Narratives

periferias 9 | Justice et droits dans la migration Sud-Sud

illustration: Yolanda Chois

Retrait

Une poignée de terre qui a voyagé de Darién à Kumasi

Yolanda Chois Rivera

| Colombie | Panama | Ghana |

octobre 2023

Nous nous sommes assis par terre dans le salon situé dans une maison dans un compound à Kumasi (Ghana), les constructions typiques de ce pays dans lesquelles plusieurs familles ont leurs maisons autour d’un patio central commun à tous. C’est là que nous étions, le traducteur, l’étudiant en art, le père de Toafic et moi. Six ans étaient passés, c’était en janvier 2017. Quelques instants avant d’entrer, encore dans la rue, le soleil faisait vibrer les couleurs de terre cuite avec lesquelles la maison était peinte et le sol, en terre rouge paraissait être orange, c’était un soleil de terre, à l’intérieur, dans le salon, l’illumination était naturelle mais peu de lumière entrait parce que la porte et la fenêtre étaient fermées pour ne pas que nous soyons interrompus. Le père de Toafic parlait en Hausa, l’une des langues parlées majoritairement par les musulmans, c’est une langue tonale ; ses mots, la traduction en anglais et depuis en espagnol, apportaient des sonorités très différentes. Ce qui s’est passé là-bas a donné beaucoup de sens à la raison pour laquelle j’étais au Ghana, dont les origines se trouvent dans le Darién panaméen, à plus de 9 000 km de distance de Kumasi, durant l’année 2015. Je pourrais peut-être aussi dire que cela a commencé en 2014, au Brésil, avec la décision de Toafic de continuer son voyage jusqu’à la partie nord du continent, je ne peux pas le préciser.

Photo: Yolanda Chois

Le sens de l’écriture dans la Revue Periferias est de laisser inscrit, quelque chose dans l’histoire d’une personne, qui transcende la manière dont en général, on narre la migration de milliers de personnes qui ont traversé, durant la dernière décennie, la jungle du Darién pour traverser l’Amérique centrale avec l’objectif d’arriver au nord du continent : aux États-Unis et au Canada.

En 2014, avec un groupe d’artistes, de journalistes de la presse écrite et de la radio, des cinéastes et d’autres professionnels, nous nous sommes réunis pour créer le projet artistique et de communication « Hacia el Litoral : Acción colectiva » [Vers le littoral : Action collective], nous étions des personnes du Panama et de Colombie, nous étions intéressés par la compréhension territoriale des régions frontalières des deux pays, principalement sur le littoral de l’Océan Pacifique. Il faut rappeler que le contient américain est relié du nord au sud par une autoroute, la Panamericana (1936), le seul tronçon qui n’est pas construit est celui qui relie le Panama et la Colombie. C’est-à-dire qu’au sud du centre du continent se trouvent à cet endroit deux régions de jungle avec un écosystème très important, la jungle del Chocó (Colombie) et la jungle del Darién (Panama). Biologiquement, elles sont les mêmes, mais géopolitiquement parlant, elles sont divisées. C’est là qu’on trouve le fameux bouchon du Darién. « Hacia el Litoral » a réuni de nombreux projets, certains se sont concentrés sur l’histoire des violences qui couvrent cette frontière et qui correspondaient au long conflit colombien du XXe et XXIe siècles, et d’autres sur l’importance des luttes territoriales à travers les processus culturels, la souveraineté alimentaires, entre autres sujets, mais nous n’avons jamais pu parler de cette réalité actuelle de la migration massive de personnes provenant de pays asiatiques, africains, caribéens et du continent lui-même traversant cette frontière, pour moi, cela est resté comme une question en suspens.  

À la mi-2015, la presse nationale du Panama a relayé la noyade d’un groupe de 5 Ghanéens, qui a eu lieu dans une rivière du Darién panaméen, dans la rivière Tuquesa, un affluent du fleuve Chucunaque, le plus grand du Panama. À ce moment-là, l’idée que j’avais des personnes qui traversaient cette frontière était que tous fuyaient des conditions de vie extrêmes : les guerres civiles, la faim, la violence ; mais, il existe davantage de variantes, parce que cette narrative, même si elle est vraie, cache d’autre problème qui concerne les sociétés des pays les plus pauvres et c’est le paradigme du style de vie mis en avant par le système de consommation de masse dans lequel nous vivions, j’ai compris cela tout au long du chemin. Alors que les projets « Hacia el Litoral » se terminaient, j’ai postulé pour réaliser une résidence artistique qui me permettrait d’aborder cette migration extra-continentale, comme elle est appelée par les institutions, de travailler au Ghana, notamment sur l’histoire des 5 migrants noyés dans la rivière Tuquesa.

