Interviews

periferias 9 | Justice et droits dans la migration Sud-Sud

illustration: Marcelo Ment

« Migration : la manifestation la plus claire des défis de l’humanité »

Interview avec Heaven Crawley, directrice de Migration pour le développement et l'égalité — MIDEQ

par Daniel Martins et Felipe Moulin

octobre 2023

traduit par Déborah de Oliveira Spatz

Y-a-il une compréhension commune de la justice dans le phénomène de migration ? 

Cela dépend de quel type de migration et de l’endroit où elle a lieu. Historiquement, beaucoup de recherches sur les migrations se sont concentrées sur la migration du Nord vers le Sud. L’accent a énormément été mis sur les questions de justice, mais la littérature dans le Nord a examiné ces questions d’une manière particulière, d’une manière eurocentrique, enracinée dans les idées du Nord européen et mondial de l’état de droit, sur les justices qui peuvent être corrigées par un processus judiciaire.

C’est une façon assez particulière de penser les justices. Il ne s’agit pas nécessairement des injustices que les personnes ressentent, mais plutôt de la manière dont le système judiciaire peut lutter contre les injustices en matière du État de Droit.

Lorsque nous pensons à l’Accès à la Justice, nous avons tendance à ne pas nécessairement nous concentrer sur la régulation des lois, parce que souvent, ce n’est pas accessible à tout le monde — pas seulement aux migrants —, mais plutôt à d’autres formes de justice

Lorsqu’on pense à la migration dans le Sud, ce n’est pas nécessairement qu’elle est qualitativement différente des Nord, c’est plutôt que le contexte et les choses qui sont importantes sont parfois très différentes. Ainsi que les perspectives des gens qui se déplacent.

Dans le contexte du travail de la plateforme MIDEQ, lorsque nous pensons à l’Accès à la Justice, nous avons tendance à ne pas nécessairement nous concentrer sur la régulation des lois, parce que souvent, ce n’est pas accessible à tout le monde — pas seulement aux migrants —, mais plutôt à d’autres formes de justice. Les formes traditionnelles de justice, les formes coutumières de justice. Des justices qui ont à voir avec la manière dont les gens ressentent leur identité et leurs opportunités. Et ce ne sont pas nécessairement des choses qui peuvent être corrigées par la loi, mais qui sont liées aux relations, à l’intégration et à toute une gamme d’autres questions.

Et la raison pour laquelle nous faisons cela, en partie, est que lorsque les gens parlent d’injustices, ils parlent bien souvent de choses qui ne peuvent pas facilement être corrigées par la loi, même si la loi est efficace. Ne pas se sentir comme appartenant à une société ou ne pas se sentir comme si on y appartenait, ce n’est pas quelque chose que la loi peut facilement corriger.

 

Qu’est-ce qui vient en premier : l’accès aux droits ou l’accès à la justice ?

Nous devrions examiner les relations entre les droits et la justice d’une façon beaucoup plus systémique, parce qu’on peut avoir des droits, mais en même temps, ne pas avoir de justice. Si les personnes ont légalement certains droits — beaucoup d’Haïtiens au Brésil ont légalement des droits — cela ne signifie pas qu’ils ont la justice. Il peut y avoir un fossé énorme entre les droits et la justice. 

Ne pas se sentir comme appartenant à une société ou ne pas se sentir comme si on y appartenait, ce n’est pas quelque chose que la loi peut facilement corriger

Les droits ne signifient pas automatiquement que vous avez la justice et que vous pouvez avoir la justice sans droits, parce que la communauté peut se mobiliser pour fournir un soutien et vous pouvez sentir que vous avez la justice à vos côtés même si vous n’avez pas de droit.

Idéalement, vous voulez la justice et le droit, en même temps, mais vous ne pouvez que voir cela comme faisait partie d’un système plus large et ce système fonctionne de manière différente pour préserver certains groupes privilégiés et d’autres pas. Autrement dit : les droits et la justice font partie de la même constellation de possibilités. Il s’agit de possibilités humaines, du potentiel humain. Pour que les personnes exercent leur possibilité humaine, leur humanité, ils doivent avoir des droits et les droits fournissent une base pour la justice, mais la seule base pour la justice. 

 

Comment peut-on discuter des avantages de la migration vers les pays de destination ? 

