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periferias 9 | Justice et droits dans la migration Sud-Sud

photo: Abhishek Basu

« Au-delà de la sémantique des droits humains »

Entretien avec Pia Oberoi, conseillère principale en migration et les droits humaines pour la région Asie-Pacifique au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme

par Daniel Martins et Felipe Moulin

octobre 2023

traduit par Déborah de Oliveira Spatz

Ces dernières années, l’Asie a vécu une croissance migratoire exponentielle sur un vaste territoire, augmentant les complexités culturelles, ethniques, politiques, religieuses et économiques. Comment les flux migratoires, dans les limites asiatiques, redessinent-ils notre compréhension et notre abordage la migration ?

Pia Oberoi : Lorsque nous regardons la région Asie-Pacifique, il est parfois très difficile d'établir les frontières de là où commence et où se termine cette région. Au moins 50 % de la population mondiale y vit. Dans une certaine mesure, il n'est pas étonnant que cette population compose la majeure partie des migrants internationaux que nous observons. La majorité des Asiatiques reste dans cette région. Et cela est bien typique, puisque nous savons que la majorité des migrations ont lieu vers les lieux où les personnes ont les moyens de voyager. Les asiatiques voyagent vers les régions et les pays voisins ou, plus distants, selon leurs ressources financières.

Au moins 50 % de la population mondiale y vit. Dans une certaine mesure, il n'est pas étonnant que cette population compose la majeure partie des migrants

Il est intéressant d'observer aussi le nombre d'Asiatiques qui se déplacent vers d’autres continents. L’Europe a toujours fait partie de cette route, et il y a eu un moment, précisément ces trois dernières années, durant lesquelles les Bangladais constituaient la majeure partie de la population qui traversait la mer Méditerranée, de la Libye vers l'Italie, et certain d’entre eux voyageaient, vers des destinations encore plus distantes. Cela démontre l'habilité des personnes à trouver des moyens, parce que voyager du Bangladesh vers la Libye, la Chine ou encore vers le tampon du Darien nécessite des ressources.

Je viens tout juste de lire un rapport à propos des Rohingyas qui présente le nombre de nationalités asiatiques représenté dans ce mouvement. Il est certain qu'ils ne sont pas à la majorité du mouvement au nord de l'Asie centrale, mais ils y sont présents, et aussi, dans d'autres routes précaires, j’imagine.

Une partie de ces routes est évidemment longue et bien établie. Nous pouvons aussi parler des intermédiaires à partir du contexte de recrutement de ceux-ci, mais il y a aussi des contrebandiers et des passeurs qui créent des routes pour que les personnes se déplacent. Cela représente un nombre substantiel de mouvements migratoires observés en Asie, même dans les limites de la région. C'est complexe, mais c'est aussi un microcosme de ce qu'on voit dans d'autres régions.

Si nous réfléchissons aux raisons qui mènent les personnes à migrer, dans toutes les parties du monde, la majorité d'entre elles le fait pour le travail, parce que, évidemment, c'est comme ça qu'on parvient à survivre. La migration pour le travail est présente dans tous les mouvements, même lorsque nous parlons des mouvements de réfugiés, ou même des migrants clandestins, ou n'importe quelle autre classification. La recherche d'un emploi, d'un travail digne, est certainement massive. La majeure partie du mouvement en Asie, et dans l'Asie est causée par la migration pour le travail.

Malheureusement, pour nous, chercheurs, ce que l'on retrouve en Asie, parfois, c'est une inquiétude plus faible face aux vulnérabilités qui vont au-delà des personnes en tant que main-d'œuvre. Au début de cette année, nous avons publié un rapport concernant les questions migratoires de travail temporaire dans et hors des limites de la région Asie-Pacifique intitulé « We wanted workers but human beings came » (Nous voulions des travailleurs mais, ce sont des être humains qui sont arrivés.)