Alors que j’étais au Panama, j’ai appris qu’ils avaient accepté ma demande, c’était le dernier jour de juillet 2016, trois jours avant cela, j’avais reçu une autre nouvelle : celle de la mort d’un ami qui était devenu récemment mon partenaire amoureux. Le deuil dans lequel je me trouvais se chevauchait étrangement avec l’enquête sur la mort des cinq migrants. À ce moment-là, je me suis rendue à Darién, au cimetière où les corps de ces personnes sont enterrés, et je me suis vue assise un matin à côté de la tombe en train de leur parler et de parler aussi à la personne de mon deuil, la vie a des façons étranges d’opérer.

Photo: Yolanda Chois

 

Le village où leurs corps ont été enterrés s’appelle Santa Fé, l’enterrement solennel a eu lieu en juin 2015 comme l’a rapporté un journal du Panama, réalisé par des représentants des institutions panaméennes responsables du thème, à cet endroit il y a un grand arbre qui garde les tombes. Santa Fé est proche de la Panaméricaine et est à 82 km du point où se termine la route de ce côté, pour reprendre en Colombie. À Santa Fé, il y a un lieu très spécial d’élévation spirituelle avec une forte mission sociale et écologique, c’est la maison de la mission Maryknoll, dans laquelle je me suis rendue via une autre amie panaméenne et ils ont été très importants parce qu’ils étaient totalement empathiques avec cette histoire de migrants. 

La raison pour laquelle les corps de ces personnes ont été enterrés à cet endroit ne sont pas claire, apparemment, après avoir été retrouvés sur la rivière Tuquesa, ils ont été emmenés à la capitale, puis, on les a renvoyés à Darién — 200 kilomètres séparent Panama City de la ville de Santé Fé — c’est ce qui m’a été dit dans l’enquête mais qui ne peut être contesté reprenant le dossier officiel qui se trouve chez l’un des procureurs du Panama. J’ai eu du mal à comprendre ce qui s’était passé pendant que j’essayais de dessiner quel serait mon travail au Ghana. Les informations existantes à propos de ces morts sont vagues, ce que j’ai trouvé, c’est qu’ils sont morts emportés par une tête d’eau, qui est un phénomène naturel dans lequel une grande quantité d’eau qui était bloquée au pied de la montagne se précipite. Lorsque cela arrive, on n’a que quelques instants pour sortir de la rivière parce qu’elle devient rapidement très forte et emporte tout sur son passage. Sur les sites Internet de la presse ghanéenne, quelques-uns de leurs noms sont apparus. Ils disaient qu’il s’agissait de leur surnom. J’ai parlé avec le plus grand nombre de personnes possible à Santa FÉ, j’ai parlé à des randonneurs expérimentés qui traversaient la jungle constamment et je me suis plusieurs fois rendue sur leurs tombes, je les ai nettoyées et décorées avec les membres de la communautés Maryknoll. 

En janvier 2017, je suis allée au Ghana, je suis arrivée à Accra, la capitale, pour réaliser ma résidence artistique, la fondation qui m’a reçue a organisé un agenda de visites de personnes et de lieux liés au thème de la migration. Ce programme a été principalement imaginé par Abdallah Sallisu, que j’ai rencontré grâce à Ana Garzón, une collègue et amie de « Hacia el Litoral ». En juin de la même année, nous voyagerons tous les trois sur la route panaméricaine à Darién, et ferions face à un moment perturbateur. Les trois premiers jours de la résidence, j’assimilais le nouveau contexte, je comprenais les choses que je n’avais peut-être pas lues ou entendues, mais avec lesquelles je n’avais jamais eu à vivre. L’une d’entre elles était la proximité des communautés musulmanes, Toafic était musulman. Près de la maison où je logeais, on entendait, à différentes heures de la journée, les prières, depuis la mosquée et au coin du quartier où j’étais logée, comme un message encourageant. Il y avait un grand panneau publicitaire sur lequel on pouvait lire  :« Juste Believe ». 

