un Think tank provenant de la favela et fondé par des intellectuels et des activistes périphériques. Le second grand aspect qui marque l’événement est le fait qu’il contribue de manière effective à renforcer un réseau novateur et puissant de chercheurs et d’activistes de différents pays périphériques. Ce réseau est dédié à la construction de nouvelles références épistémologiques, éthiques et politiques dans le traitement de la question migratoire, qui dépassent les logiques coloniales et eurocentriques encore hégémoniques. Ceci parce que nous croyons que c’est l’unique manière d’atteindre l’objectif central qui soutient notre cheminement : améliorer de manière effective les conditions de vie des communautés migrantes et élargir les possibilités de construction d’une humanité pleine, qui dépasse les diverses formes de violences toujours présentes, pour que les barrières nationales soient dissoutes ; pour que nous puissions-nous célébrer de nouvelles façons de vivre.

Les conclusions, les apprentissages et les nouvelles interrogations de l’équipe du MIDEQ au Brésil sont plurielles, avec des élaborations qui demandent différents langages pour qu’ils soient partagés à partir d’une urgence de communiquer plus. La publication d’un livre s’ajoute à cette édition : Acesso à justiça: reafirmando direitos para as populações haitianas no Brasil [Accès à la justice : réaffirmer les droits pour les populations haïtiennes au Brésil] — organisé par Heloisa Melino et Ismane Desrosiers —, le documentaire Chache Lavi — dirigé par Clementino Junior — et l’animation A batida não para [le bâtiment ne s’arrête pas] — une production en partenariat avec Positives Negatives. 

Il est nécessaire de reconnaître que l’expérience des Haïtiens qui migrent vers le Brésil est pleine de croisements et de défis. C’est un point commun entre les migrants du Sud Global, que ce soit dans le contexte du déplacement Sud-Nord ou Sud-Sud. Ces flux mettent au premier plan une série de questions complexes qui tendent à devenir conflictuelles : les défis (et les opportunités) à partir d’une diversité identitaire, ethnique, nationale, religieuse et linguistique croissante ; les intolérances diverses ;  le racisme et la xénophobie ; les questions liées à l’intégration culturelle et économique du migrant dans le pays de destination ; les représentations à propos des sujets migrants et de leur pays d’origine ; les formes de réparation du pays d’origine pour la perte de sa population hautement qualifiée du point de vue éducatif et professionnel, entre autres choses. 

L’arrivée massive d’Haïtiens aux frontières du Brésil n’a pas été seulement une surprise, un flux inédit, mais principalement une opportunité pour le pays de réfléchir à propos de son propre racisme — institutionnel et quotidien — ; de sa société et de sa gouvernance migratoire. Il a dû remettre en question les principes qui orientent le projet de pays pour le Brésil — de séparation et de criminalisation, ou d’accueil, d’intégration et de garantie des droits. Les ressources qui permettent à une personne migrante de se sentir chez elle, bien accueillie et d’avoir des conditions de vie digne sont nombreuses et distinctes. Comprendre cet ensemble a été l’une de nos recherches tout au long de la recherche à propos de l’Accès à la Justice. 

 

Heaven Crawley, directrice de la plateforme MIDEQ et du Centre de Recherche Politique de l’Université des Nations Unies, introduit, comme point de départ de cette édition, le fait que la compréhension et la pratique de la justice et des droits doivent être systémiques — et non pas restreintes au phénomène de la migration. 

Pia Oberoi, conseillère sénior d​u HCDH Asie-Pacifique, réfléchit, dans une interview, à propos des complexités culturelles, ethniques, politiques, religieuses et économiques présentes dans les flux migratoires en Asie. Elle analyse également les différentes acceptations de gouvernance des migrations par rapport aux droits humains.

Paulo Abrão est actuellement directeur-exécutif du Washington Brasil Office, et a été le secrétaire national de la Justice du Brésil, de 2011 à 2014, lorsqu’il a présidé le Conseil National pour les Réfugiés. Dans l’entrevue, Paulo partage avec nous les coulisses de la gouvernance migratoire dans le pays, ainsi que les effets et les conséquences de la migration haïtienne dans la reformulation de la politique de migration au Brésil.

À partir de la perspective juridique et de la gouvernance institutionnelle de la migration, Caroline Nalule et Heaven Crawley renforcent la nécessité des trois dimensions de la justice : la redistribution, la reconnaissance et la représentation. ; à lire dans l’essai « Repenser l’accès à la justice pour les migrants du Sud Global ». 

Musiques et cantiques, mouvement de danse, tissus et vêtements sont les éléments pour explorer la créativité dans le langage pour communiquer de nouvelles perspectives artistiques à propos du travail du MIDEQ dans l’Accès à la justice,  écrit, dans son essai, le ghanéen Gameli Tordzro. 

Zukiswa Wanner — écrivaine zambienne installée à Nairobi — est la fondatrice du festival Afrolit Sans Frontières et a été l’éditrice invitée dans les éditions 6 et 8 de la Revue Periferias « Race, Racisme, Territoire et Institutions (2021) » et « litafrika : rencontres arctiques (2023) ». Personne centrale dans la connexion de Periferias aux littératures africaines, Zukiswa participe à Periferias 9 avec un extrait de son livre Men of the South  (Kwella books, 2010), (Hommes du Sud, en traduction libre), une œuvre encore inédite en portugais, qui rapproche la masculinité de trois hommes africains de trois mondes complètement distincts. Mfundo est musicien et père, Mzi est un homme gay marié, et enfin, Tinyae, un Zimbabwéen en Afrique du Sud. L’extrait que nous publions traite de Tinyae. 