Je sens qu’en Asie la migration n'est vu que a partir de la main d’œuvre, et que nous devrions comprendre la vie de ces personnes seulement dans les limites de l’environnement de travail.

Je sens qu’en Asie la migration n'est vu que a partir de la main d’œuvre, et que nous devrions comprendre la vie de ces personnes seulement dans les limites de l’environnement de travail

Si nous essayons de comprendre les différents aspect de la vulnérabilité dans laquelle les personnes se trouvent, en d'autres termes qu'elles ont une vie et des aspirations, la nécessité d'une vie en famille, cela devient vraiment frustrant.

Une autre caractéristique de l’Asie, c'est qu’on y trouve des pays très riches, comme le Japon ou la Corée, ainsi que des pays très pauvres comme le Népal ou le Laos, en plus des pays aux ressources moyennes comme l'Inde, la Malaisie et la Thaïlande. Dans un sens, il y a une espèce de microcosme du monde et c'est de là que surgit la complexité. Il y a aussi des pays qui produisent des réfugiés, comme par exemple, le Myanmar, qui, d’où proviennent de plus en plus de réfugiés, ainsi que l’Afghanistan. En Asie, il y a tous types de mouvements. 

 

Quel est le rôle de la Thaïlande dans le contexte de la migration asiatique ?

La Thaïlande est un cas intéressant, puisque c'est un pays d'origine — non seulement, pour la région, beaucoup de travailleurs thaïlandais partent en Corée et plus récemment un nombre important de migrants thaïlandais sont partis en Suède — , mais il s’agit aussi d’un pays de destination, de sorte que nous avons des travailleurs migrants, du Laos, du Myanmar et d’Asie du Sud, ainsi que des réfugiés Rohingyas. Que le pays soit devenu un pays de transit est un phénomène très intéressant.

Nous venons tout juste de publier un rapport «  Online scam operations and trafficking into forced criminality in Southeast Asia » (opérations d’arnaque en ligne et trafic forcé de la criminalité dans le Sud-est asiatique). De nombreux casinos se trouvent dans cette région, dans des zones frontalières, affectées par des conflits et des zones de transit, principalement des zones économiques.

Les casinos ont dû être fermés à cause des restrictions de Covid, et cela a duré longtemps, en Asie, jusqu'au printemps 2022. Il y a donc eu une longue paralysie. Les personnes étaient victimes de trafic dans ces opérations, forcées à arnaquer, essayer de persuader d'autres individus de leur envoyer de l'argent. Ces dernières deux années des centaines de milliers de personnes au Myanmar, au Laos, au Cambodge et, de plus en plus, aux Philippines ont été victime de ce trafic.

Ces dernières deux années des centaines de milliers de personnes au Myanmar, au Laos, au Cambodge et, de plus en plus, aux Philippines ont été victime de ce trafic

J'ai lu à propos d'une personne venant du Brésil, qui a été capturée, puis sauvée de l'un de ces centres d'arnaque. Les personnes vivent des situations terribles dans ces endroits. Les personnes sont enfermées et forcées à extorquer une certaine quantité d’argent. En plus d'être torturées, privées de nourriture et sans pouvoir sortir. Des personnes sont mortes en essayant de s’en échapper ou alors parce qu'elles ne recevaient aucun type d'assistance médicale. Si nous pensons à la manière de gérer ce type de situation dans la région, la majorité des personnes qui est libérée de ces centres, est traitée comme des criminels parce qu'elle a commis des crimes ou alors comme des immigrés illégaux parce qu’elle n'a pas le document, pas de visa ou pas de permission de travail. Beaucoup de ces personnes sont emprisonnées, parce qu'elles ne reçoivent pas de soutien de leur pays d'origine ou de l’ambassade.

C'est intrigant que la Thaïlande soit devenue un pays de transit. De plus, il existe beaucoup de ces centres à la frontière de la Thaïlande et du Myanmar. Des personnes sont à nouveau victimes de trafic entre le Myanmar et le Cambodge, par la Thaïlande. C'est une situation terrible qui, probablement, va empirer.