D’abord, les avantages de la migration pour les pays de destination sont tout à fait évidents. Si on regarde l’histoire de la migration, le Nord ne serait pas dans cette position de pouvoir, politiquement et économiquement, sans migration. Et cela inclus les avantages que le Nord a tiré de la colonisation et de l’esclavage. Sans ces deux formes de migration imposée, le Nord ne serait pas aussi riche.

Même aujourd’hui, le Nord bénéficie massivement de la migration à cause de la main-d’œuvre bon marché, à cause de sa nécessité de combler le déficit démographique, à cause des emplois que les gens exercent. C’est un fait que les pays du Nord tirent des avantages des migrants. Si on regarde tous les pays du Nord, les évidences économiques sont là. Il y a d’énormes avantages à la migration. Les principaux défis se trouvent dans les conséquences sociales, culturelles, religieuses, linguistiques et raciales de la migration. 

Ce sont des choses avec lesquelles les gens ont beaucoup plus de mal, parce que dès qu’on commence à parler des avantages économiques, les gens parlent très rapidement d’autres questions qu’ils trouvent plus complexes. Il s’agit de l’identité, de ce que la migration représente en termes de fugacité du monde, d’informalité et de manque de contrôle perçu.

La migration est fondamentalement une question symbolique, seul 3,6 % de la population mondiale se déplace et vit dans un pays autre que celui dans lequel ils sont nés

La migration est fondamentalement une question symbolique, seul 3,6 % de la population mondiale se déplace et vit dans un pays autre que celui dans lequel ils sont nés.

Même si c’est très peu, il y a encore d’énormes avantages économiques. Tout le monde le sait. La question est de savoir comment gérer l’instabilité des gens quant à la façon dont le monde change.

Et la manifestation la plus claire de ce changement est la migration parce qu’elle change physiquement qui sont nos voisins, les personnes avec qui on travaille, ce que l’on mange, la musique que l’on écoute, ainsi que les personnes avec lesquelles les membres de notre famille se marient. Les aspects les plus fondamentaux de l’humanité sont mis au défi par les changements du monde, dont la migration est la manifestation la plus claire. À une époque où les pays sont vraiment aux prises de leur propre identité nationale : « Qui sommes-nous ? »

Si on regarde les pays du Nord, il y a tellement de références à l’histoire. Il n’y a pas de sentiment d’identité contemporaine. Il y a ces parties du monde dans les pays du Sud qui arrivent juste derrière : l’Inde, la Chine ; des pays avec ⅓ de la population mondiale. 

Tout à coup, le Nord se sent très menacé parce qu’il n’est plus le principal dominant. Et en terme population, le Nord est en train de mourir. C’est terminé. C’est l’Afrique, l’Asie du Sud-est et l’Amérique du Sud qui sont en pleine croissance. Et on peut voir ça partout. C’est la peur qui détermine les attitudes à l’égard de la migration. Cela ne repose pas sur des preuves. C’est basé sur la peur.

 

Ces changement nous aident-ils à remodeler non seulement la notion de justice mais également la manière dont nous pouvons aborder les flux migratoires ?

Je considère les choses sous un angle différent. Je pense que la migration est un des éléments que nous examinons, mais ce n’est pas nécessairement l’élément le plus important. La migration fait partie des processus socio-économiques et politiques plus larges, du changement social et de la transformation. D’une certaine manière, je vois la migration comme étant une fenêtre à travers laquelle on regarde ces autres processus parce que c’est une très bonne étude de cas ou un très bon exemple de la façon dont les choses fonctionnent ou ne fonctionnent pas pour différents individus, principalement dans le contexte du mouvement. 

Mais je pense que cela nous en dit plus sur les gens qui sont en mouvement, les communautés d’où ils sont partis, les communautés vers lesquelles ils se déplacent. Et comment nous comprenons ce que signifie être humain. Je pense que cela va au-delà de la migration.

Une grande partie du travail de la plateforme MIDEQ porte sur l’humanisation des migrants et le phénomène migratoire. Le problème des catégories et des étiquettes, c’est qu’elles déshumanisent

Une grande partie du travail de la plateforme MIDEQ porte sur l’humanisation des migrants et le phénomène migratoire. Le problème des catégories et des étiquettes, c’est qu’elles déshumanisent.

