Makamba angolaise à Maré
La petite Angola est une part constante de la réafricanisation de la ville de Rio de Janeiro
Photographie par Patrick Marinho | Texte de Rodolfo Teixeira Alves
| Brésil |
octobre 2023
traduit par Déborah de Oliveira Spatz
Les flux de population ont formé, dans la ville de Rio de Janeiro, tout au long de l’histoire, des territoires symboliques. Ces derniers étaient très nombreux, mais le flux principal a été le trafic d’Africains, du XVe au XIXe siècle et qui a fait de la ville de Rio de Janeiro, le plus grand port esclavagiste des Amériques.
Dans les décennies du XIXe au XXe siècle, un flux de Bahianais, ajouter aux autres groupes sociaux, à former, dans la région centrale de la ville, un territoire symbolique, surnommé par l'artiste Heitor dos Prazeres « La petite Afrique ». Le nom, petite Afrique est resté et a commencé à représenter un ensemble urbain dont la population locale est en majorité noire, formée par des Africains ou non.
Dans les années 1980, par exemple, dans le quartier de Lapa une petite Afrique s'est formée, à cause des flux d'étudiants de divers pays africains, comme la Guinée Bissau, l'Angola et Sao Tomé-et-Principe, qui venaient par l’intermédiaire d’échanges universitaires, étudier dans les universités Cariocas. Cette population africaine, en majorité étudiante, avait pour habitude de se réunir dans des restaurants et des bars de la région, principalement au D’África, qui était un important espace de sociabilité africaine et noir des nuits Cariocas, à la fin des années 1980. La création d'espaces commerciaux, comme des bars et des restaurants, qui permettent la rencontre et la connexion, même symbolique avec son pays d'origine, à travers la musique, la nourriture, les rencontres entre compatriotes est une pratique commune dans ces lieux.
Dans l’ensemble de favelas de Maré, dans les années 1990, un territoire africain qui participe toujours à l’histoire multiculturelle de la ville de Rio de Janeiro s'est formé, la petite Angola, ou le quartier des Angolais. C’est ainsi que l’on appelle populairement la région dans laquelle se concentrent la communauté migrante angolaise dans les favelas de Vila dos Pinheiros, ainsi que Salsa et Merengue.
La construction de Maré en tant que territoire multiculturel, fait partie de l'histoire de la ville de Rio de Janeiro. Cette construction a été réalisée par des diasporas diverses, par le croisement de groupes sociaux et ethniques au fil du temps.
D’après le Recensement de Maré (2019), produit par Redes da Maré, 195 Angolais vivent dans l’ensemble de favelas. Ils sont 56 rien qu’à Vila dos Pinheiros, même si le recensement lui-même nous montre cependant que ces données peuvent être sous-estimées. D’après l’expérience de ceux qui vivent dans ce territoire, la présence angolaise est symboliquement, plus expressive. Même en considérant seulement les données reçues, parmi la population étrangère, les Angolais sont majoritaires, suivis par les Portugais, qui seraient 24 selon le recensement.
La construction de Maré en tant que territoire multiculturel, fait partie de l'histoire de la ville de Rio de Janeiro. Cette construction a été réalisée par des diasporas diverses, par le croisement de groupes sociaux et ethniques au fil du temps. Des personnes qui se sont déplacées d'autres régions du Brésil, et d'autres pays, motivées par des projets individuels, ou familiaux et/ou pour des raisons économiques, politiques et sociales.
Les plus de 20 années de flux angolais s'inscrivent également dans l’histoire de Maré avec la petite Angola. Au-delà des aspects culturels qui ont marqué le territoire, cette population a également permis la consolidation de l'économie locale, via la création de commerces et d'espaces de sociabilité.
Rencontre entre amis
Celso Marcos Pedro Miranda, connu sous le nom de Fidel, est l’un des habitants angolais de Maré. D'après la perspective de Fidel, la communauté angolaise est en train de diminuer. Fidel a déjà vécu avec tout un tas de ses compatriotes à Vila dos Pinheiros. Ces dernières années, il a vu certaines de ces personnes migrer vers les États-Unis et le Portugal, à la recherche d'autres opportunités de vie.