 

La Thaïlande a une relation spécifique avec la mer et l'industrie de la pêche. Nous savons que les flux migratoires sont liés, légalement et illégalement, à ce marché, principalement avec les migrants qui arrivent du Laos et du Cambodge. Quelle est la relation entre la mer, l'industrie de la pêche et la migration ?

La Thaïlande participe à ces mouvements de deux manières. Tout d'abord, à travers l'industrie de la pêche qui est connue depuis longtemps pour ces conditions de travail difficiles. Parfois, les pratiques atteignent un niveau d'exploitation intense, lorsque les personnes deviennent littéralement des prisonniers. La majorité de ces personnes se trouve sur des bateaux qui pêchent en haute mer. Il y a une série d'inquiétude, principalement liée au trafic, par l'exploitation de la main-d’œuvre.

Cependant, il est clair que les personnes ne viennent pas pour être des esclaves sur des bateaux. Elles arrivent avec l'espoir d'avoir un emploi spécifique, avec des conditions de travail dignes. Mais il y a un décalage entre les conditions inscrites dans leur contrat et les conditions réelles. En plus de cela, parfois, les travailleurs sont quasiment illettrés et ne sont pas en capacité de lire les documents.

Deuxièmement, il y a les difficultés imposées par la mer, dans le mouvement des réfugiés, Rohingyas du Myanmar. C'est un problème régional qui n'affecte pas seulement la Thaïlande, mais également la Malaisie et l’Indonésie, dont les côtes littorales n'ont pas de protection maritime adéquate. L'année dernière a été l’année comptant le plus grand nombre de décès en mer, pour les personnes qui voyageaient en bateau depuis l'année 2016. Plus de 2000 mouvements ont eu lieu avec une marge de 300 à 400 morts et de nombreuses personnes disparues en mer. C'est un mouvement très dangereux. Des milliers de personnes perdent la vie.

Et les réponses structurantes provenant des gouvernements pour protéger les droits des personnes en Asie sont très timides. Nous avons déjà mentionné qu’il s’agit d’une région très grande, qui englobe plusieurs pays. Si nous considérons la protection des personnes en mer, il n'y a pas de bonne réponse en termes de recherche ou de sauvetage. Il n'y a pas de bonne réponse en termes de débarquement. Les bateaux n'ont pas la permission d’accoster. Des personnes meurent en mer parce qu'elles sont renvoyées dans leur pays.

 

Malgré la différence de contexte, d'expérience et de motivation, il existe une idée bien structurée à propos du fait que tout est illégal, et que les pays de destination sont les victimes. Qu'est-ce qui empêche un abordage basé sur les droits humains des personnes en mouvement ?

En partant de l'Asie et en allant un peu plus loin. Il existe un problème spécifique en Asie : il s'agit d'une région du monde dans laquelle, de façon générale, on observe un indice inférieur de ratification des traités internationaux de droits humains. Nous remarquons qu'il n'existe pas une compréhension solide, ou une acceptation, des droits humains comme un principe organisateur de la société.

Il existe de nombreux défis et de la résistance, en plus de l’idée selon laquelle les valeurs asiatiques divergent des idées des droits humains : « Nous n'avons pas besoin de ce truc occidental appelé droits humains ». Cela signifie que, sauf certaines exceptions, si nous observons de manière générale, il n'y a pas de structure légale de protection aux réfugiés. La Thaïlande et l’Inde, par exemple, ne possèdent pas de système d’asile.