On parle souvent des migrants comme s’ils étaient des chiffres, pas en tant qu’êtres humains. Lorsque nous pensons à l’humanité des personnes qui bougent, nous pouvons reconnaître les similarités avec l’humanité des personnes qui ne bougent pas. Nous voyons donc le type d’identité collective, mais aussi le potentiel de solidarité collective car nous avons beaucoup plus de choses en commun que les différences. Ainsi, le mouvement est important pour penser à certaines de ces différences, mais il ne s’agit pas seulement du mouvement. Il s’agit des gens et des relations entre les personnes qui se déplacent et celles qui ne se déplacent pas.

 

Dans nos recherches avec des Haïtiens vivant au Brésil, nous avons entendu la déclaration suivante : « Un migrant blanc sera traité comme un touriste, alors qu’un migrant noir sera traité comme un réfugié ». Qu'en penses-tu?

J’ai écrit à propos du problème des catégories, et j’ai écrit à propos du problème de ce que j’appelle le fétichisme catégorique, qui est cette obsession de mettre les gens dans une boîte et de les étiqueter. Le problème, c’est qu’il faut quelqu’un se trouvant à l’extérieur pour que la boîte existe. En fait, les boîtes et les catégories comprennent ce qu’elles excluent simultanément. 

Les migrants blancs, les personnes qui se déplacent et qui sont blanches, sont perçus différemment de ceux qui sont noirs. Ils sont peut-être considérés comme des touristes, mais ils peuvent aussi être vus comme étant des migrants économiques. Mais ce sont des personnes qui sont considérées comme ayant du potentiel, qui ont quelque chose à offrir, qui ont une contribution à apporter. 

Être noir, malheureusement, est, encore de nos jours, associé à des idées négatives sur ce que signifie l’humanité, plutôt qu’au potentiel humain, à l’esprit humain et aux opportunités humaines.

Les systèmes de migrations à travers le monde sont profondément radicalisés et l’accès à la Justice l’est profondément également. Il est aussi genré. Ainsi, il y a cette intersection de genre et de race dans le contexte de la migration, tout comme dans la société. Cela façonne vraiment le potentiel des personnes à exercer leur humanité et à exercer leur potentiel

Les systèmes de migrations à travers le monde sont profondément radicalisés et l’accès à la Justice l’est profondément également. Il est aussi genré. Ainsi, il y a cette intersection de genre et de race dans le contexte de la migration, tout comme dans la société. Cela façonne vraiment le potentiel des personnes à exercer leur humanité et à exercer leur potentiel.

Je comprends pourquoi les catégories existent — après tout, nos sociétés sont basées sur la prémisse des catégories — mais nous devons être très conscients de ces catégories, la raison qu’elles servent et du fait qu’elles excluent autant qu’elles incluent. Nous ne devons pas simplement considérer les catégories comme étant d’une manière ou d’une autre naturelles. Elles changement constamment selon qui est inclus et qui est exclu. On ne veut pas simplement être à l’extrême et dire qu’il s’agit simplement de racisme ou de genre, mais plutôt de complexes interactions entre race et genre dans le contexte de la migration. 

 

Y a-t-il une différence en matière de politique et d’intégration entrée les pays qui ont et ceux qui n’ont pas de « justice sociale » bien établie ? 

On en revient au point dont je parlais au début. Si nous mesurons la justice du Sud en référence aux idées dominantes sur l’État de droit, ou à une certaine idée de justice, on peut avoir l’impression que le Sud et d’une certaine manière en manque de quelque chose et doit s’améliorer. Il y a une idée selon laquelle le Sud doit se développer et parvenir à une place qui est plus similaire à celle du Nord. 

Mais en vérité, certains pays du Sud ont en fait des formes de justice coutumière et traditionnelle très bien établies —qui reposent sur des coutumes, des pratiques non écrites et non codifiées

Mais en vérité, certains pays du Sud ont en fait des formes de justice coutumière et traditionnelle très bien établies —qui reposent sur des coutumes, des pratiques non écrites et non codifiées. Il ne s’agit pas seulement de créer des systèmes qui d’une certaine manière répliquent d’une manière ou d’une autre ceux qui existent dans le Nord.

Nous savons que ces systèmes, dans le Nord ne sont pas toujours synonymes de justices, principalement pour les individus ou les groupes marginalisés. On peut dire qu’en tant que modèle vers lequel aspirer, le Nord a énormément de problèmes.

Je pense donc qu’il ne s’agit pas toujours de mesurer le Sud par rapport au Nord, dans ce sens, mais plutôt de penser à ce que le Sud a, au potentiel de ses lieux et à la manière dont ils fonctionnent selon leurs propres termes. C’est pourquoi le travail de la plateforme MIDEQ est si important, parce qu’il nous aide à comprendre quels sont ces termes plutôt que de simplement appliquer les connaissances du Nord au Sud et d’essayer de reproduire quelque chose. 