Fidel est arrivé à Rio de Janeiro le 3 avril 1996. Il avait alors 19 ans lorsqu’il a décidé de suivre les pas de ses amis, de quitter Luanda à destination de Rio de Janeiro, tout seul. Dans les années 1990, il y avait en Angola, un flux migratoire constant motivé par la guerre civile qui a duré jusqu'en 2002. On estime qu’environ 600 000 angolais ont migrés, motivés par les crises politiques économiques qui ont touché le pays.
Durant ses 26 ans de vie à Vila dos Pinheiros, Fidel a formé une famille et aujourd’hui, il a trois enfants : Ingrid, David et Julio. Lorsqu’il est arrivé à Rio de Janeiro, il a d’abord travaillé en tant que vitrier. À Luanda, il étudiait et de temps en temps, il aidait un ami en réalisant des petits travaux de menuiserie et de serrurerie. Il a travaillé. Il a beaucoup travaillé. Il nous a racontés que lorsqu'il est arrivé à Rio de Janeiro, il travaillait en tant que vitrier. Cela a duré environ 5 ans jusqu'à ce qu'il ouvre son bar, le Travessa da Fé, au début des années 2000.
Au début, il louait un espace pour son bar. Ensuite, Fidel a déménagé dans le magasin d’en face qu’il a lui-même construit au fil du temps. Un bar connu sous le nom d’Adega dos Angolanos et qui a tourné pendant 15 ans à la limite entre les favelas de Pinheiro et de Salva Merengue. Le bar Travessa était « le bar le plus connu du quartier », affirme-t-il. Depuis un an, son bar tourne dans une caravane, dans la même rue de la favela, où il continue à servir de la nourriture et des boissons à son public, composé d’Angolais et de Brésiliens.
Aujourd'hui, dans son nouvel espace, Fidel dit qu'il est plus tranquille, et que, même si les clients ne sont plus si nombreux, il parvient à nourrir ses enfants. Dans son ancien bar, le vendredi était le jour de la semaine où tout un tas d’Angolais, se réunissait pour boire et manger. Là-bas, ils pouvaient retrouver des plats typiques d’Angola, comme le funge ou le mufete, que Fidel servait avec des haricots à l'huile de palme, du manioc, de la banane plantain, de la farine, de manioc, une sauce aux poivrons et à la tomate, et du poisson.
Sa caravane se trouve au coin de la rue, à l'entrée d'une ruelle. La décoration de l'espace privilégie le rouge ; les logos, des équipes de football de Rio sont peints sur les murs. Au centre du mur, les drapeaux de l'Angola et du Brésil, ensemble, symbolisent que cet espace unit, les deux pays. Après 26 ans de vie au Brésil, Fidel est actuellement en train de réaliser les démarches de naturalisation brésilienne. Il cherche à obtenir le passeport brésilien. Il dit que cela est plus facile de l'obtenir que de faire face a la bureaucratie angolaise.
Depuis son arrivée à Vila dos Pinheiros en 1996, Fidel dit qu’il n’est jamais retourné en Angola. Le billet coûte très cher, il nous dit que le voyage jusqu’à Luanda coûte près de 10 000 réais. Avec cette somme d’argent, il préférerait investir dans la construction d’un studio dans la Vila dos Pinheiros.
En 2010, son frère lui a rendu visite au Brésil et il a adoré la ville de Rio de Janeiro. Mais c’est par internet qu’il garde le contact avec son pays d’origine, il reçoit des nouvelles de sa famille et se tient au courant de tout ce qui se passe à Luanda. Il est très critique par rapport aux gouvernants angolais. Pour lui, son pays n’est pas une démocratie : il faut encore la conquérir.