Frankétienne est l’un des principaux intellectuels haïtiens, reconnu principalement pour son œuvre écrite en créole haïtien. Il est écrivain, poète et dramaturge, artiste peintre, musicien et activité d’Haïti. Dans l’extrait publié du « Monologue de Piram », une pièce de théâtre nationalement connu, Frankétienne explore le manque et l’appartenance haïtienne avec le phénomène migratoire du sujet en diaspora. 

La poésie de l’Afro-colombienne Rosa Chamorro pénètre la migration intra-régionale de migrants colombiens au Chili, principalement à la recherche de travail dans la minoration du cuivre au nord du pays. Elle dialogue avec la poésie de Tawona Ganyamatopè Sitholè, éducateur et poète de Namibie qui explore les sens ancestraux de la migration avec la nature

Jailson de Souza e Silva et Richemond Dacilien, chercheurs de l’Uniperiferias, reprennent l’histoire d’Haïti et remettent en question une proposition radicale mais logique et tout à fait juste pour la Révolution haïtienne : celle qu’elle devrait être - et non la Révolution française - le marqueur républicain pour le Sud Global. Le couloir migratoire Haïti-Brésil relie le premier pays à abolir lesclavage dans les Amériques au dernier. À l’époque, les élites brésiliennes craignaient que lhistoire ne traverse les frontières et que les esclaves du Brésil ne soient inspirés par la lutte pour la liberté dHaïti.

La photographie populaire, principalement sous la perspective d’Imagens o Povo [Images du peuple] — projet de l’Observatoire de Favela, de Rio de Janeiro — est un signe créatif de la revue Periferias, principalement à partir de la participation de Bira Carvalho (1971 - 2021), en tant qu’éditeur de photographie de la revue, de qui nous célébrons la mémoire. Le chemin ouvert par Bira en 2018 a été repris en 2022 dans l’édition imprimée Croisements du Futur, et est poursuivi maintenant dans cette édition avec les essais photographiques « Une alouette seule ne fait pas le printemps, mais deux peuvent le faire », de Pablo Vergara et « Makamba angolaise à Maré », avec les photos de Patrick Marinho et écrit par Rodolfo Teixeira Alves. 

La migration haïtienne en a déjà fait la plus grande communauté de migrants au Brésil. Aujourd'hui, le plus grand flux migratoire du pays vient du Venezuela. Pia Riggirozzi, Natalia Cintra, Tallulah Lines et Bruna Curcio, dans Le politique est visuel, partageant un étude de terrain —qui a devenu un livre photo — dans la ville de Manaus avec des femmes et des filles vénézuéliennes. Centraliser les voix des femmes déplacées concernant les défis en matière de soins et de santé, et lutter contre la violence, est une première et fondamentale étape pour formuler et améliorer efficacement les politiques publiques en faveur des femmes migrantes au Brésil.

L’Académie Perles Noires s’est consolidée dans la ville de Rio de Janeiro, avec une équipe de football professionnel formée par des migrants, surtout des Haïtiens. L’APN, ce projet structurant, a été créé à Port-au-Prince en 2009 par l’organisation Viva Rio. Après 14 ans, les résultats sont évidents et le travail professionnel des migrants dans le milieu du football devient de plus en plus possible pour les migrants. 

Dans le détroit de Darien, on constate l’une des plus graves conséquences de l’inégalité produit par le capitalisme. Traverser la jungle du Darien colombien et panaméen est devenu la route possible pour grande partie des migrants en Amérique latine — et pas seulement — qui tente de migrer vers le Nord Global. Bien que ce ne soit pas ce flux migratoire qui oriente cette publication, dans le Darien, les migrants et les acteurs qui y sont liés sont tous du Sud Global. De la même manière, les stratégies pour garantir les droits essentiels aux personnes qui tentent cette traversée devront partir des gouvernements de Colombie et du Panama eux-mêmes. Yolanda Chois Rivera, activiste et chercheuse colombienne, partage son expérience avec la tragique histoire de cinq Ghanéens ayant tenté cette traversée en 2017.

La difficulté dans l’obtention des documents représente un grand obstacle dans l’accès de droits des migrants éthiopiens en Afrique du Sud — principalement pour les enfants —, selon ce que nous partagent Mackenzie Seaman et Henrietta Nyamnjoh, dans « Plus d’attentes, moins de droits ». Les difficiles conditions de vie des migrants népalais contrastent avec la pratique du droit au loisir lors des commémorations religieuses musulmane comme l’Ed — une brèche pour la rencontre et la célébration népalaises Kuala Lumpur —, nous raconte les narratives de Seng-Guang et Sheril A. Bistamante. Dans la Vallée du Jourdan, la Kafala est un système de parrainage des travailleurs migrants dans les contextes ruraux qui représente un énorme obstacle dans l’accès aux droits de base pour la communauté égyptienne en Jordanie, comme nous le racontent Ayman Halasa, Rawan Rbihat et Hala Abu Taleb. 

Periferias 9 réunit un ensemble pluriel et divers en provenance et perspective sur les lectures et les stratégies dans la recherche de l’accès aux droits et à la justice dans les migrations. L’Uniperiferias remercie la Plateforme Mideq ainsi que les organisations partenaires pour le cheminement conjoint : la Fondation Tibe Setubal, l’Unicef 1Mio, la Fondation Heinrich Böll, l’Institut Unibanco. Que les expériences de vie, les réflexions et les propositions ici présentes contribuent pour que nous puissions percevoir le processus migratoire dans toute sa puissance, sa richesse et sa beauté.


 

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