 

Même si le Nord donne une image publique de moins d’inégalités que le Sud, offre-t-il nécessaire plus de garanties ou de droits aux migrants ?

Nous savons que les inégalités à l’échelle mondiale augmentent très rapidement et qu’au sein de chaque pays, celles-ci augmentent considérablement, tant en termes de richesse, de ceux qui possèdent la majorité des ressources qu’en termes de revenus, de ceux qui ont la possibilité de créer cette richesse. Et pas seulement les inégalités de revenus : il y a également d’importantes inégalités liées au genre, à la race et à l’âge, par exemple. 

Je reviens tout juste du Kenya, où quatre personnes possèdent une richesse équivalente à celle de 22 millions de Kenyans. Il y a d’énormes niveaux d’inégalités et ceux-là ne sont pas limités au Sud : le Nord est également fortement inégal parce qu’il repose sur l’État de droit et sur la démocratie, qui, en tant que catégories, exigent par définition que certaines personnes soient exclues. 

Ces systèmes fonctionnent aussi d’une manière qui marginalise, principalement maintenant que la migration vers le Nord est devenue fortement politisée et représente un moyen pour les nations de signaler leur allégeance à certains groupes de la société et pas à d’autres.

Si vous voulez sentir que vous faites partie intégrante d’une société et que vous pensez : « J’ai des privilèges, mais pas ce groupe », cela vous fait vous sentir, d’une certaine manière, plus important. Les inégalités augmentent partout et à certains endroits, ces inégalités ont été politisées.

Les gouvernements du Royaume-Uni feront une déclaration à propos de certains groupes marginalisés : les demandeurs d’asile, les migrants, les personnes porteuses de handicaps, les pauvres, et c’est censé être une bonne déclaration politique qui rapportera plus de voix, pas moins. Ainsi, la marginalisation fait partie de la narrative politique. C’est presque la prémisse du capitalisme et cela se manifeste à travers le processus politique. 

 

Même si le colonialisme du Nord et l’asservissement du Sud sont largement connus, pourquoi le Nord continue-t-il à jouer le rôle de victime de flux migratoires ? 

C'est une bonne question, mais je dois d'abord contester votre affirmation, « même si le colonialisme et l’asservissement sont largement connus ». Je ne crois pas que ce soit largement connu. On ne m'a jamais enseigné l'esclavage ou la colonisation dans mon école alors que je grandissais. J'ai découvert la colonisation quand je suis allé à l'université — et tout le monde ne va pas à l'université ou n'étudie pas des matières où cela serait considéré comme pertinent. En plus de cela, je pense qu’il y a des récits forts qui, d’une certaine manière, dominent, qui d’une certaine manière expriment que la colonisation a été bénéfique pour les colonisés.

Aux États-Unis, récemment, vous avez même entendu des gens dire que l'esclavage était bénéfique pour les personnes réduites en esclavage. Ainsi, L’idée selon laquelle on a enseigné la colonisation aux gens et qu’ils sont critiques par rapport à cela, je pense que ces deux éléments ne devraient pas être pris pour acquis. Je pense que c’est quelque chose qu’ils connaissent, et même s’ils  connaissent, ils pensent, d’une manière très bienveillante, que la colonisation a été bénéfique.

Par exemple, la seule chose qu’on nous a appris dans les écoles du Royaume-Uni, c’est que William Wilberforce a mis fin à la traite négrière, même si ce sont les Britanniques et les Portugais qui ont lancé la traite et l’ont poursuivie pendant des siècles. Alors, d’une certaine manière, ils sont redevenus les sauveurs. Les Britanniques ont donc mis fin à l’esclavage, d’une manière ou d’une autre. Mais les Britanniques étaient la principale cause de l’esclavage. C'est vraiment frustrant. C’est pourquoi je remets en question la prémisse de votre questionnement. Il y a beaucoup d’apprentissage à faire.

Le fait est que le Nord continue d’extraire des milliards et des milliards de dollars du Sud en ressources, chaque année, d’une manière ou d’une autre, et que, pourtant, comme vous le dites, il continue de se présenter tant bien que mal comme une victime de ces processus

Le fait est que le Nord continue d’extraire des milliards et des milliards de dollars du Sud en ressources, chaque année, d’une manière ou d’une autre, et que, pourtant, comme vous le dites, il continue de se présenter tant bien que mal comme une victime de ces processus.