Quand j’ai commencé ce processus au Panama, je voulais essayer de contacter l’une des familles des 5 migrants, puis, j’ai compris une dimension insurmontable. C’était accablant d’arriver chez une telle famille sans raison, j’ai refusé cette idée et j’ai simplement  continué les interviews. J’ai passé des jours à comprendre les rues d’Accra, à aller du quartier où j’étais logée, à Nyamekye, jusque’à East Legon, où se trouvait la fondation qui m’accueillait, cela représentait une distance de 13 km. Être là-bas et comprendre la réalité de ce contexte, me poser des questions sur les raisons d’un voyage transatlantique aussi exigeant, en pensant à la connexion entre mon contexte culturel de la Colombie et du Panama avec celui d’un pays sur la côte occidental africain m’a donné une dimension plus grande à propos de la migration elle-même mais aussi sur les motivations de ces personnes quittant leurs foyers. 

L’un des problèmes pour assimiler cette migration est le manque de compréhension à propos des motivations de ces traversées, en général, nous supposons que la plupart des personnes qui migrent se trouvent en situation de pauvreté extrême et qu’ils viennent tous de pays dans lesquels il n’y a pas d’opportunité de vie possible, sans tenir compte des autres dimensions, l’une d’entre elles est le droit fondamental et l’ancienne action humaine de migrer, de se déplacer d’un entre à l’autre par la volonté de connaître le monde et de chercher des opportunités. 

Actuellement, cela n’est réservé qu’à la petite partie de l’humanité qui peut se le permettre et qui possède un statut migratoire privilégier, le reste de l’humanité doit-il être confiné dans sa réalité de naissance jusqu’au moment de sa mort ? Une autre dimension de cette mobilité est le désert d’acquérir le style de vie mis en avant de la société de consommation, nous voulons une autre vie, un bien-être que semble être uniquement fait pour le Nord. Le problème n’est pas le désir. Je pense que le problème est le fait de prendre part à cette forme de vie est également réservé à une petite partie de l’humanité, bien que certains secteurs du pouvoir économique défendent l’idée que si nous travaillons dur, nous obtiendrons ce style de vie et pratiquement, que la pauvreté est un choix. En effet, la possibilité de mobilité sociale dans nos sociétés de pays à faible revenu et de pays en développement est extrêmement complexe ; encore plus aujourd’hui, avec les effets négatifs post-pandémie. 

Il est vital de démanteler cette forme de fonctionnement de système en nous, qui nous empêche de reconnaître d’autres formes de vie comme étant valides, d’autres systèmes de production et de consommation possibles, ainsi que d’autres formes de collaborer mutuellement entre des contextes de problématiques connexes, comme une réalité proche. 

Toafic a déposé une demande d’asile au Brésil, c’est ce que nous a dit son père et ce qui a été publié sur un portail d’information en anglais, ayant diffusé les nouvelles de la demande massive d’asile par les Ghanéens qui se sont rendus à la Coupe du Monde en 2014. Elle leur a été refusée, en partie parce qu’ils demandaient l’asile parce qu’ils étaient touchés par les conflits religieux musulmans dans leur pays, ce que les autorités gouvernementales ghanéennes ont rejeté. 

Les régions du Brésil vers lesquelles les Ghanéens se sont déplacés après la coupe sont les régions les plus prospères du pays : São Paulo, Santa Catarina et Rio Grande do Sul. Il y a là un point fondamental que notre collègue Abdallah a demandé à la médiatrice  du village de Metetí, Darién, lorsque nous avons voyagé ensemble là-bas « ce pays offre-t-il des possibilités aux migrants de rester? » . 

Beaucoup de migrants disent que peu importe s’ils restent dans un pays de transit, ce qu’ils veulent, c’est trouver un endroit avec des opportunités ; si bien que les pays d’Amérique latine connaissent également des problèmes socio-économiques complexes, l’approche institutionnelle de la plupart des pays au cours de ces décennies consiste à considérer cette migration comme un danger potentiel. Que se passerait-il si, au lieu de se rendre au nord du continent, ces personnes décidaient de rester dans les pays d’Amérique latine ? Serions-nous prêts à assimiler cette intégration culturelle ? Comment la politique et la géopolitique changeraient-elles ? Que se passerait-il si les principales entreprises transatlantiques n’étaient pas au nord, mais entre des pays comme le Brésil, le Ghana, le Nigeria, et le Sud ? Comment changerait notre vision du monde et de l’altérité et comment changerait le paysage de la migration ? 