Il s'agit d'un abordage très transnational de la migration. « Nous allons vous recevoir quand nous en aurons besoin. Vous viendrez pour travailler dans nos maisons, dans les usines, à la pêche et ainsi de suite, mais quand n’aurons plus besoin de vous, vous devrez partir. Vous n’aurez pas de droit pendant que vous serez ici. Ainsi, le contact avec votre famille ou vos enfants n’est pas nécessaire, vous n'avez pas besoin d'assistance médicale parce que vous n'êtes ici que pour travailler. Si vous parvenez à arriver ici en tant que réfugié, vous êtes illégal, donc vous serez arrêté. »

C'est un type de transaction. Une représentation instrumentale des personnes en mouvement qui est de plus en plus prévalant pratiquement partout. Si nous regardons les couloirs de l'Asie et les pays du Golfe, c'est exactement la même idée, selon laquelle le migrant est là aussi longtemps que l’on a besoin de lui. Après cela, il doit partir et peut se retrouver en situation illégale dans un autre endroit.

Mais il va plus loin. Dans les pays européens, et aux États-Unis, il y a cette idée de la migration pour le travail doit être la plus temporaire possible. La citoyenneté n'est pas quelque chose de disponible comme un endroit pour les personnes qui vivent déjà dans ce pays depuis plus de 15 ou 20 ans. Les liens avec le pays deviennent extrêmement fragiles, même si l'on a vécu là-bas durant une longue période.

Il est évident que tout le monde a des droits humains. Au moment où l'on arrive dans un pays, on a le droit, on a des droits parce qu’on se trouve dans ce pays de façon, que ce soit de manière légale ou non. Cependant, la situation s’inverse progressivement. Les pays européens, comme le Royaume-Uni, par exemple, retire la citoyenneté des personnes, en argumentant que ces personnes sont une menace pour la société.

L'idée est que : « si on se trouve en situation irrégulière, on assume que d'une certaine façon, vous êtes un être humain ». C'est quelque chose qu’ils ont perfectionné en Asie parce qu'il s'agit d'une criminalisation. Lorsqu’on criminalise, on polarise juridiquement. De sorte qu’on n’est pas seulement en situation illégale face a la loi, mais également déshumaniser aux yeux de la population et du gouvernement. C’est quelque chose de très dangereux.

C'est quelque chose qu’ils ont perfectionné en Asie parce qu'il s'agit d'une criminalisation. Lorsqu’on criminalise, on polarise juridiquement. De sorte qu’on n’est pas seulement en situation illégale face a la loi, mais également déshumaniser aux yeux de la population et du gouvernement. C’est quelque chose de très dangereux

Dans un monde beaucoup plus connecté de plusieurs façons que ce soit, du point de vue technologique ou financier, la quantité d’obstacles aux mouvements physiques des personnes est impressionnant. Et j'ai peur que cela devienne toujours plus difficile. Même au sein du monde académique, tous les jours, nous entendons parler de personnes qui tentent de voyager d'une conférence à l'autre et parce qu'elles viennent d'une certaine partie du monde, elles n'arrivent pas à obtenir de visa. 

Il y a également des restrictions par rapport aux vols. Si vous tentez de voyager sur un trajet Sud-Sud, c'est quelque chose de beaucoup plus difficile que si vous partiez d’Europe vers une autre partie du monde. C'est une inquiétude et quelque chose qui doit être remise en question, non seulement par les activistes, mais aussi par les chercheurs et le monde universitaire.

 

En Asie, existe-t-il des disparités par rapport à la garantie des droits humains des migrants ?

Certains pays ont un système meilleur que les autres. Le système thaïlandais, par exemple est très intéressant. Lorsque les inquiétudes à propos du trafic de personnes provenant du Myanmar sont apparues, des réponses structurelles ont été implantées. Le Japon et la République de Corée sont signataires de la Convention des Réfugiés, de 1951. Celle-ci établit un système d'asile qui, en théorie, fournit tous les droits associés et c’est ce que nous appelons un système d'asile développé. Cependant, le taux de reconnaissance est très faible et l’asile est accordé à très peu de personnes. 