Je pense que cela fait partie de la narrative historique sur le Nord bienveillant ou l’Occident bienveillant. Il y a un énorme travail éducatif à accomplir. Je ne pense pas du tout que les impacts négatifs et les impacts négatifs continus de la colonisation ou de l’esclavage soient reconnus, qu’on en parle ou qu’ils sont acceptés.

Oui, il y a eu une résistance noire à certains de ces récits, par exemple Black Lives Matter, Rhodes Must Fall. On a vu les représentations de la colonisation et de l'esclavage être démantelées au Royaume-Uni, il y a des statues qui ont été détruites. Cependant, ces mouvements ont fait face à une énorme résistance. Les gens ne disent pas : « Ok, tu as raison, je comprends ». Ils considèrent les manifestations comme étant du vandalisme et que l’histoire est mal comprise et mal interprétée. Il y a une énorme résistance à l’idée selon laquelle la colonisation et l’esclavage ont été négatifs pour les peuples et pour leurs pays. C’est toujours très fortement considéré comme quelque chose de bénéfique.

Je voyage régulièrement dans différentes parties de l’Afrique. À chaque fois que je suis là-bas, j’entends des personnes blanches qui vivent là-bas dire : « C'était tellement mieux quand il y avait la colonisation. Tout fonctionnait bien. »

Mais les personnes ignorent totalement toutes les inégalités déjà établies par la manière dont la colonisation était arrivée. Beaucoup de ces radicalisations qui ont conduit à des tensions ethniques n’existaient pas avant la colonisation. Ou encore les processus économiques qui continuent à miner encore aujourd’hui les pays du Sud.

 

Quel est le forum mondial approprié pour parler des nouvelles stratégies politiques ou de la gouvernance pour la migration ? 

Le système de l’ONU fournit aujourd'hui le dispositif de gouvernance des migrations, principalement à travers l'OIM et le HCR, ainsi que les infrastructures financières, aux côtés de la Banque mondiale et du FMI. Mais parce qu’ils ont été créés par des États puissants, ils sont principalement représentés et dirigés par des États puissants.

Récemment, le FMI et la Banque Mondiale ont été confrontés à certaines difficultés liées à ce système. Mais ces structures sont établies d’une manière qui rend très difficile leur contestation. Les structures sont très descendantes et orientées vers les intérêts des gouvernements, par définition. Le système des Nations Unies se concentre sur la gouvernance de haut niveau, il ne s’agit pas de mobilisation communautaire.

Créer une solidarité autour de ces questions, à travers le prisme de la migration, est une grande partie de ce que nous essayons de faire au MIDEQ

Cela dit, nous commençons à voir des formes très intéressantes de nouvelle mobilisation communautaire. Au Sud comme au Nord, le plus gros problème est que des choses incroyables se produisent partout dans le monde et qu’elles ne sont pas conjointes.

Même s’il est désormais possible pour elles de se rejoindre grâce à la technologie, ils restent toujours, par définition, des mouvements de base et ils sont aussi souvent locaux. Cela rend très difficile leur expansion, car on perd la spécificité du contexte lorsqu’on essaye de faire cela.

Il semble que l’un des problèmes auquel nous faisons face en nous mobilisant pour un nouveau mouvement est que nous sommes toujours conscients de la différence, toujours conscients de l’intersectionnalité, toujours conscients de la complexité. Ces éléments rendent très difficile la connexion des communautés, parce qu’il ne faut jamais effacer les différences ou ignorer le contexte.

D’une certaine façon, nous devons prendre du recul par rapport aux détails et nous appuyer sur suffisamment de similitudes et de points communs pour pouvoir créer un mouvement. Du point de vue du MIDEQ, ces similitudes et points communs sont liés aux questions d’injustice et d’inégalité. Ces conséquences sont le résultat de processus mondiaux – capitalisme, mondialisation, dégradation environnementales – avec des conséquences locales. Créer une solidarité autour de ces questions, à travers le prisme de la migration, est une grande partie de ce que nous essayons de faire au MIDEQ.


 

Heaven Crawley | ROYAUME-UNI |

Gère le Hub MIDEQ. Elle est directrice du Centre de recherche politique de l'Université des Nations Unies et titulaire d'une chaire en migration internationale à l'Université de Coventry.

@heavencrawley

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