Face à ce refus d’asile, beaucoup d’entre eux ont continué vers le nord du continent. Les nouvelles rapportent que les 5 migrants ghanéens étaient dans un groupe plus grand de différentes nationalités. Je ne sais pas où ils se sont rencontrés. Dans l’agenda des interviews que j’ai faites au Ghana, l’une était avec un jeune qui vivait à Kumasi, son nom est Omar, il avait essayé le voyage vers l’Europe par la Libye et son histoire était très forte et importante pour la compréhension du phénomène migratoire. 

Nous avons voyagé jusqu’à Kumasi avec Stephen, le traducteur et là-bas, nous avons rencontré Hassan, qui, à ce moment-là, était étudiant en art, ainsi que son frère. Durant les conversations que nous avons eues, nous avons eu des moments très agréables : assis dans la rue à regarder les enfants jouer ; manger ensemble dans une cantine locale ; ou simplement à passer le temps. Lors de l’une de ces conversations, j’ai parlé de l’histoire qui m’avait amené ici, je leur ai montré un des articles publiés sur Internet, dans lequel les pseudonymes de trois des cinq personnes noyées dans la rivière Tuquesa de Darién étaient cités : Juvi Yung Bacush, Prince Noir, Toafic Shamo. Quand Omar a lu l’article, il a réagi et a dit qu’il connaissait l’un d’entre eux, que sa famille vivait près de là où nous étions, c’est une coïncidence à laquelle je ne m’attendais pas. Le Ghana est un pays de plus de 30 millions d’habitants, mais elle s’est produite. 

Ils étaient tous les trois excités à l’idée d’aller chercher la famille de Toafic et, même si j’étais nerveuse, j’ai accepté cette mission de groupe de recherche. En arrivant chez la famille, ils nous ont dits que le papa n’était pas là et que nous pouvions y revenir le lendemain.

Nous y sommes retournés le lendemain, devant la maison sous le soleil de terre qui illuminait et attendant de pouvoir entrer, nous traversions la cour du compound, nous nous sommes assis dans le salon. Le papa de Toafic a été le premier à parler, il nous a parlé de la vie de son fils, des filles de ce dernier, de l’emploi qu’il exerçait avant de voyager. Il nous a raconté comment s’est passé le voyage de Toafic au Brésil et à quel moment, ils ont arrêté de recevoir des appels de lui, pour ensuite recevoir la nouvelle de sa mort. De la manière dont il a reçu la nouvelle, à travers une autre personne de la famille qui travaillait pour les Nations unies. Il a également dit que les communautés musulmanes sont très unies et qu’au Panama, une cérémonie pour son fils avait eu lieu et il nous a parlé du groupe qui avait été créé ici, dans sa communauté, pour parler avec les jeunes des écoles musulmanes et les persuader de ne pas faire entreprendre ces voyages si dangereux. 

Après cela et grâce à Stephen et Hassam, je lui ai raconté mon expérience. Je lui ai parlé du Darién, de la rivière où cela s’est produit, je leur ai dit que le groupe dans lequel son fils voyageait n’avait plus qu’une journée de route panaméricaine. Le lieu où ils se sont noyés est proche d’une communauté indigène Embera appelée Bajo Chiquito. Le nombre de personnes traversant ce lieu était si important qu’à certains moments des camps d’organisations humanitaires ont été installés pour aider les personnes en transit. J’avais apporté avec moi quelques photos imprimées du lieu où ils sont enterrés. Il s’agit d’ cimetière catholique local. Juste à l’endroit où ils ont été enterrés se trouve le grand arbre qui garde l’endroit, de ces photos que j’ai montrées au père, il a décidé de garder la photo où on voit le grand arbre en entier et les tombes avec des croix chrétiennes ne se voient que très peu. 

Photo: Yolanda Chois

Lorsque j’étais à Accra, j’ai reçu un cadeau de l’un des directeurs de la fondation. Il s’agissait de graines d’un arbre dont je ne me suis jamais souvenue du nom. Les sœurs Maryknoll ont insisté pour faire des actes symboliques pour commémorer la mémoire des cinq. Parmi ces actions, j’ai pensé à faire germer ces graines et cet arbre, qui a grandi a été planté là où ils ont été enterrés, car il n’y a pas de plaque ou d’indication que leurs restes sont là. 