Des pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui font, évidemment, partie de l’Asie-Pacifique, ont un système de migration, d’une part, ainsi qu’un programme de migration pour le travail, de l’autre. Nous ne pouvons pas dire qu’il s’agisse d’une situation terrible. Le problème se trouve, lorsque nous nous retournons vers les pays de l’Est Asiatique, dans le fait, que l'idée « de celui qui mérite des droits » est encore très enracinée. 

En Asie, il ne s’agit pas d’une discussion atypique, et cela fait partie de la manière dont les systèmes de gouvernance de l'asile et de la migration ont été organisés pratiquement dans le monde entier. Ce que nous essayons de faire au HCDH (bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme) n’est pas de dire : « Finissez-en avec la protection des réfugiés ou la protection des personnes victimes de trafic », mais plutôt de dire que : « les droits humains ne doivent pas exister en silos ».

Il s’agit de juger, même aux États-Unis ou en Europe, une personne par rapport à une autre. L'une mérite des droits parce qu'elle est réfugiée, selon la Convention de 1951 et j'ai des obligations par rapport à elle. Une autre personne n'a pas de droits garantis, parce qu’il s’agit d’un migrant en situation irrégulière, qui est venu retrouver sa famille. Tout cela pour donner un exemple théorique.

Selon la loi des droits humains, nous avons tous le droit à une vie familiale. Cependant, la manière dont nos systèmes de gouvernance et de migration sont organisés n'est pas compatible avec les droits humains universels. Nous essayons d’accompagner la construction de voies selon lesquelles les personnes peuvent venir ou rester légalement, même s’il ne s’agit pas de réfugiés. Elles peuvent vouloir être avec leurs familles, elles peuvent être en train de fuir les changements climatiques et les catastrophes environnementales.

La manière dont nos systèmes de gouvernance et de migration sont organisés n'est pas compatible avec les droits humains universels

Il n'y a aucun dispositif — même dans le Pacifique où cette question est littéralement, devenue une question de vie ou de mort, où les personnes se noient ou doivent nager, alors que l’île sur laquelle ils vivent est en train de disparaître — et nous n'avons aucune voie dans la région pour fournir une espèce de réponse.

Il y a des chemins de protection aux réfugiés entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, cependant, il n’y a rien pour les personnes qui feront face aux défis réels, à mesure où les changements climatiques s’accélèrent. 

C'est quelque chose de commun. En plus de cette réticence réelle, en grande partie de l'Asie a ratifié des traités de droits humains, il n'y a pas beaucoup de différences, ce sont les mêmes défis auxquels le reste du monde fait face. Pour l'instant, je ne pense pas que nous ayons élaboré les réponses correctes. 

 

Comment pouvons-nous construire une structure et un abordage partagé des droits humains ? 

Au sein de le HCDH, nous réalisons ce travail depuis 2010 et avant cela, j’ai déjà travaillé dans ce domaine avec des organisations non-gouvernementales durant 10 ans. J'ai passé beaucoup de temps à dialoguer avec des gouvernements dans la tentative de les faire changer d'idée par rapport à la manière dont ils agissent, puisque évidemment, nous ne croyons pas qu'ils gèrent la migration de façon correcte.

Je me souviens clairement d'entendre un représentant de l'Allemagne se prononcer durant l’apogée de la crise des réfugiés et de la migration en Europe en 2005, il est entré en contact avec le HCDH pour en gros dire : « Nous savons que nous avons besoin d'améliorer la protection des droits mais la société ne va pas permettre cela, qu'ils sont très nombreux et que nous sommes submergés, nous devons donc d‘abord changer l'opinion publique, et ensuite, nous pourrons mieux agir en tant que gouvernement.

Ces dernières années, ce à quoi nous avons fait face, principalement, c'est : si vous dites que le problème est dans la forme avec laquelle le public reçoit la migration, donc nous devons mieux comprendre vos sentiments. Quelles sont vos attitudes ? Quelle en est votre perception ? Que peut-on changer dans votre opinion ?