Fidel fait partie de la première génération d’Angolais arrivés à Vila dos Pinheiros, au milieu des années 1990. À cette époque-là, raconte-t-il, les personnes venaient seules. Ce « quartier des Angolais » a peu à peu grandi. Ici, certaines personnes investissaient leur argent dans des commerces, comme des bars, des boulangeries, des lan houses — un type de commerces, qui aujourd’hui n’existe plus, très connu au début des années 2000 car il permettait d’accéder à des ordinateurs connectés à Internet.
Ces dernières années, Fidel a vu beaucoup de ses compatriotes partir et peu d’autres arrivés à Vila dos Pinheiros. Pour lui, Rio est une bonne ville, mais il est difficile d’y trouver du travail, et c’est pour cela que les personnes préfèrent vivre dans d’autres pays et villes.
Pour l’instant, Fidel reste là où il se trouve depuis 26 ans. À Vila dos Pinheiros, qu’il a vu grandir ; dans la favela dans laquelle il a formé une famille et où ses enfants ont grandi. Il continue à investir dans son bar, qui tous les vendredis réunis les habitants des alentours pour manger et boire, écouter tous les rythmes de musique, comme le pagode, le funk, le hip-hop et quelques rythmes angolais. Parmi les options gastronomiques qu’il propose, les spécialités brésiliennes dominent, qui ont pour base le riz et les haricots secs. Mais si vous arrivez là-bas et que vous commandez un mufete — s’il y a du poisson —, il vous en préparera un.
Celui qui fêtera bientôt le premier anniversaire de son nouvel établissement, l’objectif de Fidel est maintenant de trouver un nouveau nom à son bar. Il pense à un nom traditionnel, africain. Il a pensé à Ku-di-sanga kua makamba, une phrase en quimbundo qui peut en dire beaucoup sur son choix. Traduit elle signifie Rencontre entre amis.
In my hood
Nizaj a grandi à Salsa e Merengue, une favela juste à côté de Vila dos Pinheiros et Vila do João. C’est là, dans la rue C, qu’il compose ses raps « qui font parler d’eux, jusqu’au Congo ». C’est ce que dit sa chanson In my hood, dans laquelle il parle du sourire des habitants de Salsa e Merengue et rythme de vie agité d’une personne vivant dans une favela.
Nizaj est le nom artistique de Nzaje Vieira Dias, musicien, acteur et percussionniste. Nizaj est angolais, de la capitale Luanda, mais il vit à Maré depuis ses deux ans, lorsqu’il est arrivé d’Angola avec sa famille, en 1999. Aujourd’hui, à l’âge de 25 ans, il a investi dans la carrière musicale, en partenariat avec ses collègues du collectif Black Owl Record — un label se trouvant à Maré.
« Je suis Luanda et aussi Rio », c’est ainsi que Nizaj se présente, un MC angolais dont le flow met en évidence l’influence d’accents qui caractérisent ses chansons. Ses paroles présentent les expériences de vie de Nizaj, il chante que Salsa e Merengue est son lieu d’énonciation et d’imagination dans le monde. Il est le chanteur de cette petite Angola formée à Maré. Et c’est à Salsa qu’il trouve le soutien et se reconnaît dans cette communauté angolaise, qui, comme il le chante dans in my Hood, « plus de 5 000 personnes occupent déjà tout l’espace » .
In my hood — Nizaj
« Diversité aux commandes
Je suis Luanda mais aussi Rio
Regardez comment les miens marchent
Rien qu’en les voyant, mon frère, j’ai le sourire
Ne me parle pas de Wakanda, je ne suis pas arrivé en navire
Cette histoire qui ne s’arrête jamais depuis 21 ans au Brésil
Viens ici pour voir, comme c’est drôle
Regarde comment les écoles sont en train d’élever
Beaucoup d’enfants qui jouent un super foot
Il y a même une piscine et les maisons sont à côté »
Patrick Marinho | BRÉSIL |
Né et a grandi à Maré, à Morro do Timbau. Patrick photographie de manière indépendante depuis l'âge de 18 ans, enquêtant sur la vie quotidienne des résidents locaux, en mettant l'accent sur les travailleurs informels.
Rodolfo Teixeira Alves | BRÉSIL |
Anthropologue et photographe basé à Rio de Janeiro.