Vers juin 2017, Ana, Abdallah et moi avons organisé un événement au Panama pour discuter de cette réalité, qui a réuni des personnes de la société civile et des organisations humanitaires et de l’État travaillant au Darién. Cet événement a été appelé «Cayendo a la Periferia: Dinámicas de la migración » [Tomber à la périphérie : Dynamiques de la migration]. Ana et Abdalah se sont rendus au Panama pour cela, après l’événement, nous nous sommes mis en route pour Darién, mon idée était de leur montrer tous ces espaces et les personnes avec qui j’ai parlé et de réfléchir ensemble à une stratégie commune pour continuer à aborder le sujet. Passer par la maison des Mariknoll a été très significatif, ils voulaient savoir et entendre ce que nous avions à raconter. Nous sommes également allés à Metetí où nous avons parlé à la défenseure qui était présente à l’enterrement des 5. Dans cette conversation qu’Ana traduisait en anglais, elle nous a montré une photo où on peut voir que les corps ont été couverts de draps blancs. Abdallah nous a dits que cette coïncidence était très importante. Le fait de les couvrir de draps blancs comme cela, est quelque chose qui se fait lors d’un enterrement traditionnel musulman. Même si la cérémonie était catholique, cela peut être un grand symbole pour la mémoire de leurs familles. 

Notre mission à la fin du voyage était de planter ensemble l’arbre qui avait germé des graines que j’avais apportées du Ghana. Une amie botaniste l’avait fait pousser et c’était un jeune arbre fort. En sortant du bureau de la Défenseure du peuple, nous sommes retournés par la Panaméricaine vers le cimetière, situé à 30 km en voiture, le jour se terminait et nous devions retourner à Panama à 208 km de là. Sur ce premier trajet avant d’arriver à planter l’arbre, tout ce que ce voyage avait signifié pour chacun, toute la fatigue accumulée du travail précédent, tout ce qui avait remué ce processus a explosé! 

Dans une discussion entre anglais et espagnol, ça a fonctionné parce que je ne voulais pas aller planter l’arbre, nous sommes passés devant le cimetière, nous avons pleuré chacun pour des raisons différentes, il faisait de plus en plus sombre et en même temps il y avait l’arbre... Après avoir terminé notre voyage et nous être dit au revoir, je suis restée au Panama plus longtemps, je suis retournée au cimetière de Santa Fé pour planter l’arbre un jour de tempête. L’une des Maryknoll était avec moi.

Avec le temps, j’ai repensé plusieurs fois à deux souvenirs, à Kumasi dans la maison des parents de Toafic quand le père a décidé de garder la photo de l’arbre qui garde l’endroit où son fils a été enterré, et au moment où nous étions tous les trois dans la voiture, conduisant sur la Panaméricaine avec l’arbre et passant devant le cimetière. J’y pense beaucoup parce que j’ai toujours dû des excuses à mes collègues Abdallah et Ana, mais surtout parce que quand j’étais au Ghana je pensais à cette rhétorique d’ « une action solidaire globale », qui est une prémisse du livre de Zizek : La nouvelle lutte des classes : Les vraies raisons du terrorisme et des réfugiés, que nous avons lu avec quelques collègues à Accra, et cela dans la dimension des gens ordinaires originaires de pays chaotiques avec des conflits civils, des inégalités et plus encore, comme nous, se traduira peut-être le combat, mais en comblant le fossé entre nos réalités locales, en nous rapprochant de personnes culturellement éloignées de nous vivant sur un même territoire et en nous permettant l’opacité des autres, comme le disait Glissant dans Droit à l’opacité. Poétique de la relation, cette opacité est ce que nous ne pouvons pas comprendre complètement dans l’autre, mais pas parce que nous ne pouvons pas la comprendre, elle est une menace ; non pas parce que nous ne pouvons pas comprendre la présence de ces communautés migrantes dans nos lieux signifient une menace. Débloquer cette réalité individuelle est une voie urgente pour façonner ce que nous, en tant que société, exigeons des dirigeants, qui sont clairement aux côtés de la communauté internationale ceux qui ont la possibilité réelle de transformer cette réalité. Peut-être que je suis juste allée au Ghana pour prendre une photo d’une personne et pour remuer la terre à la recherche d’une histoire, mais la transformation que ce temps, passé au Ghana, a fait en moi est là pour toujours.


 

Yolanda Chois Rivera | COLOMBIE |

Yolanda Chois Rivera vit à Cali, en Colombie. Depuis 2014, il travaille entre le Panama et la Colombie, développant des projets dans les domaines culturel et éducatif qui tournent autour des relations territoriales, migratoires et environnementales, en particulier dans la région Pacifique qui relie les deux pays.

yolanda@almanaqueazul.org

Éditions Antérieures

Abonnez-vous à la newsletter