Récemment, nous avons réalisé des recherches à grande échelle en Malaisie et en Australie, pour essayer de comprendre vraiment ce débat polarisé qui dit que : « Vous soutenez les droits des réfugiés ou vous soutenez les travailleurs migrants ? » Ainsi, c'est vraiment la société civile qui se bat entre elle. Le public est confus et aucun de ces gouvernements — ce qui a été différent dans le cas de l’Australie — ne voulait garantir quelques droits que ce soit. 

Ce qui est fascinant dans cette recherche — qui est très représentatif, une recherche avec des big data à laquelle plus de 1200 personnes de chaque pays ont participé, une recherche quantitative également qualitative sur des groupes cible — est que la majorité des personnes dans chacun des pays sentait que les droits humains était une valeur importante pour la société. Ainsi, une société décente protège les droits humains.

De manière beaucoup plus significative, avec une petite différence entre l'Australie et la Malaisie, pour de nombreuses raisons, les personnes ont également senti que recevoir des personnes d'autres pays était aussi un signe d'une société décente. C'est quelque chose qui, en tant que société, ils devraient faire. Nous devons recevoir les personnes. Une autre chose très intéressante a été que dans chacun des pays, lorsque nous avons demandé le niveau de satisfaction avec les actuelles politiques de migration des gouvernements, presque 45 % ont répondu : « Je n'en ai aucune idée. C'est une situation complexe que nous comprenons pas » et c'est pour cette raison que les personnes évitent le sujet, mais lorsque vous commencez à leur demander :

« Est-ce que vous pensez que vous devriez recevoir des personnes d'autres pays ? Est-ce que vous sentez de l'empathie pour les personnes qui souffrent ? Est-ce que vous recevriez des personnes qui fuient des persécutions ? La réponse est oui à ces trois questions.

Cette même quantité de personnes a dit que nous devrions accepter des personnes qui fuient la misère économique. L’idée qu’un réfugié est plus accepté qu’un migrant économique n'a pas été démontrée par notre recherche, dans aucun pays.

Le défi est d'aller au-delà de la sémantique des droits humains — parce que cela devient une guerre culturelle —  en réalité, ce qui fonctionne, c'est d'observer les communautés

La solution est de se rapprocher des personnes là où elles sont. Ce sont ces grands débats sur le fait de savoir si les migrants produisent des bénéfices économiques.

Oui, en tant qu’économistes, au niveau mondial, ces arguments doivent être présentés au gouvernement, c'est certain. Mais cela ne provoque que de la confusion aux gens. Quelqu'un peut dire, que statistiquement, les migrants ajoutent 12 % au PIB, cependant les gens ne comprennent pas cela. Mais ils comprennent, lorsqu'on dit que leurs enfants fréquentent une école avec des personnes d'origines migrantes, ou que leurs voisins qui travaillent à la poste sont des migrants.

Lorsque que la question se rapproche des communautés, c'est cela que nous avons observé dans la recherche — lorsqu'elle est plus proche de la réalité des personnes — elle devient réelle. Il peut y avoir certains conflits mineurs, mais nous n'avons pas vu cela dans notre recherche, personne ne disait qu'il ne faut pas recevoir des migrants ou des personnes en mouvement.

Le défi est d'aller au-delà de la sémantique des droits humains — parce que cela devient une guerre culturelle —  en réalité, ce qui fonctionne, c'est d'observer les communautés. Proposer des moyens aux personnes et aux leaders des communautés et créer des politiques d’inclusion et d’intégration. C'est devenu une question d'identité, une manière plus efficace de diviser les personnes. Plus nous éliminerons ces bruits, plus nous aurons des moments de connexion, plus les droits seront protégés. 

 

Quelles ont été les victoires les plus importantes du HCDH ces deux dernières décennies ? Quels en sont les défis ?

Les défis sont liés à ce type de recul global. Dans les années 90, il y a eu un moment, et peut-être que le 11 septembre a changé cela d'une certaine manière, où il y avait une quasi-acceptation mondiale de l'importance d'une structure des droits humains. Maintenant, nous sommes loin de tout cela. Nous avons des défis à mettre en place en matière de droits humains, comme les principes organisateurs des sociétés autour du monde. Cela est évidemment un défi pour notre société, mais également pour le HCDH en tant que garant des droits humains dans le système international et l’ONU.

Nous sommes également responsables de ces défis, parce que nous sommes très technocrates par rapport aux droits humains. Nous sommes des avocats, et le langage que nous utilisons, ainsi que les questions que nous choisissons d'aborder tendent souvent à être vues comme très ésotériques. C'est la première fois dans l'histoire du HCDH que nous réalisons ce type de recherche basée sur le comportement. Et cela est quelque chose qui va changer, si nous voulons vraiment comprendre toute la question. Les droits humains sont une partie fondamentale, ils ne font pas partie de quelque chose qui appartient à une autre échelon politique, ils révèlent vraiment qui on est, notre vie, comment notre famille et nos enfants vont vivre.

Nous avons des défis à mettre en place en matière de droits humains, comme les principes organisateurs des sociétés autour du monde. Cela est évidemment un défi pour notre société, mais également pour le HCDH en tant que garant des droits humains dans le système international et l’ONU

Quand j'ai débuté mon travail au HCDH, ils commençaient tout juste la création d'un programme sur les migrants et les droits humains pour l’agence, au niveau mondial. Le défi était, ironiquement, de donner une structure universelle, des droits humains, de comprendre où nous pourrions nous adapter, ajouter de la valeur et où nous pourrions donner la parole aux droits humains et migrants. 

Évidemment, il existe le HCNUR, l’OIT, l’OIM et l’ONU Femmes, entre autres. D’une façon beaucoup plus consciente, nous avons pris la décision de nous concentrer là où nous pourrions ajouter de la valeur. Pas seulement de dire que les réfugiés n'ont pas de droits humains ou que tous les travailleurs migrants n'ont pas de droits humains, mais nous avons commencé à regarder les zones intermédiaires. Par exemple, le travail que nous avons réalisé pour les droits humains aux frontières internationales, qui pour lequel, en réalité, il ne s'agissait pas de protection des réfugiés, mais plutôt des droits de toutes les personnes aux frontières.

Tout le monde traverse des frontières internationales de temps en temps et tous font face à plusieurs degrés de discrimination et de distinction. Il faut aider les membres des États à comprendre ce que cela est inacceptable.

Nous tous, faisons face à des degrés variés de discrimination ou de distinction et il est nécessaire d’aider les membres des États à comprendre quand cela est inacceptables. Par exemple, traiter les personnes de différentes parties du monde de manières différentes, comme les personnes qui proviennent de la migration sud-sud. Dans ce sens, nous nous sommes très fiers de cela. C’est ainsi que nous contribuons, en qualifiant les valeurs de droits humains.


 

Pia Oberoi | INDE |

Conseillère Sénior en Migration et Droits Humains pour la Région Asie-Pacifique, basée à Bangkok, au bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits Humains (HCDH), responsable du développement et de l’implantation de recherches et de politiques sur la migration et les droits humains dans la région. Avant cela, elle a été directrice de l’équipe de migration globale du HCDH, dans laquelle elle était à la tête du travail global du Cabinet sur les questions politiques et juridiques liées aux droits humains de tous les migrants et des intersections entre migrations et droits humains.

Elle a dirigé le travail sur les droits des migrants du Secrétariat International d’Amnistie Internationale et a été consultante spécialisée pour des ONG, ainsi que des groupes de réflexion politique dans la région Asie-Pacifique et autour du monde. Pia a publié et a enseigné sur le thème de la migration et des droits humains, elle est aussi docteure en Relation Internationales par les universités de St Antony’s College et d’Oxford.

@pia_oberoi

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